Cardillac, le joaillier assassin
Jurowski et Joosten dans une brillante production d’un opéra d’Hindemith.
- Publié le 05-02-2019 à 09h36
- Mis à jour le 05-02-2019 à 09h37
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Jurowski et Joosten dans une brillante production d’un opéra d’Hindemith.C’est une œuvre rare. Un de ces ouvrages du début du XXe siècle dans la lignée des Zemlinsky ou Korngold récemment proposés par l’Opéra flamand. Un de ces opéras effacés de l’histoire de la musique parce que jugés trop modernes par les nazis (qui le classèrent dans la musique dégénérée) et pas assez modernes par ceux qui allaient, après la Seconde Guerre mondiale, décréter la seconde école viennoise, atonale et dodécaphonique, comme seule légitime. Paul Hindemith (1895-1963) avait à peine 30 ans quand ce Cardillac fut créé en 1926 à l’Opéra de Dresde et, si l’on ne joue plus beaucoup sa musique aujourd’hui, l’œuvre semblait prédestinée pour le public anversois : inspirée de Mademoiselle de Scudéry, une nouvelle du fameux E.T.A. Hofmann, elle conte le destin de René Cardillac, orfèvre très réputé dans le Paris de Louis XIV, et dont les clients sont mystérieusement assassinés et délestés de leurs bijoux. On découvrira peu à peu que Cardillac est lui-même le tueur en série, à ce point fasciné par ses propres créations qu’il ne parvient pas à s’en séparer. Pour cette création en Flandre, Dimitri Jurowski est de retour, retrouvant la parfaite symbiose et la rondeur sonore qui l’unissent à son ancien orchestre. Sans être exceptionnelle, la distribution est très satisfaisante : on peut mégoter sur l’intonation de certaines attaques de Simon Neal, mais son incarnation de Cardillac est impressionnante théâtralement et par son endurance - les trois actes sont ici donnés sans entracte.
Dernière belge de Joosten
Mais le véritable héros de la soirée est Guy Joosten. Parce que ce Cardillac est sa trentième production lyrique dans sa Belgique natale (il est l’un des seuls metteurs en scène à avoir travaillé pour les trois scènes lyriques nationales), mais aussi la dernière (il dit se consacrer désormais à l’Allemagne, à l’Espagne et à l’Asie). Mais aussi et surtout parce que le Flamand y démontre une fois encore son talent de conteur, ni provocateur facile ni simple illustrateur de didascalies. La transposition de l’action dans l’Allemagne de l’époque de la création de l’œuvre permet un mélange habile entre théâtre et cinéma expressionniste (Metropolis ou Le Cabinet du Dr Caligari sont cités comme référence). La gestion des chœurs est virtuose, les décors et costumes (Katrin Nottrodt) sont superbes et l’on se prend finalement de sympathie pour ce Cardillac mi-génie mi-bouffon qui se couronne lui-même en roi de pacotille.
---> Anvers, jusqu’au 12 février ; Gand, du 21 février au 3 mars ; www.operaballet.be