Roméo Elvis: "Je ne pouvais pas encore sortir un album en disant 'Bruxelles c'est super' "
Publié le 11-04-2019 à 16h54 - Mis à jour le 09-12-2019 à 11h40
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Le rappeur bruxellois sort “Chocolat” ce vendredi. Un premier album solo, sur lequel il convie Damon Albarn et Matthieu "M" Chedid. Rencontre avec ce grand échalas expert en vannes, avant sa tournée des festivals et des zéniths.
L’été 2016 restera à tout jamais la glorieuse saison du rap bruxellois. Le 8 juillet, Damso sort son premier album studio, Batterie Faible, précédé du single à succès Bruxelles-vie. Roméo Elvis réplique moins d’une semaine plus tard avec Bruxelles Arrive, qui compte aujourd’hui plus de 16 millions de vue sur YouTube, et tout ce que la capitale compte comme rappeurs star déferle littéralement sur les festivals franco-belges. En musique urbaine, les rois viennent de troquer le lys pour l’iris, et cette génération dorée-là ne se fait pas prier pour s’imposer.
Puis il y a les prestations scéniques endiablées de Roméo, l’explosion pop d’Angèle – “la petite sœur” devenue cheffe de clan – qui convie gracieusement son frérot sur le single Tout Oublier, et, aujourd’hui, les envies de maturité. Toujours bien entouré, Roméo Elvis se lance en solo pour sortir l’album rassembleur dont il a toujours rêvé (lire notre critique) et ouvrir son rap à des pointures internationales du rock comme Matthieu “M” Chedid et Damon Albarn. Rencontre avec ce grand échalas adepte de la vanne, trop heureux de défendre ses nouvelles ambitions.
Après toutes ces collaborations, le passage au solo s’imposait, désormais ? J’avais besoin de prendre les choses en main pour élargir le panel, faire un album qui part dans différentes directions. C’est bien d’avoir des morceaux “vénères”, mais je voulais aussi montrer autre chose, comme mon engagement politique par exemple, parce que j’estime qu’à un certain stade de notoriété, ça devient normal. On sait déjà que Roméo Elvis aime Bruxelles, la Belgique, tout ça. Mais je peux aussi avoir un avis critique sur le pays (en l’occurrence, notre passé colonial sur Belgique Afrique, NdlR). Ça m’a semblé quasiment obligatoire dans la mesure où je me vends comme un artiste sincère, honnête… Je ne peux pas sortir encore un album en disant “ Ouais, la Belgique, Bruxelles, c’est super” alors qu’il y a des choses qui nous font honte.
Les textes semblent encore plus personnels, autobiographiques. C’était également une nécessité, après des années de tournées ?
Je me livrais déjà pas mal sur les premiers albums, mais là, je reviens sur ma vie avant le rap. Je remonte plus loin, ce qui n’était pas toujours possible en duo. Je n’aurais jamais pu imposer un morceau comme En Silence à Le Motel, par exemple. Or, ça fait vraiment longtemps que je voulais consacrer un texte à Simon, un ami de mon entourage qui est décédé quand j’étais encore ado. Un soir, on s’est bourrés la gueule, il y a eu une mauvaise manip’, un accident, et il est mort. On était une bonne dizaine à être traumatisés par ce truc. Puis il y a Constantin, qui arrive un peu plus tard dans le morceau, mort dans une avalanche en 2017. Je n’avais pas besoin du texte pour exorciser tout ça, mais ça fait du bien de le sortir, d’en parler à la partie de mon public qui a l’âge que j’avais quand c’est arrivé.
Vous chantiez déjà sur les albums précédents, mais ici on a le sentiment que c’est encore plus assumé…
J’ai toujours écouté du rock, de la pop et de la chanson à côté du rap, et là, j’ai voulu me faire plaisir. Je voulais de la grandeur, sortir un “gros album”, parce qu’au stade où j’en suis avec l’acouphène dont je souffre, je ne sais pas combien de temps je vais tenir. Peut-être que dans deux mois je serai flingué et que ce sera terminé. Alors sur Chocolat, j’ai tout misé. Je l’ai conçu comme si c’était mon dernier album, histoire de me dire “ si c’est le dernier, c’est pas grave, j’aurai accompli ce que je voulais”.
Vous offrir Matthieu Chedid (M) et Damon Albarn, c’est la façon ultime d’exploiter votre notoriété ?
Oui, je voulais vraiment faire quelque chose avec des grands de la musique. Mon label, Barclay, a vu que je parlais beaucoup de ces deux artistes dans mes interviews et m’a dit “ on peut les avoir pour l’album, si tu veux”. J’ai eu le numéro de Matthieu Chedid, on a parlé six ou sept fois au téléphone, et on a sorti Parano. Des mecs de ce gabarit apportent tout de suite un côté “grande institution de la musique”, et j’en suis très fier parce que ça me crédibilise dans le milieu.
Damon Albarn (Blur, Gorillaz) c’est encore un autre niveau, comment s’est déroulée cette rencontre-là ?
Damon Albarn a dit “ ok, je le rencontre quand je passe à Paris”. On s’est vus, et, en deux heures, c’était réglé. On aurait pu passer une heure à se bourrer la gueule ensemble pour créer un lien, une énergie, comme ça se fait souvent dans le milieu. Mais, pour moi, c’est un peu de la branlette pour facturer une heure de studio en plus. En réalité, on peut s’y mettre tout de suite, “à la flamande”. C’est même mieux pour la concentration. Quand Damon Albarn est arrivé, par contre, j’étais totalement intimidé. Je n’ai même pas osé lui dire que j’étais fan, et, comme un con, j’ai juste sorti “ Voilà, j’ai un album qui sort… Et j’ai des morceaux”. Ce à quoi il a répondu : “ Oui, tu as besoin de morceaux pour faire un album”. J’avais l’air stupide et je ne comprenais même pas qu’il ironisait. Il a passé toute la soirée à boire de la Duvel en faisant des références à la Belgique avec un petit sourire en coin. Je crois qu’il a vite compris que j’étais encore impressionné, et il voulait que je passe à autre chose, genre “ allez gros, vas-y c’est bon”. Il a fini par me regarder avec un côté paternaliste genre “ t’es mignon toi, ça va t’es content ?”. Quand il voyait que je souriais, il rigolait avec son petit écart entre les dents de devant, et quand tout était terminé, il m’a serré très fort dans ses bras.

Vous êtes encore catalogué “rappeur belge”, “bruxellois” en France, ou vous êtes au-delà de ça, aujourd'hui ?
Je suis encore très clairement identifié comme “Le Belge” ou “Le Bruxellois” et c’est tant mieux, parce que maintenant c’est “Le Belge” et plus “Le petit Belge”. Notre différence d’identité se situe sur la légèreté, le fait qu’on se prenne beaucoup moins au sérieux. La plupart des rappeurs français se prennent grave au sérieux. Ils sont toujours enclavés dans des trucs d’image, de street cred. Moi, je joue avec mon personnage et le public attend autre chose que mes morceaux. On m’attend sur mes réactions, pour voir quelle absurdité je vais sortir.
Vous serez bientôt invité sur le plateau de “On n’est pas couché” après avoir parodié l’émission. Ca vous angoisse ?
Un peu oui, j’ai un peu peur de me faire débroussailler par le jeune bourge là, Charles Consigny, sur le morceau Belgique Afrique. Mais ce qui me bourre le plus, c’est le fait de devoir rester quatre heures sur le plateau. Tu te tapes tout le tralala, et je sens que je vais me retrouver avec des vieux croûtons.
Roméo Elvis "Chocolat", Universal, sortie ce vendredi 12 avril
En concert à Forest National (Bruxelles) le samedi 20 avril, aux Ardentes (Liège) le vendredi 5 juillet et au Dour Festival le dimanche 14 juillet.