Tannhäuser dans les salons du Palais Garnier
- Publié le 09-04-2019 à 07h52
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Disruptive mais cohérente, une très belle lecture wagnérienne.Nicolas Blanmont Envoyé spécial à Amsterdam Au dernier tournant du siècle, Christof Loy fut l’invité régulier de la Monnaie, signant cinq nouvelles productions en quatre ans à peine. C’était sans doute un choix de Bernd Loebe, parti depuis à l’Opéra de Francfort, car Loy a disparu de l’affiche bruxelloise depuis 2003. Entre Genève, Londres, Vienne, Salzbourg et son Allemagne natale, le metteur en scène continue pourtant depuis un parcours respecté, avec des points de vue parfois inattendus sur les œuvres mais sans jamais tomber dans la laideur, la dérision ou la provocation. Loy est un extraordinaire directeur d’acteurs, capable comme peu d’autres de donner du sens notamment aux opéras de bel canto et, s’il faut lui trouver un tic ou une signature, c’est un recours fréquent aux tenues de soirée pour ses personnages. Il y a pire.
Tenue de soirée ? Elle est à nouveau de mise dans le Tannhäuser qu’il propose à l’Opéra d’Amsterdam. Des fracs élégants, car le Landgrave Hermann (excellent Stephen Milling) et les autres chevaliers de la Wartburg sont ici campés comme ces bourgeois fortunés qui, au XIXe siècle, attendaient leur danseuse dans les salons du Palais Garnier. Occasion de rappeler (même si l’œuvre est donnée ici dans la version de Vienne) que Wagner fut obligé, pour faire représenter son Tannhäuser à Paris, d’y ajouter un ballet pour souscrire au cahier de charges local. Occasion aussi de camper une bacchanale plus vraie que nature où les bourgeois lutinent d’un peu trop près leurs ballerines à la Degas. Les trois actes se déroulent dans un élégant décor unique, vaste salle de danse avec juste un grand piano (sur lequel Tannhäuser compose), une table, deux chaises et des barres d’appui.
Marginalité et pureté
Mais plus encore que la transposition - qui peut surprendre mais sans déranger -, c’est le travail d’exploration des personnages qui fascine ici. La marginalité de Tannhäuser (le ténor allemand Daniel Kirch, juvénile et passionné dont la prestation va en s’améliorant au fil de la soirée) est tout intérieure puisqu’il est vêtu comme les autres, la pureté d’Elisabeth (fabuleuse Svetlana Aksenova, au timbre aussi riche et fruité dans le grave que dans l’aigu) confine à une naïveté touchante tempérée par des sens brûlants, et Venus (puissante Ekaterina Gubanova) n’est pas la manipulatrice habituelle : on la verra même au troisième acte recouvrir Elisabeth de son manteau de fourrure. Mais c’est surtout Wolfram (Björn Bürger, jeune baryton allemand à suivre) qui focalise les regards : témoin constant de la relation entre Tannhäuser et Elisabeth, presque omniprésent en scène, il exprime constamment - au risque parfois de friser l’histrionisme - un amour impossible et douloureux pour la jeune femme.
Conciliant intensité et transparence, Marc Albrecht dirige un Nederlands Philharmonisch Orkest de très belle tenue et des chœurs de l’Opéra en grande forme : on sait leur importance capitale dans Tannhäuser, mais ils allient ici à leur cohésion parfaite un vrai talent d’acteurs, requis par la mise en scène.
Amsterdam, Nationale Opera, jusqu’au 1er mai ; www.dno.nl