Weezer, l’art d’entretenir le mythe pendant vingt-cinq ans
- Publié le 07-03-2019 à 09h44
- Mis à jour le 08-03-2019 à 11h02
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Le groupe californien revient tout en noir avec un treizième album.
L’année 1994 restera toujours une période charnière pour les fanatiques de guitare électrique. En se suicidant à coup de shotgun, Kurt Cobain emporte avec lui une bonne partie de la vague grunge, Oasis et Blur propulsent le brit rock au sommet, et le pop punk déferle sur les ondes du monde entier avec les cartons des amuseurs californiens calibrés pour MTV que sont Green Day et autre Offspring. Débarque alors un ovni. Un mois après la fin brutale de Nirvana, Weezer sort un premier album éponyme. Un chef-d’œuvre du genre, rebaptisé le Blue album par les fans du quatuor de Los Angeles, en référence à la couleur de sa pochette.
L’heure est aux gros riffs et Weezer ne fait pas exception à la règle, mais le groupe apporte quelque chose de neuf. Il allie le gros son de rigueur à un sens inné de la mélodie, un univers pince-sans-rire et ultra référencé à la culture pop américaine qu’il prend un malin plaisir à parodier (le clip mythique de Buddy Holly dans le décorum de la série Happy Days par exemple) et des textes désabusés, nettement plus subtils que ce que l’on retrouve par ailleurs dans le genre.
Et puis ? Une production pléthorique (13 albums studio au total), une flopée de hits diffusés en radio (Hash Pipe, Pork And Beans, Beverly Hills, Island in the Sun…) et autant de clips déjantés pour les mettre en images.
"Rivers (Cuomo, chanteur, compositeur et guitariste du groupe, NdlR) écrit de la musique en permanence", nous explique Brian Bell, le second guitariste du groupe, que nous contactons chez lui à Los Angeles. "Quand on termine l’enregistrement d’un album, il a déjà écrit et conceptualisé le suivant. C’est une sorte de petit génie de la musique. Il observe les charts, les tendances, se nourrit de tout ce qui existe autour de lui, et se le réapproprie avec Weezer." Ce faisant, le groupe assure sa subsistance, s’offre quelques coups de maître… Et se perd quelque peu en chemin. Les albums vert, rouge, blanc et noir (lire ci-contre) n’égalent jamais le fameux album bleu. Les nombreux fans de Weezer ne semblent pourtant pas leur en tenir rigueur, et voient défiler cet arc-en-ciel de couleurs, sans s’attendre à retrouver la fraîcheur du passé.
Même moins bon, le groupe reste une icône. "Le rock comme genre mainstream n’existe plus, se désole Brian Bell. Nous sommes allés aux Grammy Awards cette année, et le rock n’est même plus inclus dans la cérémonie officielle. Cette partie est enregistrée des heures avant, dans une autre salle de Los Angeles. Alors je pense que si Weezer a pu survivre, en plaçant systématiquement des singles en radio, c’est précisément parce que Rivers a été capable de maintenir et entretenir son univers." Et Brian dans tout ça ? "Oh, moi, je n’ai jamais aimé les guitares rutilantes. Je viens en studio avec mes idées, je prends systématiquement le contre-pied mélodique de ce que propose Rivers, puis je laisse les techniciens trancher." Simple, efficace, et éprouvé durant un quart de siècle.
The Black Album (**)
Brian Bell imite un poisson qui nage dans l’atmosphère, les enfants ont peur. Puis ce même Bell arrache un rideau dans le décor, Rivers Cuomo écrase des jouets, et les enfants pleurent. Aucun doute, on est dans le monde de Weezer, qui profite du clip du single “High as a kite” pour parodier l’émission américaine Mr. Rogers Neighborhood comme ils l’ont fait avec Happy Days pour leur hit “Buddy Holly” en 1994. Les codes restent donc inchangés, mais Weezer est nettement plus pop, plus épars aussi, passant du très bon (“High as a Kite”, “Too Many Thoughts in My Head”) au tout à fait dispensable (“Can’t Knock The Hustle”, “Living in L.A.”).
Sur ce Black Album ) ) (Warner, sorti le 1/3) comme sur ses deux ou trois prédécesseurs, il manque ce petit “plus”. Cette touche stylistique dans les textes, cette noirceur subtile, ces trouvailles musicales sous-jacentes à la simplicité pop apparente. À composer comme des malades, Cuomo et c ie ont un peu perdu leur mojo au fil des années.