Matthieu Chedid: "L'échec ne m'effraie pas car j'ai commencé ma vie comme un super cancre"
- Publié le 08-03-2019 à 10h47
- Mis à jour le 08-03-2019 à 11h21
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C’est l’histoire d’un petit garçon grassouillet et introverti. Un "fils de" à la voix efféminée, que ses amis et lui-même peinent à apprécier. Un cancre mauvais en tout, qui ne s’intéresse à rien si ce n’est le dessin, et se replie dans son coin, son monde, son univers à lui. Puis il y a la découverte de la guitare, les heures à imiter Jimi Hendrix, et la création de cet alter ego flamboyant. Un personnage plus coloré que nature, conçu sur mesure pour laisser éclater une créativité trop longtemps cadenassée.
M est littéralement Matthieu Chedid, son double, la substantifique moelle de sa personnalité, libérée en 1997 pour faire rêver, sourire et danser. Une sorte d’enfant-adulte excentrique, mi-chouette, mi-rockstar, parvenu à imposer en cinq albums ses chansons poétiques à l’esprit funk immédiatement reconnaissable. Rencontre avec ce personnage curieux mais sincère, dont la sixième œuvre en solitaire (lire ci-dessous) marque déjà les vingt-deux ans de carrière.
M a 22 ans, le personnage a fatalement dû évoluer…
Oui, comme moi, c’est devenu un homme, un jeune adulte (de 47 ans, NdlR) qui a conservé sa part d’enfant. Je me suis apaisé et aligné avec le temps, au fil des années. La paternité m’a apporté une certaine maturité, une masculinité, mais j’ai toujours eu envie de garder une part de poésie, d’enfance, de fantaisie. "M" n’est pas vraiment mon double, c’est un masque, avec lequel j’ai la chance de pouvoir jouer. Je peux assez facilement l’adapter.
Comment vit-on encore sa candeur quand on a près de 50 ans ?
Plus que de la candeur, je dirais que j’ai hérité d’un certain enthousiasme de la part de ma famille et notamment de ma grand-mère, Andrée Chedid, qui était dans l’émerveillement. Tout m’émerveille dans mon quotidien, la notion de quiétude, de bonheur est absolument essentielle pour moi. J’ai la chance de ne pas être blasé, d’avoir développé une nature heureuse. On me dit souvent que je suis complètement déconnecté, que je dois me réveiller parce que le monde va mal. Mais je pense, au contraire, qu’il faut des musiciens, des poètes, des chanteurs, des gens qui sont là pour ramener un certain émerveillement, montrer que l’existence de choses graves ne nous contraint pas à rester en permanence dans la peur et le drame.
Vous avez mis M de côté durant sept ans, y avait-il un risque qu’il revienne dans l’indifférence générale ?
Oui, tout à fait, et j’étais anxieux, comme tous les artistes, parce que je m’exprime par lettres, j’envoie un message, et je suis content qu’il ne soit pas tombé dans le vide. Le succès n’est pas important, mais l’absence de réaction revient un peu à dire "Je t’aime" à quelqu’un qui ne vous répond pas. Tu te prends un vent en quelque sorte. Ceci étant dit, je considère qu’un échec n’a rien de grave. J’ai réalisé un album pour Johnny (Jamais seul en 2011, NdlR) qui a été assez mal compris par le public et la critique. Mais j’aime ce disque, je le trouve cohérent. Je crois que l’échec ne m’effraie pas parce que j’ai commencé ma vie comme un super cancre. J’étais mauvais en tout à l’école. Ça m’a fait souffrir, mais ça m’a nourri, et j’estime que l’art ne doit pas être dépendant du regard extérieur. Si tu te soucies de l’approbation des gens, tu ne fais rien. M n’aurait jamais existé si je m’étais demandé si les gens allaient aimer. Ça n’aurait même pas été la peine d’essayer.
L’écart avec le personnage semble se réduire, non ?
Disons que j’avais envie d’un album plus intime, que j’ai appelé Lettre infinie pour cette raison d’ailleurs, car je le vois comme une série de lettres que je m’écris à moi-même. C’est un retour à moi dans lequel je voulais autant de nuance que de célébration.
Puis il y a votre fille, Billie, la transmission est inévitable chez les Chedid ?
Cette famille est tellement artistique et musicale, que Billie est entourée de musiciens, la pauvre. Elle chante sur le morceau "Billie" et elle assure toutes les voix féminines. Le morceau "L.O.I.C.A", lui, est dédié à la mère de mon petit garçon qui vient de naître, il y a tout juste un mois. Et même si l’album a été composé avant que je le sache, c’est un événement qui me marque. Qui de nous deux était l’album de la naissance de ma fille, c’est pour ça qu’il était rose. Ici, il y a un peu de bleu, c’est pour la naissance de mon fils. Et encore aujourd’hui, chaque fois que je chante "Je dis Aime", je pense à ma grand-mère, pour qui j’ai écrit le texte il y a vingt ans.
M est un Guitar Hero à l’ancienne, presque anachronique, aujourd’hui…
C’est vrai, je suis plus un guitariste qui chante, qu’un chanteur qui joue de la guitare. Mes héros étaient Prince, Jimi Hendrix, et c’est la guitare qui m’a appris à chanter. Ça reste mon arme, mon socle, alors que j’ai toujours du mal avec ma voix. D’ailleurs j’ai vraiment gagné ma crédibilité sur scène grâce à ma pratique de la guitare. C’est ce qui m’a permis d’attirer les gens qui ne comprenaient pas trop mon univers, ma voix, mon look. Le cliché a toujours voulu que les femmes viennent voir M et traînent leurs maris, qui finissaient par dire "tiens mais en fait, il ne joue pas trop mal" (rires). Rien n’a changé et ma guitare sera à nouveau au centre du spectacle.
Justement, à quoi va ressembler cette nouvelle tournée ?
Je serai entièrement seul sur scène, pour raconter les 20 ans de M. Je serai entouré de petits objets fétiches disposés un peu partout, de joujoux comme des batteries automates, et je jouerai de tous les instruments. C’est difficile à expliquer comme ça, il va falloir venir voir le show (rires).
"Un Massaï était en rite de passage, j’ai sorti ma guitare”
Après une tournée en famille (2015) et une escapade malienne (l’album Lamomali en 2017), M revient en solo et au mélange jouissif de basse disco, guitare funk et refrains pop, qui a fait son succès sur Qui de nous deux (2003). “Lettre infinie” ouvre ce sixième album en sensualité, “Superchérie” est un pur produit M dansant et fun, et “Massaï” varie agréablement les plaisirs en abandonnant deux secondes le côté boule à facettes pour donner un peu de profondeur à l’ensemble. Puis il y a le piano-voix de “L.O.I.C.A” et cet “Alchimiste” un poil plus électrique qui évitent au personnage de lasser, tout en exploitant à fond la recette qui l’a popularisé.
Lettre infinie fait fort penser à Qui de nous deux, en quoi est-il différent ?
J’avais envie que tout soit clair et direct, d’où les similitudes avec mes premiers disques. Mais je dirais que je n’ai jamais été aussi explicite. J’ai enlevé beaucoup de métaphores, de fioritures. Musicalement, j’avais à la fois envie d’un retour au funk dansant, et d’épure, d’instrumentaux simples. Après… Je fais ce que je fais et je suis ce que je suis. J’en suis la première victime. Quand on me demande “pourquoi tu chantes comme ça” ou “pourquoi tu joues comme ça”, j’ai envie de répondre simplement : “mais parce que je suis comme ça.”
Vous aviez besoin de passer à autre chose avant de revenir au personnage ?
Oui, très clairement. Les albums comme Lamomali puis la tournée en famille étaient de vraies expériences. Mister Mystère était plus rock, et îl était plus expérimental, opaque, avec des climats et des ambiances particuliers. C’était assumé, mais, en France, ça génère une frustration, parce que les gens ont vraiment besoin de comprendre. Alors je me suis dit “d’accord, cette fois je vais être très clair et donner des clés que je ne donne pas habituellement”. J’avais besoin d’enlever des filtres, de me réinventer. Revenir à mon univers en me contentant de le rhabiller comme il y a vingt ans, ne m’aurait pas intéressé.
Le morceau Massaï sort clairement du lot, il est plus calme, amène une profondeur…
C’est un morceau étonnant, parce que je l’ai composé il y a dix ans. Je l’ai réellement écrit en Tanzanie avec des Massaï, dans la zone des safaris – le Serengeti, le Ngorongoro – où j’ai vécu des moments incroyables. Un jour, j’ai croisé un Massaï qui était en plein rite de passage, au bord de la route. On voyait des gens s’arrêter, donner un peu d’argent… Mais ça me déprimait un peu, alors j’ai sorti ma guitare et j’ai commencé à jouer. Je vous passe les détails, mais ça a fini avec toute la tribu en train de sauter et des larmes dans mes yeux. Cette chanson m’a connecté avec quelque chose de très profond, tous les questionnements occidentaux que l’on peut avoir sur l’Afrique, avant d’être élargie à des questionnements plus larges sur l’acculturation, le déracinement, la déconnexion avec notre environnement.
M, "Lettre Infinie" (Pias), sorti le 25 janvier 2018 - En concert à Forest National le 24 mai 2019.