Laurent Pelly prend la comédie au sérieux !
- Publié le 06-12-2018 à 17h00
- Mis à jour le 06-12-2018 à 17h02
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Première de Don Pasquale ce dimanche à la Monnaie. Rencontre avec le metteur en scène.
Depuis ses débuts à l’opéra – avec La Fille de Madame Angot de Charles Lecoq - Laurent Pelly déclenche à tous coups une forme d’enchantement par la drôlerie, le raffinement et la profondeur de ses mises en scène. Opérette, opera seria, comédie ballet, monodrame contemporain, bel canto, opéra italien, français (parfois « grand ») ou américain, aucun genre ne lui résiste. A la Monnaie, on lui doit déjà les mises en scène de Don Quichotte et Cendrillon de Massenet, et du Coq d’Or de Rimski-Korsakov, plus un bijou sur mesure, imaginé pour Dame Felicity Lott ; il nous revient avec une production de Don Pasquale de Donizetti, créée à l’opéra de Santa Fe (Nouveau-Mexique) en 2014, avant de se rendre à San Francisco, à Barcelone et aujourd’hui Bruxelles.
Une pantalonnade inspirée de la commedia dell’arte, rassemblant quatre personnages burlesques selon un livret très prévisible : Don Pasquale de Donizetti est pourtant « grand » opéra.
C’est un chef d’œuvre ! On se demande d’ailleurs pourquoi il n’est pas plus donné. C’est le cinquième opéra de Donizetti que je monte et c’est, selon moi le meilleur, en tous cas le plus efficace et le plus percutant. Il n’y a pas une note dans cet opéra qui ne serve la dramaturgie, même les airs de bel canto – qui marquent généralement une rupture dans le déroulement de l’action (et les arias da capo sont encore pires…) – gardent ici leur puissance théâtrale. Donizetti a l’art d’inscrire la musique dans le corps des chanteurs.
A l’opéra comme au théâtre, vous avez toujours eu un faible pour la comédie.
C’est l’évidence mais surtout pour la comédie noire, grave. Ici, par exemple, j’éprouve une grande tendresse pour Don Pasquale, c’est un vieil homme habité par un désir de jeune homme, c’est le drame de vieillir en gardant intactes ses envies et ses passions. Noirceur ou férocité vont ici de pair avec gravité, je pense qu’il faut prendre la comédie au sérieux !
Peut-on dire qu’en faisant tomber les défenses du spectateur, le comique ouvre aussi le cœur ?
Vous prêchez un convaincu. Pourquoi rit-on ? Parce qu’on reconnaît quelque chose de soi dans le personnage. Donizetti excelle dans cette approche – voyez la complexité du personnage de Norina – et avec lui, on peut travailler comme au théâtre, à fond.
Vous parlez de Norina : c’est la quatrième fois que vous montez la production ; à Bruxelles, vous vous retrouvez en plus avec deux Norina d’exception – Danielle Denies et Anne-Catherine Gillet – cela implique-il des changements ?
Oui et non : la structure de la mise en scène est complètement écrite mais la personnalité des interprètes entraîne forcément des changements. Voyez le rôle de Don Pasquale : Michele Pertusi est dans le sentiment, Pietro Spagnoli est dans la farce… Chaque distribution comprend de nouveaux défis. Après, c’est une production assez simple mais du coup, elle n’a pas besoin de relecture, d’écho à ceci ou cela, ou de transposition, ou de fioritures. Je m’en fous. Ce que je recherche, c’est la profondeur des personnages.
Vous faites quand même référence au cinéma italien…
(Rire…) En effet, mais notez que Fellini ou les grands artistes du cinéma comique italien s’inspirent eux-mêmes de la commedia dell’arte. Et notez que lors de la création, Donizetti lui-même avait insisté pour que les personnages soient vêtus et traités de façon « contemporaine », débarrassés des références au passé.
Vos récitatifs ont-ils subi un traitement spécial (ainsi qu’y procèdent pas mal de vos confrères…) ?
Absolument pas, ils n’en ont d’ailleurs aucun besoin, toute la musique de Donizetti est également expressive et géniale, tout y est théâtre.
Vous renouez avec votre compatriote Alain Altinoglu, directeur musical de la Monnaie, avec lequel vous aviez monté Cendrillon et Le Coq d’Or.
J’ai adoré cette dernière production, je veux faire tout Rimski-Korsakov ! Tant de chefs d’œuvre qu’on ne monte jamais… On devrait interdire Traviata (ou Carmen, ou Bohème, enfin, vous me comprenez…) durant 5 ans pour leur laisser la place ! Reprendre tout le temps les mêmes opéra en se demandant ce qu’on va pouvoir y faire de « nouveau », c’est déjà se tromper.
A La Monnaie du 9 au 23 décembre. Infos : www.lamonnaie.be
Quatre personnages inspirés de la commedia dell’arte
Furieux contre Ernesto, son neveu et héritier, le vieil et riche célibataire Don Pasquale décide de se marier. Pour le ramener à la raison, son ami Malatesta ourdit un faux mariage avec sa soi-disant sœur qui n’est autre que la jeune et délurée Norina, fiancée d’Ernesto. La douce ingénue se transforme en épouse tyrannique et frivole. Scènes et déboires se succèdent jusqu’à amener Don Pasquale à regretter son mariage et à comprendre la vérité avec soulagement.
Avec Michele Pertusi/Pietro Spagnoli, Lionel Lhote/Rodion Pogossov, Danielle De Niese/Anne-Catherine Gillet, Joel Prieto/Anicio Zorzi et Alessandro Abis.