Rolling The Stones et Mr Cover racontent leur épopée… et leurs galères
Étienne Vion a lancé Rolling The Stones en février 2017. Depuis le groupe essaie de trouver son chemin dans l’univers belge des cover bands et tribute acts.
Publié le 26-01-2019 à 08h29 - Mis à jour le 26-01-2019 à 10h16
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Étienne Vion a lancé Rolling The Stones en février 2017. Depuis le groupe essaie de trouver son chemin dans l’univers belge des cover bands et tribute acts. S’il s’était égaré un samedi soir du mois de novembre du côté du Rideau Rouge à Lasne, un dyslexique aurait pu avoir un doute : mais que pouvaient bien faire The Rolling Stones dans cette salle du Brabant Wallon, à animer les cinquante ans d’un club de foot ? Une apparition surprise comme l’avait fait Paul McCartney dans un pub de Liverpool lors du tournage d’une émission de James Corden ou un petit concert privé dans le style de Prince avant un passage dans une salle "conventionnelle" ?
À y regarder de plus près, notre ami dyslexique aurait quand même débusqué le lièvre. Si Rolling The Stones peut tromper avec son nom (on vous rassure, ce n’est pas l’ambition) et si les tubes du groupe anglais sont parfaitement exécutés, l’apparence physique des artistes ne prête pas à confusion.
"Cela fait 42 ou 43 ans que je monte sur scène pour chanter", raconte Etienne Vion, le Mick Jagger de Rolling The Stones. "Avec ma dégaine, on m’a souvent dit que je ressemblais à Iggy Pop - je finis souvent torse nu - ou à Mick Jagger. Si je mets des vêtements un peu bariolés et que j’ai coupé les cheveux qui étaient très longs, je ne pousse pas le vice à ressembler point pour point au vrai chanteur des Stones. Et je n’impose pas à mes musicos tel ou tel artifice pour qu’on les identifie à Keith Richards ou Ron Wood. En même temps, je les ai choisis plus jeunes que moi. Quand je vois les Stones maintenant à 73-74 balais, ils sont "fit", ils n’ont pas de ventre. Il faut quand même un peu coller à l’image. Je constate que les tribute acts qui fonctionnent les mieux sont ceux dont les artistes incarnent le mieux ceux dont ils reprennent le répertoire. Dans Rolling The Stones, on essaie de coller à l’esprit. Les Stones sont bien moins exubérants qu’il y a quelques années. À l’époque, du reste, je n’aimais pas trop Mick Jagger ; je le trouvais trop arrogant. Je l’ai vu récemment répondre à une interview en français et je trouve qu’il a merveilleusement bien vieilli. C’est un modèle."
À la base, les Stones, ce n’est pas trop le kif d’Étienne Vion. "Je suis un peu trop jeune (61 ans, NdlR) pour les avoir écoutés quand j’étais ado. Moi, j’étais à fond avec Led Zep, Genesis version Peter Gabriel ou Deep Purple. Les Stones, je les ai redécouverts vers 40 ans. Je ne les ai vus que deux fois sur scène. En 1990 pour la tournée Voodoo Lounge et il y a six ans au Portugal. C’est ma copine qui m’a proposé d’aller voir le concert, moi ça ne m’excitait pas trop. Mais ce concert à Porto fut inoubliable."

C’est en février 2017, qu’Étienne Vion monte Rolling The Stones, son premier tribute act. "De 1977 à 1985, je chantais en français dans Les Zitrone - le nom devait faire le buzz. On a autoproduit en 1980 un 45 tours. Ce projet est ensuite devenu compliqué à gérer au niveau familial. Ensuite, j’ai été rattrapé par un pote et on a monté un duo Marcel et Gérard, un truc farfelu, du Rock and Drôle. Nous étions torses nus et en salopette et nous chantions un peu de tout. Et cela a duré pendant 22 ans. En parallèle, j’avais un groupe de covers dans lequel on interprétait Rage Against The Machine, Les Red Hot, ACDC, Blur, Kravitz… Toute l’histoire du rock en fait. Mais ce projet s’est épuisé. Moi, je voulais jouer des trucs plus accessibles et mes musiciens voulaient des compos où ils pouvaient montrer toute la justesse de leur exécution. A priori, les morceaux des Stones ne sont pas très techniques. En plus, je cherchais quelque chose de plus confortable vocalement pour moi. Quand je devais reprendre ACDC ou Deep Purple, par exemple, c’était un peu trop haut pour moi."
Étienne Vion connaît ses limites : "Je ne suis pas un assez bon musicien pour faire des trucs tout seul. Il faut avoir le feu sacré pour monter un groupe qui joue ses propres compositions. Il n’est pas facile de trouver son public. Et si tu n’as pas un peu de succès, tu t’épuises très vite. Avec Marcel et Gérard, ça tournait tout seul. Cette reconnaissance faisait plaisir même si ce n’était pas mon ADN pur. Composer, c’est extrêmement exigeant."
Mister Cover remet le couvert à Forest National ce samedi 26 janvier. De quoi inspirer Rolling The Stones. "J’ai fait trois fois leur première partie avec Total Foutrock (l’autre projet, un cover band, d’Étienne Vion, NdlR). Mister Cover s’est adapté pour plaire à son public. Le groupe s’est remis en question et a bossé dur. Respect total."
Rolling The Stones n’a pas atteint la notoriété du groupe binchois. "On se produit généralement dans des bars. Nous avons depuis peu deux bookers qui devraient nous faire tourner dans toute la Belgique et aux Pays-Bas. On demande, selon les circonstances, entre 400 et 1.500 euros pour un concert. On peut se déplacer avec une formation minimale pour le prix le moins élevé à partir du moment où les conditions techniques et autres sont valables. Bien sûr, on a déjà connu quelques galères. Une fois, on a été booké pour le Télévie. Il y avait dix gusses dans le chapiteau. L’organisateur avait même fait venir un groupe italien qui, faute de public, n’a pas joué. Et il a été payé… On a bien sûr tous un boulot sur le côté. Moi, je suis prof de français. Mon batteur est avocat. Un de mes guitaristes est ingénieur en informatique, l’autre moniteur de sport."
Mr Cover: "La prétention entraîne le mépris"
Mr Cover joue ce samedi à Forest National. Nicolas Dieu, le chanteur, essaie d’analyser le phénomène et revient sur ses années de galère.
Je vais crever de tristesse". C’est en sortant d’un bar près de Beaumont que Nicolas Dieu, alors accompagné du seul Sébastien de Harvengt, en vient, les paupières humides à ce triste constat. "On venait de jouer, en duo avec une formule live dj, dans un bar face à des gens méprisants. C’est à peine s’ils ne nous lançaient pas de billets de 5 euros à la tronche. Nous avons fait preuve d’abnégation, de retenue mais en sortant de là, je me suis dit qu’il était temps d’arrêter."
Heureusement, une semaine après, c’est à un public accueillant et chaleureux que Junior Cover, le groupe fondateur de Mister Cover, fait face. "Dans ce cas-là, on a envie de se défoncer."
Nicolas Dieu, le chanteur du groupe, estime à sa juste valeur le chemin parcouru depuis 2002 et la fondation de Mister Cover. "Nous avons certainement réussi à nous adapter aux demandes de notre public mais notre démarche a toujours été honnête, nous avons toujours été attentifs à ce qui fait vibrer les gens. À la base, nous n’avions pas de plan de carrière, nous voulions simplement devenir un bon groupe de divertissement. Nous ne nous sommes pas rendu compte que nous mettions les pieds dans un univers en plein développement. Depuis, je me suis un peu intéressé au phénomène. Les groupes de reprises, c’est vieux comme le monde. Et ça n’existe pas que dans la musique. Si on transpose ça au théâtre, on constate qu’on reprend toujours du Shakespeare, du Molière ou du Kundera et que personne ne s’étonne de cela. Le rock, c’est une culture très jeune, très récente. Et nous ne faisons que la transmettre. Comme d’autres rejouent des airs celtes très anciens ou des grands thèmes de jazz. Il est vrai que maintenant il y a un coup de projecteur sur le phénomène. Mais nous ne sommes qu’un groupe de bal, sans le côté péjoratif. Mais un vrai p… de bon groupe de bal. Nous essayons de transmettre des émotions à notre public, des émotions vraies. Nous sommes dans l’authenticité, pas la fidélité. Nous partageons des madeleines de Proust."
La façon de "consommer" la musique a également évolué ces dernières années et cela s’est constaté, notamment, avec l’achat de singles sur iTunes ou l’écoute de playlist sur Spotify. Le public, désormais, n’adore plus écouter ou découvrir un album dans son intégralité, il préfère passer d’un artiste à l’autre.
"C’est dommageable pour la démarche artistique car moi je suis amoureux de l’œuvre. Quand on écoute Another Brick in the Wall, c’est bien. Mais il faut écouter l’album en entier. Comprendre pourquoi Pink Floyd arrive à cette chanson et vers quoi elle part. Comme auditeur, je préfère souvent les face B aux singles mais en tant que chanteur de Mr Cover, mes choix doivent être différents. Nous pouvons tomber dans la facilité au niveau des choix mais pas de l’interprétation. On finit nos concerts par La salsa du démon. Par une farandole de 7.000 personnes. Quand le Grand Orchestre du Splendid a écrit ce texte, c’était pour se marrer, déconner. On garde cet état d’esprit. Mais il ne peut pas être le même quand on interprète Bohemian Rhapsody…"
Si le public n’a plus l’habitude d’écouter un album dans son intégralité, il a, par contre, retrouvé le chemin des salles de concert. "Je suis un grand consommateur. L’offre est incroyablement fournie. Depuis la crise de 2008, j’ai l’impression qu’il y a plus de morosité, de lassitude et même maintenant de colère dans la rue. Les gens ont besoin de se retrouver. Ils ne vont désormais plus à la messe mais dans des stades de foot ou à un concert. Et c’est mieux dans une salle de spectacle car les gens, contrairement, au foot, partagent la même dynamique."
Nicolas Dieu a lancé Oh Mon Dieu, un groupe de création et de compositions en français. "Ce n’est pas une tentative revanche par rapport à ceux qui méprisent mon travail dans Mister Cover. Que serais-je si je marchais à l’amertume ? Les critiques sont blessantes dans un premier temps mais avec Oh Mon Dieu je reste attentif aux opportunités. Évidemment, je jouerai plutôt dans le Club de l’AB pour la sortie de l’EP que dans la grande salle. Mais j’en suis heureux. À 42 ans, j’ai pris mon courage à deux mains et j’ai lancé Oh Mon Dieu. D’autres ont besoin d’aller à Saint-Jacques-de-Compostelle ou de gravir l’Everest. Je connais des groupes qui ont sorti des supers CD mais qui n’arrivent même pas à les jouer sur scène. Des mauvais artistes, il y en a même avec leurs compos."

Les droits et devoirs des cover bands
Olivier Maeterlink, Head of Corporate Communication&Members relation à la Sabam décrit les droits et les obligations de ceux qui veulent reprendre le répertoire d’autres. "Quand c’est juste une représentation publique, il faut juste que l’organisateur verse un cachet aux interprètes et un droit d’auteur aux ayants droit. Dans le cas d’un enregistrement, d’une vidéo, d’un dvd, il faut demander une autorisation préalable aux auteurs ou à la maison de disque qui les représentent. Il y a un doit moral, d’adaptation et de reproduction pour lesquels il faut une autorisation. On peut le demander à l’éditeur."
À la Sabam, on a constaté un succès croissant de ce type de phénomène au fil des ans. "On le vérifie depuis quinze-vingt ans : les gens sont de moins en moins enclins à payer pour un CD, un téléchargement ou un streaming mais ils sont prêts à payer, parfois cher pour aller voir un concert. Souvent les cover bands ou les tribute acts reprennent le répertoire de grosses pointures dont certains membres (voire tous) sont décédés ou du moins dont le groupe est séparé. Des groupes qui existent toujours dans le cœur des fans. Je me souviens que Rock Werchter avait invité un cover band d’Abba. Quand il y a une forte demande de reformation et que celle-ci ne se fait pas, des artistes s’engouffrent dans la brèche."
À Rock Werchter, on se souvient d’avoir programmé Bjorn Again en 1999 et The Australian Pink Floyd Show en 2007. "Pas de quoi parler de tendance pour nous", estime Nele Bigare responsable de la communication à Rock Werchter et Live Nation.
"Nous reversons beaucoup d’argent à la composition"
Mr Cover et Nicolas Dieu se défendent de piquer des parts de marché aux groupes originaux. "Avec Mr Cover, Lady Cover, Cover Junior et Rock and Roll Hits (avec Marc Ysaye), nous faisons plus ou moins 130 représentations par an. À chacune d’elle, on verse entre 450 et 2.000 euros de droits d’auteurs. Faites le compte. Cet argent retourne à la composition, donc je ne vois pas en quoi un groupe de cover est un souci en terme d’économie. On fait seulement deux ou trois dates durant les festivals d’été. Et ce quand un organisateur plus ouvert et compréhensif décide de faire plaisir à son public lors de la clôture du festival. Alors nous passons après Christophe Maé, Kyo ou Lavilliers. Nous ne sommes pas programmés à Dour ou Werchter. Quand on réserve la date de Forest National, c’est parce qu’elle est libre. On ne la prend à personne. On n’a pas ce style d’appréciation en Flandre ou en France mais juste en Wallonie et à Bruxelles. Du reste, l’AB et Forest, c’est plutôt flamand. Eux, leurs seules questions, c’est de savoir si nous sommes honnêtes ou pas. Rentables ou pas. Nous avons énormément de respect pour les groupes créatifs : à tout moment, ils peuvent sortir une chanson qu’on va reprendre. Je vois parfois Matthew Irons de Puggy backstage. Un jour, il est venu me voir. Il venait de recevoir son relevé de la Sabam. Il m’a dit : "Nico, tu reprends du Puggy ? ! C’est génial, merci. Quel honneur. Je bois un thé avec ma femme et pendant ce temps-là tu joues une de mes chansons et je gagne de l’argent. Top."