Au cœur de Musica Mundi, l'école des musiciens de demain
Une école privée à l’enseignement double (général et musical) forme depuis peu les musiciens de demain. C’est à Waterloo, et c’est l’œuvre d’une femme "multifonctions". Hagit Hassid-Kerbel est la fondatrice de Musica Mundi : une école de musique, et de vie aussi.
- Publié le 07-04-2019 à 13h27
Une école privée à l’enseignement double (général et musical) forme depuis peu les musiciens de demain. C’est à Waterloo, et c’est l’œuvre d’une femme "multifonctions". Hagit Hassid-Kerbel est la fondatrice de Musica Mundi : une école de musique, et de vie aussi. Cette école existe dans notre esprit depuis très très longtemps." Le corps légèrement appuyé contre un formidable piano à queue laqué noir, dans lequel on pourrait presque se voir, pas n’importe lequel, un Steinway, Hagit Hassid-Kerbel, en un sourire amusé, martèle : "Oui, l’école existe dans notre esprit depuis longtemps oui, mais, dans la réalité, depuis septembre 2018."
Et, à l’écoute du récit de la fondation de l’école, on comprend sans doute mieux ce que veut dire le mot "longtemps". Et on comprend aussi pleinement ce que peut-être une vie d’engagement.
Hagit Hassid-Kerbel est la fondatrice de la Musica Mundi School, un lieu dont elle rêve depuis des jours et des nuits. Car Hagit Hassid-Kerbel, sans doute, dort peu emplie de ce projet, qui crée, chez elle, une flamme, un feu - auquel on peut se réchauffer le temps d’une matinée à ses côtés.
Comment ça, pas de Belges au Reine Elisabeth ?
Trottant devant nous dans les couloirs de l’école, l’ancien monastère de Fichermont (cf. épinglé ci-dessous), elle nous fait la visite de l’ancien cloître, qui désormais, dessert les multiples salles de classe de l’école née de son énergie déterminée. Sur les hauts murs de l’école, des musiciens sérieux, Schumann, Mozart… et puis aussi Confucius, et Messi aussi (précisément, Messi veille sur la salle de sports). Ces hauts noms sont comme des yeux bienveillants sur les vingt-cinq élèves fondateurs qui composent la première promotion Musica Mundi.
Musica Mundi existe depuis 20 ans dans le paysage de la musique classique belge, à l’initiative d’un festival de haute volée et de masterclass, animées, chaque été, par des grands maîtres de la musique classique actuelle. Mais cela fait aussi 20 ans que Hagit Hassid-Kerbel rêve plus grand.
Pianiste professionnelle, Hagit Hassid-Kerbel oriente, à la naissance de son fils, sa carrière vers l’enseignement de la musique de haut niveau. Et tandis que son époux, violoniste professionnel, tourne autour du monde dans une vie de concerts, elle tourne, elle-même (peut-être dans le sens inverse) autour du globe, enseignant un peu partout dans le monde. En Chine, au Chili, en Biélorussie. "J’ai vu les écoles de musique exister et j’ai pu percevoir des différences. Ici, en Belgique, si un enfant veut apprendre la musique, il doit faire collaborer deux emplois du temps, celui de son école belge (NdlR qui compte au moins 25 heures) et un enseignement musical en dehors des heures scolaires. En Belgique - mais pas seulement d’ailleurs, c’est tout pareil pour l’Europe occidentale -, nos jeunes se battent pour combiner deux éducations : un enseignement général et une éducation musicale, soit deux éducations qui ne sont dans les faits pas combinables…"
"Si vous saviez comme j’entends souvent : ‘Pourquoi il n’y a pas plus de Belges aux finales du concours Reine Elisabeth ? Pourquoi toujours des Coréens et des Russes ?’." L’explication est là, dans le fait que Russie et Corée, par exemple, offrent à leurs jeunes musiciens, futurs professionnels, les conditions idéales d’un apprentissage de la musique non détaché d’un enseignement général. "Si, ailleurs, on leur déroule le tapis rouge, en Belgique, les jeunes doivent se battre pour devenir musiciens professionnels, rien d’équivalent, par exemple, au programme Sport Études." Et c’est à partir de là que le projet d’Hagit Hassid-Kerbel prend forme dans le réel.
Se battre pour l’enseignement et les murs
"Il y a quinze ans, nous avions mis une option d’achat sur un terrain à Waterloo." Quinze ans qu’Hagit Hassid-Kerbel en rêve la nuit, on vous le disait. Et puis rien n’a fonctionné. Elle avait pourtant trouvé un entrepreneur (ce n’est pas rien !) et des mécènes (ce qui fait tout) pour payer l’édification de son école rêvée.
Mais rien n’a pris. Rien. Des blocages politiques locaux. Une somme de décisions administratives a priori indépassables. Et Hagit Hassid-Kerbel au bord de jeter l’éponge. Elle se souvient, en 2016, à la sortie d’un conseil d’administration, avoir perdu la foi. "On était en pleine fête de Hanoucca (NdlR, la fête du Miracle), et l’archevêché m’a appelée pour me proposer ces lieux. Cette école, c’est le deuxième miracle de Hanoucca." Un miracle et beaucoup de détermination, pour rénover et mettre en place une école. "On a reçu les clés du bâtiment en octobre 2017 et on voulait être prêt pour fin juin ", pour les 20 ans du festival estival Musica Mundi.
Et c’est parti : comment transformer un monastère vétuste en une école de musique performante en huit mois. Hagit Hassid-Kerbel s’est battue sur le plan du format de l’enseignement : elle fait tout pour obtenir de faire enseigner le programme anglais des écoles Cambridge, car la langue de l’enseignement doit être, pour ses poulains de l’international, a) en anglais b) souple dans le découpage horaire. Et puis, ce n’est pas tout : elle a aussi dû souvent monter sur l’escabeau elle-même. Le Bach concert Hall, notamment - où trône le Steinway du début de notre récit - est l’ancienne chapelle du monastère, désormais transformée en salle de concert dont l’acoustique fait rêver. La preuve, le label Deutsche Grammophon est venu récemment enregistrer un disque dans ces murs. "Et pourtant quand on est arrivé ici… Le temps de réverbération du son était de 6 secondes… Maintenant, après nos travaux de fond sur l’acoustique, l’écho est de 1,5 seconde, tout juste ce qu’il faut pour laisser le temps au musicien de vibrer avec son instrument." Et Hagit Hassid-Kerbel de nous montrer comment elle monte elle-même dans les hauteurs de la chapelle, sur une échelle, pour décorer les "murs du son" de sa salle de concert.
Chopin en tongs. Et alors ?
On l’interroge sur les fonds qui ont permis cette restauration à - tout de même - un million d’euros. "Pas d’argent public, je ne veux pas être menottée dans mes démarches." En fait, l’école Musica Mundi a vu le jour par le seul biais d’argent privé qu’Hagit Hassid-Kerbel a patiemment collecté depuis 20 ans qu’elle parle de son idée. " La famille Musica Mundi attendait comme moi depuis 20 ans que l’école se crée." Et les résultats sont à la hauteur des enjeux défendus tant d’années.
Sur les 25 élèves, les fondateurs, nous en aurons croisé un. En forme. Et en tongs. Mikita est biélorusse, il a 16 ans. Assis derrière un Stenway, toujours - la Roll’s du piano, "on n’a rien sans rien" -, il joue, sans plus jamais s’arrêter, Beethoven, mais dans un tempo qu’il a réinventé. "Mikita est aussi compositeur", nous livre Hagit, qui, la minute suivante, ajoute une consigne… "Joue-nous Chopin, si si Chopin, allez…" et, à nous, en aparté : "Il doit, il doit savoir mieux Chopin !" À aucun moment, il n’aura été question d’autre chose que de musique, dans un contexte formateur et formidable.
Avant la Musica Mundi School, " les élèves qui cherchaient à devenir des professionnels de la musique devaient faire cet apprentissage en plus du reste. Les parents de nos élèves me le disent, désormais, en parlant de leur enfant : ‘Quand il/elle rentre à la maison, il/elle joue tout le temps, et ne quitte plus son instrument.’ C’est ce que nous souhaitions pour eux, vous savez, car intrinsèquement, on l’a compris, ils désirent tous être le meilleur. Et, être le meilleur, ce n’est pas mauvais, c’est même stimulant."

Dans le monastère de Sœur Sourire
Le monastère de Fichermont est bien caché. Il faudra, pour l’atteindre, emprunter une longue route cabossée. Il a pourtant abrité une célébrité, Sœur Sourire, devenue dans les 60’s l’interprète pop’de Dominique, Nique Nique. Le monastère a été construit en 1927, suite à un souhait du roi Albert Ier. Le roi avait désiré un édifice de paix sur le champ de bataille de Waterloo, et avait frappé aux portes de la haute bourgeoisie et de l’aristocratie de l’époque, déterminé à faire ériger un édifice consacré à la prière et à la paix.
C’est, ensuite, l’archevêché de Malines-Bruxelles, en charge du bâtiment, qui en a fait prêt - sous forme de bail emphytéotique de 99 ans -, à Musica Mundi. Pendant 99 ans, donc, les lieux sont prêtés à l’école. "Nous n’avons pas besoin d’argent, m’a précisé l’archevêché, nous racontait Hagit, avec émotion, se rappelant de la scène qui l’avait impressionnée. Nous avons besoin de perpétuer le message de paix des origines. Et qui mieux que vos jeunes qui, par l’apprentissage et le jeu de la musique, peuvent donner un prolongement à cette idée pour laquelle Fichermont a été édifié ?" Voilà comment de jeunes gens apprennent les maths et la musique, un œil posé sur la Butte du Lion de Waterloo.
La musique fabrique du bon cerveau
Le journal Le Point rappelait, dans ses colonnes, la puissance de la musique dans la formation du cerveau humain. Interrogé à ce sujet, le neuropsychologue Henri Platel, l’un des premiers chercheurs à avoir observé le cerveau sous l’influence de la musique, raconte que “la musique engage le cerveau dans sa globalité. Écouter une œuvre musicale crée dans le cerveau une véritable symphonie neuronale”.
La pratique de la musique participe directement à la formation de l’intelligence. “Même si un individu apprend tard à jouer d’un instrument, le cerveau se modifie car la musique l’enrichit d’une large palette de capacités cognitives.” L’enfant musicien obtient ainsi de meilleures performances motrices ; acquiert un vocabulaire plus large ; développe une facilité plus grande à écrire, à apprendre des langues étrangères, à comprendre les mathématiques, ou encore affiner des raisonnements. L’apprentissage du solfège, le fait de savoir se synchroniser avec d’autres musiciens favorisent également une certaine plasticité du cerveau. Si apprendre la musique est formateur pour l’intelligence, ce n’est pas tout ! “Nous travaillons énormément la musique de chambre, car c’est le domaine musical qui oblige le plus à s’écouter, à respecter l’autre, à faire des compromis. Ce sont des valeurs de vie importantes que notre école souhaite défendre”, précise la fondatrice de l’école, Hagit Hassid-Kerbel.
On l’avait dit, que la musique adoucissait les mœurs.

A l'agenda des lecteurs
La Libre vous propose une visite exclusive de l’école Musica Mundi le 3 mai, à partir de 9 h 30. Au cours de cet événement La Libre, vous pourrez visiter les lieux en compagnie de Hagit Hassid-Kerbel, fondatrice de la Musica Mundi School. Une occasion de rencontrer les élèves prodiges ; de déjeuner en leur compagnie, et leur poser des questions sur la manière dont ils étudient et vivent la musique. La journée se clôturera par un récital des élèves, et une causerie entre Hagit Hassid-Kerbel et Aurore Vaucelle, sur les bienfaits de la musique.
Infos et rés. : https ://ipmevent.be (places limitées)