Comment ça se passe dans la tête d'Olivier Py
- Publié le 30-01-2019 à 09h04
- Mis à jour le 30-01-2019 à 10h52
L’opéra "La Gioconda" de Ponchielli est montré en ce moment à La Monnaie. Comment fonctionne l’esprit de créativité de son metteur en scène, Olivier Py ? Reportage, pour y répondre, dans les coulisses de la mise en scène. 12 décembre 2018. Le jour de la maquette
Pour lever toute ambiguïté, ce n’est une œuvre ni trop longue ni trop ennuyeuse, et la musique est sublime !" Olivier Py, sourire en coin, et mèche au vent - quand il se déplace devant les hauts gradins de la salle Malibran -, prend la parole devant les équipes de La Monnaie, pour présenter l’opéra de La Gioconda, qui se donne à partir du 29 janvier. Si les effectifs sont quelque peu diminués par les méfaits des angines hivernales, la majorité de l’équipe de l’opéra bruxellois est là pour la présentation de maquette du metteur en scène français, qu’on connaît aussi comme étant le directeur du Festival d’Avignon.
Peter de Caluwe, directeur de La Monnaie, aux côtés de Py, livre, d’emblée, la force de La Gioconda. "C’est l’apogée du drame italien, c’est Puccini et ce n’est pas Puccini. Ce sont des références qui vont dans tous les sens, qui regardent le passé et qui vont déjà vers le futur… Mais le goût du temps nous a imposé un autre répertoire, on a trouvé cet opéra trop bourgeois." C’est pourtant un opéra qui crée l’émoi : Peter de Caluwe avoue avoir été marqué dès son adolescence par cette histoire.
"Nous avons les moyens de réaliser cet opéra aujourd’hui", et on comprend pourquoi il dit cela, car La Gioconda, ce n’est pas une œuvre modeste, mais bien 2 h 40 de musique, du ballet, septante choristes. Et parce que, comme dit Olivier Py, "La Gioconda, c’est l’Everest à chanter", il y aura aussi deux distributions, pour assurer les représentations jusqu’au 10 février.

15 janvier 2019. Décor et répétition scénique
Nous atterrissons sur le plateau de La Monnaie en pleine installation des décors. Marc Dewit, responsable de la coordination technique pour cette production nous invite gentiment à reculer, en levant le nez. "Car tout le décor est installé dans des cintres, au-dessus de vous."
On se souvient comment Olivier Py avait expliqué son point de vue à son équipe : "Dans cette Venise où il n’y a pas de terre, tout vient du haut, ce qui donne une grande force onirique, car c’est forcément le cauchemar qui descend du ciel."
Et parce que tous les changements de décors se font à vue, la machinerie doit être d’une précision millimétrée, ajoute Marc Dewit, dont le boulot est de concrétiser la mise en scène née dans la tête d’Olivier Py.
L’homme l’avait joliment dit à la présentation de maquette : "Le décor doit danser La Danse des Heures, lui aussi." Challenge relevé. Mais si ce n’était que cela…
Les techniciens de La Monnaie sont occupés à un second enjeu, de taille, dans ce décor imaginé par Py et son acolyte, Pierre-André Weitz : une piscine. Ou plutôt un pédiluve, puisqu’il ne s’agit que d’un centimètre d’eau, sur la totalité de la scène de La Monnaie. Une fine couche d’eau qui place de manière définitive La Gioconda dans la lagune vénitienne.
Des discussions techniques très pointilleuses se tiennent alors : quelle température pour l’eau ? Du froid, du chaud ? "L’idée est aussi de créer une sorte de buée/brouillard, dans cette Venise angoissante. Car, la nuit, à Venise, il n’y a pas de réverbères, et les rues sont étroites", avait ajouté Pierre-André Weitz, le jour de la présentation des maquettes.
Les sources de lumière, modestes - des flambeaux ou lampes torche -, devront se refléter, avec une fragilité tremblée, dans l’eau mimée du canal de la Giudecca. Bref, ce pédiluve n’est pas qu’un pédiluve : il est aussi le moyen de créer une ambiance glauque au cœur d’un décor qui ressemblera à tout sauf à la Venise des spritz posés sur les nappes à carreaux des pizzerias.
Et Marc Dewit, qui a entendu l’enjeu, ne lâche pas l’idée chère à Olivier Py. "Il y aura d e l’eau sur scène, poursuit-il, mais du feu aussi", car cet opéra montre également la fin d’un monde, qui voit les Vénitiens fuir, et leurs bateaux prendre feu. "Les pompiers seront là, aussi, en coulisses", conclut-il, pour rassurer notre tête étonnée ; mais déjà, il doit filer. On l’a saisi, tout le monde a bien l’intention de réaliser l’opéra fantasmé dans la tête d’Olivier Py.

26 janvier 2019. La générale
Olivier Py s’avance sur la scène de La Monnaie, et entonne, en lisant sur son téléphone, les paroles des "Moulins de mon cœur", de Michel Legrand. Le compositeur français, formidable parolier de l’amour, est mort ce matin, et Py, dont on connaît la passion pour le chant, lui rend hommage, tout en imposant le silence qui précède le lever de rideau de son opéra.
La première scène - des danseurs qui avancent comme sur Le Radeau de la Méduse, semi-habillés, semi-égarés - donne raison à Aurore Aubouin, que nous avions rencontrée quinze jours auparavant, durant les répétitions scéniques.
"La nudité fait partie de l’esthétique d’Olivier Py." La responsable de la production artistique pour La Gioconda a pour rôle de faire se rencontrer la pensée d’Olivier Py avec les aspects pratico-artistiques.
Les danseurs doivent sautiller dans la piscine pour créer une esthétique de flaques d’eau : on a donc testé si les souliers allaient glisser. Les chanteurs seront amenés à monter et descendre dans le décor vertical : on a vérifié qu’ils n’avaient pas le vertige. "C’est la quatrième production avec Olivier Py (on se souvient de Lohengrin , l’an passé). J’essaie toujours de me mettre dans sa tête, avoue la jeune femme, je dois voir, sur scène, ce qui pourrait advenir de son idée de départ. Mais, vous savez, Olivier Py est un homme de théâtre, un directeur de festival : les contraintes du spectacle, il les connaît, on peut les lui exposer très concrètement."
Deux semaines auparavant, lors de la répétition scénique où nous nous étions discrètement assise, et alors que les acteurs évoluaient dans un studio sans décor, seulement marqué de quelques repères au sol, Py avait placé, déjà, virtuellement, les artistes dans l’environnement qu’il avait imaginé pour eux. Avec précision. Car, lors de la générale, le résultat dans le décor apparaît tout sauf improvisé. Le jeu de scène est furieusement limpide et, paradoxe, on pourrait comprendre l’opéra sans l’entendre.
29 janvier 2019. La première
Hier soir. Eau, feu, et sang sur scène. Il nous avait prévenue au départ de notre reportage : nous étions entrée dans sa tête "à nos risques et périls, dans ce drôle de labyrinthe".
Nous lui avions encore demandé, à la veille de se lancer, comment il avait fait rencontrer les idées nées dans son cerveau, avec la cervelle de ses coéquipiers. "On n’est pas dans des formes de spectacles industrielles, on a le temps de confronter nos idées, et même si ce sont 200 personnes qui travaillent à cet opéra, cela reste un artisanat. Et puis, j’essaie de convaincre. Enfin, je ne suis pas empirique : je sais à peu près toujours ce que je vais faire de la scène à la répétition. Je déteste faire perdre trop de temps aux artistes, même si les chanteurs sont les gens les plus souples, les plus à l’écoute, que je connaisse."