Cain et Abel : un premier meurtre en musique, mais sans théâtre
Publié le 26-01-2019 à 08h48
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Débuts de René Jacobs à l’Opéra de Paris avec un Castellucci en mal d’inspiration. L’œil était dans la tombe et regardait Caïn". On connaît l’ultime et terrible phrase de "La conscience", le poème que Victor Hugo consacra dans La Légende des siècles au premier meurtre et, surtout, à l’éternel remords infligé par Dieu à Caïn pour le punir du meurtre de son frère Abel. Un siècle et demi avant Victor Hugo, en 1707 à Venise, Alessandro Scarlatti avait déjà consacré à ce Primo omicidio un oratorio, composé sur un livret d’Antonio Ottoboni - père du fameux cardinal Ottoboni qui allait d’ailleurs en organiser les représentations à Rome. Oratorio à six voix, étant respectivement celles d’Adam, Eve, Cain, Abel, Dieu et Lucifer, doté d’une superbe musique tour à tour bouleversante - tout particulièrement les airs d’Eve en mère éplorée - et imagée - les déferlements d’onomatopées d’instruments et de percussions qui accompagnent le moment du meurtre.
René Jacobs avait été le premier à redécouvrir cet oratorio oublié, l’enregistrant en 1997 pour Harmonia Mundi à un moment où il était encore chanteur (c’est lui qui incarne alors la voix de Dieu) et déjà chef : récemment réédité, le disque vaut le détour. Vingt ans plus tard, c’est logiquement à lui que l’Opéra de Paris a fait appel pour diriger une série de représentations mises en scène par Romeo Castellucci, occasion pour le chef gantois de faire enfin ses débuts à l’Opéra de la ville où il a élu domicile.
Théâtralement, on n’est pas convaincu. Si un directeur d’acteurs inventif et aguerri comme Claus Guth réussit à transformer les oratorios de Haendel en véritables drames théâtraux, Castellucci se contente ici d’une mise en images assez plate du drame biblique. Images au pluriel car, comme pour son Parsifal ou sa récente Flûte enchantée à la Monnaie, l’Italien change radicalement son univers scénique après l’entracte. Sans véritable raison ici (la deuxième partie n’est que la suite de la première, sans changement de lieu ni d’époque), il propose d’abord un univers à la Robert Wilson - halo de lumières bleutées, poses hiératiques et costumes civils modernes -, avant d’opter après l’entracte pour un décor différent (ciel étoilé et lande de bruyères à la Claus Guth) où les chanteurs viennent chanter dans la fosse en étant dédoublés sur scène par des enfants qui feignent de chanter. Le tout est assurément joli, mais en même temps ampoulé et totalement dépourvu d’expressivité théâtrale, à telle enseigne que l’ennui guette parfois.
Distribution inégale
Jacobs n’en peut rien, qui dirige avec le soin qu’on lui connaît la belle partition de Scarlatti. Il a choisi de faire appel à l’orchestre flamand B’Rock, dont la plupart des membres jouent debout pour leurs débuts dans la prestigieuse fosse du Palais Garnier. Par contre, on est surpris que le Gantois ait accepté de se contenter d’une distribution plutôt pâle, avec des chanteurs honnêtes mais inégaux dont on ne retiendra que le Caïn de Kristina Hammarström et le Lucifer de Robert Gleadow.
Paris, Palais Garnier, jusqu’au 23 février, www.operadeparis.fr. Diffusion sur France Musique le 17 mars.