Mark Grey, l’inattendu de Frankenstein
- Publié le 07-03-2019 à 11h28
- Mis à jour le 08-03-2019 à 11h02
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Quand un compositeur américain inconnu ici signe une création à la Monnaie.On cherchera en vain le nom de Mark Grey dans les programmations d’Ars Musica ou dans les listings d’Operabase, le site qui recense tous les opéras récemment donnés dans le monde. S’il est loin d’être un débutant, le compositeur du Frankenstein qui sera créé ce vendredi à la Monnaie a peu été prophète en dehors de son pays - les États-Unis -, et ses états de services purement lyriques sont rares. On peut même deviner, à écouter ce qu’Internet permet de découvrir de ses créations précédentes, que sa partition sera plus proche de l’école américaine post-Glass et Adams que des postsériels et post-Darmstadt qui dominent en Europe.
La genèse du projet explique en partie ce choix surprise. Le premier artisan de cette création n’était ni le compositeur ni même Peter De Caluwe, le directeur de la Monnaie, mais le metteur en scène Alex Olle, cofondateur du collectif catalan La Fura dels Baus : c’est lui qui a eu l’idée de porter à l’opéra le roman de Mary Shelley, et de transposer l’action dans le futur. Initialement, le projet avait été pensé à l’occasion du bicentenaire de la publication du roman original en 1818, et la création avait même été annoncée pour 2016 : mais l’impossibilité de réaliser dans la salle provisoire de Tour & Taxis les décors requis a conduit à retarder le projet.
"Je pense que la Monnaie voulait un compositeur britannique ou, éventuellement, américain, parce que le sujet d’origine est très anglais, et relié à la langue de Mary Shelley", explique Grey, manifestement heureux de l’opportunité ainsi ouverte. Mais un autre élément, plus spécifique, justifie sans doute son choix : il n’est pas seulement compositeur, mais aussi designer sonore, c’est-à-dire spécialiste de toute une série d’effets distincts de la musique classique traditionnelle mais qui s’y intègrent. Il a même été, pendant un quart de siècle, l’homme de l’ombre derrière John Adams : "J’ai rencontré John Adams en 1991, juste après la création, ici à Bruxelles, de The Death of Klinghoffer. J’ai été responsable de tous ces aspects technologiques qu’il souhaitait intégrer dans sa musique. Pour Frankenstein, je mêle ainsi à l’orchestre traditionnel une série d’éléments de technologie, des paysages sonores qui évoquent une réalité alternative dans le futur ou encore des battements de cœur, des bruits de chocs électriques."
Dimension philosophique
Frankenstein dans le futur ? Ce sont les opportunités de production des studios hollywoodiens qui justifient que la célèbre adaptation cinématographique de 1931 avec Boris Karloff dans le rôle de la créature ait eu pour décor un château gothique employé quelque temps plus tôt pour Dracula. Mais rien dans le roman de Mary Shelley n’imposait une telle vision. Dans l’opéra de Grey, l’action se construit comme un flashback au départ de la découverte d’un être congelé sur la banquise lors d’une expédition scientifique au pôle Nord : "Il y a une évidente dimension philosophique dans le roman de Mary Shelley - il ne faut d’ailleurs pas oublier que la mère de l’écrivain était morte à sa naissance et qu’elle avait été élevée par son seul père, un philosophe. En imaginant cette histoire d’une créature reconstituée à partir de membres épars de divers êtres humains, elle s’interrogeait sur les contraintes et les limites de la recherche scientifique. Et il est évident que ces questions se posent plus encore aujourd’hui, à l’heure des recherches sur le génome, des drones, des manipulations d’ADN ou des embryons scindés."
Bruxelles, la Monnaie, du 8 au 19 mars ; www.lamonnaie.be