Marianne Faithfull : "Je n'ai jamais dit que mon physique était un fardeau"
- Publié le 12-12-2018 à 10h17
- Mis à jour le 02-01-2019 à 13h50
:focal(1224x619.5:1234x609.5)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/74HEYTWYIZHI7MI5OG4ZHY5G4M.jpg)
La chanteuse britannique a sorti il y a quelques semaines le sublime "Negative Capability".
Une petite seconde", nous lance Marianne Faithfull avant que nous ayons pu émettre le moindre son à travers le combiné. "Écoute, darling, dans une dizaine de minutes, quelqu’un frappera à la porte. Je devrai mettre un terme à notre conversation, et tu devras rappeler. Nous n’avons pas beaucoup de temps, alors commençons directement."
Recluse dans l’appartement parisien qu’elle habite depuis plusieurs années, Marianne ne va pas bien. Les complications liées à des opérations du dos et des hanches l’ont couverte d’arthrite. Des douleurs l’affectent de manière chronique, et toute conversation avec un journaliste ressemble à une épreuve pénible qu’elle traverse bon gré mal gré sans jamais s’attarder. "Comment je vais ? Eh bien j’ai mal, darling. Là, j’attends d’aller à l’hôpital pour me faire remplacer les deux épaules."
Malgré cette situation difficile, son humeur changeante et une absence totale de filtre qui en ont fait la terreur des journalistes, Marianne Faithfull est plutôt de bonne composition, ce matin. "Je suis tellement heureuse d’avoir des retours positifs", lâche-t-elle sincèrement lorsque nous lui parlons de Negative Capability ( ), l’album sublime et unanimement loué, qu’elle a sorti début novembre. "J’ai voulu faire quelque chose qui soit le plus beau, honnête et authentique possible. Ce n’est pas un album sur la douleur, même si elle est là, mais sur l’amour, les êtres qui me sont chers et que je viens de perdre (son amie Anita Pallenberg et son guitariste Martin Stone, tous deux décédés en 2017, NdlR). Quand vos proches partent, ils vous manquent, et en même temps, vous êtes heureuse d’être toujours là."
Ce 21e album solo a tout de la pièce ultime et magistrale d’une œuvre trop longtemps méprisée. Sublimée par la musique de Nick Cave, Warren Ellis, et Ed Harcourt - complices de longue date - la voix rocailleuse et fragile de Marianne Faithfull est au diapason de ses textes mélancoliques sur l’existence, la mort, la solitude, et toutes les épreuves de cette vie si tumultueuse.
La chanteuse Britannique a longtemps incarné, malgré elle, la "jolie fille sans cerveau", un "ange avec de gros seins" comme l’aurait un jour baptisée Andrew Loog Oldham, le toujours très classe manager des Rolling Stones dans les années 1960. Sa relation destructrice avec Mick Jagger, ses années d’addiction brutale à toutes les substances qui lui tombaient sous la main, et ses compositions non créditées pour les Stones, l’ont ensuite transformée en muse maudite, dont la survie tient pratiquement du miracle.
Mais Marianne n’en a cure, aujourd’hui. "J’en ai terminé avec tout cela, lance-t-elle du haut de ses 71 ans. Cet album, c’est le témoignage de ma liberté. Le signe que j’ai finalement pu me libérer des chaînes du passé. J’ai toujours tenté de cacher une partie de moi-même. Je ne voulais pas que les gens sachent qui je suis réellement. Mais, cette fois, je me suis dit, ‘Oh et puis finalement peu importe’, sois juste toi-même ! Je pense que j’étais enfin prête à assumer ma vulnérabilité."
Le fameux invité mystère frappe évidemment à la porte lorsque notre interlocutrice commence réellement à se livrer. "Valentin, darling, j’ai une mauvaise nouvelle pour toi", dit-elle, lorsque comme convenu, nous la recontactons cinq minutes plus tard. "J’ai mal, je suis affamée et je dois m’occuper de ma vie… Je te donne une dernière question." Nous l’interrogeons sur la condition féminine, elle qui a tant subi la misogynie des années 1960-1970. "Je n’ai jamais dit que mon physique était un fardeau, comme certains l’ont écrit. Ce serait un petit peu ingrat, tu ne crois pas ? (rires) Mais l’époque était terrible, les femmes sont beaucoup plus fortes et indépendantes aujourd’hui. Elles ne doivent pas composer avec toute cette merde… Bon allez, je dois te laisser, Darling… Au revoir."
"Negative Capability", BMG, sorti le 2 novembre