Lou Doillon se met en danger: "Mon agent m'a dit que j'étais une grande malade"
Lou Doillon est de retour avec un troisième album, "Soliloquy". Un disque plus rock que ses prédécesseurs. Rencontre à Bruxelles avec la chanteuse française.
- Publié le 07-02-2019 à 09h39
- Mis à jour le 07-02-2019 à 09h40
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Lou Doillon est de retour avec un troisième album, "Soliloquy". Un disque plus rock que ses prédécesseurs. Rencontre à Bruxelles avec la chanteuse française. Et de trois pour Lou Doillon. Après Places sorti en 2012 - double disque de platine - et Lay Low en 2015, la voici de retour avec Soliloquy, son troisième album studio. Le plus rock malgré l’étiquette "alternative" que lui attribue iTunes, ce qui ne manque pas de faire rire la chanteuse lorsqu’on la rencontre dans la grisaille bruxelloise du mois de janvier. Au menu : douze titres ne dépassant jamais les quatre minutes et autant de pépites pleines d’énergie. Sans détonner avec ses prédécesseurs, voilà qui tranche.
"Quand on est capitaine de vaisseau, souvent on sait où on va. Et quand on ne sait pas, on a intérêt à bluffer sinon l'équipage part en vrille"
Comment est né ce nouvel album ?
J’avais un désir de fantaisie, d’y aller plus fort et peut-être, aussi, d’être vigilante sur ce qui pouvait relever du confort. L’idée était de me mettre en danger, de prendre une direction vers quelque chose que je ne connais pas bien.
C’est-à-dire ?
L’élément le plus rassurant pour moi, c’est la guitare acoustique, je me donc suis interdit d’aller en studio avec ma guitare acoustique. Lors du dernier concert que j’ai donné à la Flèche d’Or, j’ai eu un moment d’angoisse monumental. J’ai toujours peur avant de monter sur scène, mais, cette fois-là, je n’arrivais pas à revenir à moi, je n’étais plus en tonalité. J’étais en panique totale et, parfois, dans ces conditions, on a le bon instinct. J’ai dit à mon manager que j’allais monter sur scène pour commencer le concert toute seule, avec ma seule voix et en tapant avec mes boots pour donner du rythme. En sortant de scène, mon agent m’a dit que j’étais une grande malade d’avoir décidé ça quatre minutes avant de monter sur scène alors que j’étais filmée. Mais ça m’a permis de me retrouver, de trouver le nerf pour reconstruire ce qu’il y avait autour. Après le premier titre, le groupe est venu et c’était parti. Je me suis dit qu’il fallait que je rentre en studio avec ce nerf-là. On a commencé batterie-voix, avec des riffs de guitare électrique, à l’opposé de ce que j’ai pu faire avant.
Vous aimez vous mettre en danger ?
J’adore ça. Quand j’étais actrice, nous étions 60 à 80 à suivre la vision ou le rêve d’un réalisateur ou d’une réalisatrice. C’est extraordinaire. Maintenant que je suis dans la position d’être réalisatrice et coproductrice de mon album, c’est amusant de voir que c’est de l’ordre du bluff. Quand on est capitaine de vaisseau, souvent on sait où on va. Et quand on ne sait pas, on a intérêt à bluffer sinon l’équipage part en vrille. Cette responsabilité est très excitante. Elle fait peur mais elle nous garde en vie.
Vous avez invité la chanteuse et compositrice américaine Cat Power sur votre album…
C’est une belle histoire. Je suis une fan de la première heure. Grâce à sa musique, elle m’a tenu la main dans plein de moments de ma vie, les hauts comme les bas. Quand Lay Low est sorti, j’ai découvert qu’elle avait mis sur Instagram la photo de la pochette en disant que l’album était sublime. Quel bonheur, c’était mieux qu’un cadeau de Noël ou d’anniversaire ! On a fini par se rencontrer plus tard et on s’est plu. Vicieuse comme je peux l’être, je me suis dit qu’il n’y aurait pas de chanson acoustique sur Soliloquy sauf "It’s You" si et seulement si je peux la chanter avec Cat Power. Elle a dit oui. Le plus joli, c’est que nous n’avons pas enregistré le titre ensemble, je lui ai envoyé la musique et elle a fait ce qu’elle voulait. Je lui ai juste dit que ce n’était pas une chanson triste. Certes, le mec est parti mais la grande fierté, c’est qu’on a été amoureux. Quel bonheur que d’avoir été capable d’aimer quelqu’un.
Le cinéma, c’est définitivement fini ou entre parenthèses ?
J’adore la générosité offerte par le métier d’acteur mais ça demande un projet et de la disponibilité. Or, pour l’instant, j’ai été obnubilée par la musique et le projet n’est pas arrivé. Il y a des projets de théâtre qui m’ont vraiment donné envie. Il s’agissait de jouer La Mouette à Avignon. C’était un peu la consécration d’une vie. Mais c’était deux mois avant la sortie de Places et je me suis rendu compte que je ne pouvais pas, six à sept heures par jour minimum, essayer de comprendre ce que j’étais, et puis le soir, baisser les armes pour devenir l’objet de quelqu’un d’autre. Étrangement, je suis polyvalente mais pas multitâches. Quand l’objet "Lou Doillon musique" sera plus clair dans ma tête, je pourrai peut-être le mettre sur pause par moments et aller me remettre au service de quelqu’un d’autre. Au cinéma, par exemple.
Verra-t-on un jour un projet commun avec votre demi-sœur Charlotte Gainsbourg ?
Je me suis posé la question de savoir si je n’écrirais pas quelque chose pour Charlotte ou pour maman (Jane Birkin, NdlR), mais je crains d’avoir pris une position très masculine dans cette histoire. Je ne pense pas que j’aimerais soumettre cela à quelqu’un de trop proche (rires). Et je ne suis pas sûre qu’en face, il y ait un désir de se retrouver avec la petite dominante (rires).
“Les humoristes sont les plus courageux d’entre nous”
Monter sur scène, c’est le paradoxe le plus merveilleux, confie Lou Doillon. Il y a d’un côté un delirium d’ego qui est de se dire qu’il est normal que 2 000 personnes viennent me voir. Et de l’autre, c’est tout de même d’une violence rare que de se soumettre à l’avis de 2 000 personnes.” Cela ne l’empêche pas d’aborder des choses très personnelles dans ses disques, en particulier dans Soliloquy qui semble tout droit tiré du journal intime qu’elle tient depuis des années. La critique, elle l’assume puisque, dit-elle, “personne ne peut me critiquer aussi fort que je peux le faire, car je connais très bien mes limites” .
À une époque où on se demande tous ce qu’il convient de dire ou de ne pas dire, c’est des comiques qu’elle se sent le plus proche. “C’est avec eux que je peux le mieux m’entendre, dit-elle, car il n’y a rien de plus tragique et drôle que la vérité. Blanche Gardin et les autres sont les plus courageux d’entre nous. Ils balancent des réalités et on rigole parce que c’est tragique. Je suis admirative.”
Elle raconte à quel point écouter Desproges l’a fait rire à se rouler par terre : “Il y a un tel niveau d’intelligence, de drôlerie, de remise en question et d’analyse. Et derrière tout ça, quel amour. Ce sont de grands humanistes.”
Mannequin, comédienne, dessinatrice…
Après de tels éloges pour les humoristes, elle qui n’a pas sa langue en poche et déjà plusieurs cordes à son arc – mannequin, comédienne, dessinatrice, chanteuse – ne se verrait-elle pas en ajouter une de plus en tentant l’aventure du stand-up ? “Je n’ai pas cette ambition-là, coupe-t-elle immédiatement. Je ne pourrais pas parce qu’ils sont vraiment courageux ! Et puis, il y a le talent de sentir la salle. C’est très compliqué.” Qu’à cela ne tienne, Lou Doillon montera sur scène pour chanter. Elle se produira le 17 avril à la Rockhal d’Esch-sur-Alzette, au Luxembourg, et lors des Nuits Bota, à Bruxelles, le 29 avril.