Balthazar est de retour, gorgé d'amour: "La machine était trop bien huilée, ça en devenait un peu chiant"
Jinte Deprez et Maarten Devoldere reforment Balthazar. Très inspirés par les projets solo qu'ils ont pu mener entre-temps. "Fever", le quatrième album du groupe, est jouissif, lumineux, totalement réussi. Rencontre.
Publié le 26-01-2019 à 17h26 - Mis à jour le 13-02-2019 à 17h17
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Jinte Deprez et Maarten Devoldere reforment Balthazar. Très inspirés par les projets solo qu'ils ont pu mener entre-temps. "Fever", le quatrième album du groupe, est jouissif, lumineux, totalement réussi. Rencontre.
En voilà deux qui ont l’air contents de se retrouver. Enthousiastes à l’idée de mettre Balthazar en suspens, en 2016, pour laisser libre cours à leurs carrières solo respectives, Jinte Deprez et Maarten Devoldere ont fini par trouver le temps long, l’un sans l’autre. J. Bernardt et Warhaus ont rencontré leurs publics, convaincu la critique, et insufflé une nouvelle énergie aux rockeurs crooners mélancoliques de Courtrai. Mais on n’échappe jamais vraiment à son binôme, l’attirance est trop forte. Visiblement exaltés par cette mise en concurrence temporaire, Jinte et Maarten ont loué une maison dans les Ardennes, composé onze morceaux pour célébrer leurs retrouvailles, et mis le cap sur Lanzarote pour y tourner le clip de leur plage titre. Ce Fever, groovy à souhait, qui donne immédiatement le ton de ce quatrième et merveilleux album publié sous la bannière de Balthazar (lire ci-dessous). Les paroles restent, certes, sombres. Les deux camarades ne font pas encore dans l’optimisme béat, et Maarten fume facilement un paquet de clopes sur la durée du clip, mais une profonde vitalité s’est greffée à la désinvolture du passé. Une rencontre avec les intéressés ne pouvait décemment pas se décliner.
Vous êtes d’emblée partis dans l’idée de prendre une nouvelle direction musicale ?
Maarten Devoldere : Disons qu’on a tout de suite voulu que cet album soit plus léger, moins introspectif et mélancolique que par le passé. On a beaucoup parlé des Talking Heads pendant l’enregistrement, de leurs hits pop légers, festifs et groovy. C’est ce genre d’énergie que l’on voulait trouver, sans avoir de plan précis. Beaucoup de nos morceaux étaient bons, mais pas suffisants pour écrire un nouveau chapitre avec Balthazar, au début. On a vraiment trouvé notre voie avec Fever qui sonne comme nos précédentes compositions mais avec un nouveau twist, une nouvelle énergie. Tout le reste de l’album est parti de là.
Jinte Deprez : Je pense qu’on se prend moins au sérieux que quand nous étions jeunes. Sur le premier album, on voulait absolument trouver des paroles sérieuses, métaphoriques. On se disait "Merde, on doit sortir une vérité, avoir du fond, bla bla bla". Maintenant on sait que si on veut suivre une idée, un petit élément, on peut le faire sans se prendre la tête. Fever est un groove hypnotique qui évite de tomber dans le rose bonbon, la facilité. Je pense que ça reflète bien notre état d’esprit actuel, le plaisir qu’on a pris à enregistrer ce nouveau chapitre.
La séparation et vos petits egotrips étaient nécessaires pour retrouver ce plaisir ?
M.D. : On a énormément tourné avec Balthazar, durant six ans, et quand on ne tournait pas on travaillait sur un album. À la fin de la troisième campagne, la machine était tellement bien huilée que ça en devenait un peu chiant. On faisait des super live shows, mais tout allait un peu trop de soi.
J.D. : C’est naturel, quelque part. Tu joues dans des grandes salles, tu sais ce qui fonctionne et tu vas naturellement vers cela. Et tu n’es pas assez courageux pour changer un concept qui fonctionne. D’une certaine façon, on a vu le danger arriver. Puis il y a effectivement cette dimension egocentrique, l’egotrip comme tu dis, c’est vraiment le bon terme. Une aventure solo te permet d’élargir ton ego sans limites, sans contraintes. C’est totalement différent, car tu assumes tes responsabilités. Puis, après un petit temps, peut-être que tu t’embêtes avec ton ego.
Votre relation a dû évoluer après ces infidélités en solo…
J.D. : Heureusement, on était tous les deux assez fans de nos albums respectifs. Imagine si je m’étais dit "Aouch, Warhaus est nul". Quand tu écris de la musique avec quelqu’un depuis aussi longtemps, tu finis par oublier ou banaliser son talent. Tu perds cette admiration.
M.D. : C’est vrai, cette concurrence recrée une admiration, mais aussi une forme de jalousie assez saine du genre "quel enfoiré, il a réussi à faire ça !" Je pense que c’est exactement ce dont nous avions besoin, car c’est cette jalousie qui a créé le besoin de retravailler ensemble. Quelque part, ça nous a permis de réaliser que nous sommes réellement uniques quand nous étions à deux. Nos projets solos étaient plus lents, sombres, personnels. C’est une partie de nos personnalités. Ici, on voulait montrer l’autre partie. Or, en groupe, faire quelque chose de festif a plus de sens.
Simon Casier a dû être content quand il a entendu cette basse plus funk, non ?
J.D. : En fait non (rires). Simon maîtrise parfaitement la guitare aussi et je pense qu’il voulait jouer autre chose que de la basse pour les concerts à venir. Quand il a entendu les compos, il a dit "merde, je vais rester coincé avec ma basse" (rires).
Avec cette nouvelle énergie, la distance entre les textes plus sombres et la musique est-elle encore plus grande que par le passé ?
M.D. : Il y a beaucoup de morceaux sur l’amour, la rupture. Fever, par exemple, aborde le fait que nous sommes tous vides. Plus on vieillit, plus on réalise qu’il n’y a pas de vérité, que les opinions individuelles peuvent changer toutes les heures. Je charge une fille à mort sur ce morceau, mais, à la fin du couplet, il devient assez clair que je m’en éprends également. C’est humain, c’est beau, c’est comme ça. Au final, c’est juste une façon de dire et de constater à quel point nous sommes tous stupides. On pourrait s’amuser à critiquer Facebook, Instagram, la culture des selfies, mais tout ça est trop prévisible. Quand tu écris sur l’amour, tu peux passer par toutes les étapes. C’est beaucoup plus fort et intemporel.
Vous allez entamer une longue tournée européenne, ce nouvel album s’annonce fort bien en live…
M.D. : On veut revenir à l’énergie brute des concerts de rock comme le faisaient les Rolling Stones. Il y a toute une nouvelle génération de concerts pop, aujourd’hui. C’est très bien, je n’ai rien contre, mais, bien souvent, c’est très préprogrammé musicalement et visuellement.
J.D. : Pour moi, quand vous avez créé un album, vous avez fait vos devoirs et vous faites le tour de l’Europe pour fêter ça. Après avoir tourné en solo dans de plus petits clubs, je ressens vraiment le fait de pouvoir remplir une grande salle comme un honneur. Balthazar a évolué lentement, on a dû se construire. Je suis parfois très étonné de voir à quelle vitesse des gens comme Bazart ou Oscar And The Wolf ont géré leur succès. Moi, à leur place, j’en aurais mouillé mon pantalon. Nous, humbles fils de paysans, avons eu besoin de plusieurs années de concerts et de tournées pour savoir qui nous sommes.

Plus mûr, moins crâneur, le groupe s’est fait plaisir avec "Fever"
Au commencement, il y a cette basse, puissante, intemporelle, redoutablement dansante. Puis viennent les chœurs, la rythmique saccadée, le chant de Jinte Deprez, et l’on réalise qu’on est en train de danser. Tout, dans ce "Fever" qui ouvre le quatrième album de Balthazar, est stimulant musicalement parlant. Plus mûrs et moins crâneurs, Jinte et Maarten se font plaisir. Ils cessent deux secondes de toiser leur monde pour se laisser aller, et s’offrent l’album le plus abouti de leur carrière. Passé le final grandiose de la plage titre, on redoute de perdre ce groove avec "Changes", plus lascif. Mais la profondeur demeure, ses refrains choraux en font - ici aussi - une bête de sensualité et prolongent le plaisir jusqu’à "Wrong Faces" et "Whatchu Doin’" qui suivent exactement la même logique.
"Phone Number" marque un petit retour au chant blasé de Maarten, mais le morceau passe par trois, quatre étapes différentes qui lui donnent une tout autre dimension.
Une microfissure de légèreté
Balthazar conserve son univers et ne renie pas ses bases, mais y ajoute ce "petit truc" supplémentaire. Une microfissure de légèreté et d’optimisme qui explose littéralement sur un "Entertainment" funky en diable et joyeusement dopé aux cuivres. D’aucuns regretteront à juste titre le départ de Patricia Vanneste et son violon. Balthazar est plus que jamais l’affaire d’un binôme, mais, quand ces deux-là sont en forme, le résultat est pratiquement irrésistible. V. Dau
---> Balthazar, "Fever" (Pias), sorti le 25 janvier. En concert à la Lotto Arena (Anvers) le 8 mars.
Le groupe en quatre dates
2010 : Premier album, Applause.
2012 : Rats consacre le groupe, qui sort ensuite Thin Walls en 2015.
2016 : Suspension du groupe et création de Warhaus par Maarten Devoldere. Jinte Deprez suit quelques mois plus tard avec J. Bernardt, et Simon Casier avec Zimmerman.
2019 : Reformation sans la violoniste et claviériste Patricia Vanneste, et sortie de Fever.