James Blake, le génie torturé au bonheur retrouvé

James Blake, le génie torturé au bonheur retrouvé
©AP

Rencontre avec le chanteur compositeur londonien qui nage en plein bonheur sur "Assume Form", sublime quatrième album. 
En moins de dix ans, un gamin solitaire, taciturne et anxieux a changé les règles du jeu. Reclus dans sa chambre d’ado londonienne jusqu’en 2011, James Blake a donné une leçon de délicatesse aux superstars de la musique urbaine américaine, qui en ont fait une référence absolue et plébiscitée dès la sortie de ses premières compositions. Beyoncé l’a personnellement convié sur son album Lemonade, Kanye West l’a longuement côtoyé, et Kendrick Lamar lui a naturellement proposé de collaborer dans la foulée. Le contraste entre les deux mondes est pourtant saisissant. Les premiers affectionnent le gros son, la frime, l’adrénaline, là où Blake est l’incarnation même du génie torturé, au sens mélodique épuré et à la voix perchée délicatement posée.


Son premier album éponyme (2011) est une longue incursion piano-basse-voix dans sa solitude. Overgrown, qui suit deux ans plus tard, donne de l’ampleur à son univers et consacre définitivement Blake, qui allie toujours aussi subtilement intimité et envolées électroniques.
Mais le bonhomme, alors âgé de 24 ans, est profondément malheureux. "I don’t wanna be a star", chante-t-il à l’époque, sans oser révéler au monde qu’il souffre de dépression et vit mal la transition brutale entre l’anonymat conservé jusqu’à ses 18 ans et l’explosion de popularité qui a suivi. "Je souffrais d’anxiété, j’étais plongé en permanence dans un état dépressif", analyse-t-il par téléphone du domicile californien où il s’est installé depuis quelques années. "Mon entourage professionnel me disait en permanence de ne pas en parler, de peur que ça fasse les gros titres. Mais à un certain stade, je ne voyais plus l’intérêt de tenir ma langue. Internet a donné la possibilité à toutes les personnes en souffrance de communiquer sur le sujet, et j’ai réalisé que ça me faisait du bien."

En 2015, James Blake quitte Londres la pluvieuse pour Los Angeles la rayonnante, suit une thérapie basée sur les mouvements oculaires (EMDR) utilisée pour lutter contre le stress post-traumatique, et sort The Colour In Anything, situé à mi-chemin entre ces deux étapes essentielles de sa vie. "La musique a toujours été cathartique, un espace d’exploration profondément lié à mon état , ajoute Blake. J’étais dans une situation complexe lors de l’enregistrement de The Colour in Anything, et ça s’entend. Je ressentais encore cette pression, les attentes liées à l’album, la tournée… Puis j’ai commencé à aller mieux, à collaborer avec d’autres personnes qui me poussaient à aller mieux, et à prendre beaucoup plus de plaisir à faire de la musique."

Sur les hauteurs hollywoodiennes, le chanteur compositeur se sent "comme un gamin qui part en vacances", découvre qu’il existe des pays "où il ne pleut pas huit mois sur douze" et se sent gagner par le sentiment de liberté teinté de spiritualité typiquement californien.

En couple, enfin heureux de vivre, James Blake se remet naturellement à composer avec la volonté d’"être plus simple, plus direct" , de "sortir de (sa) zone de confort pour aller vers une certaine authenticité". Le processus de création, lui, change constamment. James crée une ligne de basse, veut partager une émotion précise ou trouve simplement une mélodie au piano. "La seule règle est d’avoir un son différent à chaque fois, ajoute le néo-Californien. Je ne referai jamais deux fois le même beat, la même ligne de basse."

Connu de toute l’industrie musicale, James n’a qu’à tendre le bras pour trouver des collaborateurs. Il convie les rappeurs Travis Scott, André 3000 et la nouvelle perle latino, Rosalia. "Des amis ou des connaissances qui sont toutes entrées dans ma vie à un moment ou à un autre", précise James Blake, dont la souffrance se mue en espoir et donne naissance à un quatrième album lumineux baptisé Assume Form. L’auteur ne renie pas son univers. Sa voix fragile reste au cœur de chaque mélodie, portée par un instrumental électronique tantôt soul, tantôt rap, toujours juste et d’une beauté fragile inouïe.

James Blake, Assume Form ****

À 30 ans à peine, James Blake s’est imposé comme l’un des artistes électroniques les plus passionnants de ces dernières années. Délicat, fin et extrêmement sensuel, son univers oscille entre R&B, soul, et inspirations world, toujours porté par cette voix aiguë touchée par la grâce. À l’heure des surproductions et du gros son, Blake en fait moins, pratique l’épuration rythmique, et impose son univers apaisant sans jamais sombrer dans la facilité.

Résultats : son timbre et celui de ses invités (Travis Scott, Rosalia, Moses Sumney, entre autre) trouvent systématiquement une profondeur rarement entendue. On a envie de citer Into The Red, Barefoot In The Park et Where’s the Catch. Mais l’album est superbe dans son intégralité, à condition - bien sûr - de baisser la garde pour mieux se laisser transporter.

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