Stephan Eicher ouvre les vannes: “Je ne sais rien faire d’autre que de la musique”
Après sept années de silence discographique, le chanteur s’apprête à sortir des albums à tout va.
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- Publié le 18-04-2019 à 07h44
- Mis à jour le 26-04-2019 à 13h38
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Après sept années de silence discographique, le chanteur s’apprête à sortir des albums à tout va. Une rencontre avec Stephan Eicher, c’est l’assurance de passer un moment des plus agréables. Le Suisse est un modèle de courtoisie et de professionnalisme. En proie à de terribles maux de dos, il prévient que dès que votre enregistreur sera mis en marche, il n’y paraîtra rien. Et c’est exactement ce qui se passe. L’interprète de "Combien de temps ?" se métamorphose pour parler de Hüh, son premier album studio depuis sept ans qu’il présentera à l’AB le 3 juin. Sept années passées en conflit avec Universal, sa maison de disques. "Je suis persuadé que mes maux de dos viennent de là, explique-t-il. Ça a commencé par des petites douleurs puis des sciatiques et en juin dernier, au moment où j’ai su que si je continuais le bras de fer avec ma maison de disques j’en avais encore pour trois ans et que je n’avais plus les finances ni l’énergie de le faire, je suis tombé malade."
Que s’est-il passé ?
"Ce n’est pas ma maison de disques qui m’a rendu malade, c’est moi-même. Parce que j’ai cru avoir assez de force pour leur expliquer le mal qu’ils peuvent faire aux gens créatifs. Mais est-ce que ça les intéresse ? Je n’en suis pas sûr…"
Vous avez pensé arrêter la musique ?
"Jamais pendant le conflit ! Je dirais même que, ça m’a rendu créatif. Ma tournée avec des automates est une réaction au fait que je ne pouvais plus sortir de disque. Étant obligé de tourner avec mon ancien répertoire, je me suis demandé quoi faire. Partir en solo parce que c’est plus lucratif ? Oui, sauf que je n’en avais pas envie. Alors, je me suis rappelé qu’à mes débuts, j’étais entouré de boîtes à rythmes. Je suis allé à Anvers, chez des inventeurs d’orgues, et ils m’ont construit des robots qui jouent de la musique. Un jour cependant, assis dans un jardin, j’ai compris que la personne de ma maison de disques voulait en fait la même chose que moi mais qu’en raison de la structure de l’industrie du disque, elle était pieds et poings liés. Elle était encore plus malheureuse que moi et je me suis demandé s’il était sain de rester avec ces gens qui sont frustrés. Je me suis dit qu’il fallait que je fasse ma valise pour disparaître et faire autre chose. Je ne l’ai pas fait parce que je ne sais rien faire d’autre que de la musique…"
Cette déception n’est pas perceptible à l’écoute de Hüh qui est très festif…
"Pour ce disque, le contexte n’était pas à la fête, il était plutôt grave. Comme remède, je me disais qu’il fallait prendre neuf cuivres, trois batteurs et mon répertoire pour le muscler et le pimenter avec des confettis, amener la folie des fanfares des Balkans et repartir en tournée. Mon nouveau chef de produit chez Polydor est venu voir en concert et il m’a dit qu’il fallait que j’enregistre un premier disque avec ce qui se faisait sur scène."
Vous avez arrêté d’écrire de la musique pendant cette période de dispute ?
"Pas du tout. J’écris lentement mais chaque matin, après le deuxième café, je m’assieds derrière un instrument et j’écoute ce qui en sort. Parfois c’est nul et parfois il y a une mélodie, un sentiment qui naît et je tisse. Ce sont de petites chansons pas spectaculaires du tout au regard de ce que je fais aujourd’hui avec le Traktorkestar. Quelqu’un qui les a écoutées a dit qu’il s’agissait d’un chef-d’œuvre d’humilité."
Cela signifie qu’après sept années pendant lesquelles vous avez été bridé, vous allez maintenant lâcher les vannes ?
"En septembre-octobre sortira une collection de ces petites chansons dont certaines sont très courtes. Il y en a une qui est très belle et qui ne fait que 20 secondes. Mes musiciens voulaient répéter le refrain mais j’ai dit non parce que tout était dit dans les 20 secondes. J’adore travailler avec une sorte de radicalité… Mais en douceur."
Grauzone ressuscité
Stephan Eicher réédite les disques cultes de son premier groupe et retrouve son frère Martin en studio pour poursuivre l’aventure.
Bien avant de se produire sous son nom, Stephan Eicher faisait partie d’un groupe, Grauzone, dans lequel figurait aussi son frère Martin. C’était au tout début des années 80, en pleine période new wave. Ils avaient sorti un album et une poignée de singles dont un hit disco post-punk, "Eisbär", vendu à plus de 500 000 exemplaires. L’hymne d’une génération. Devenus cultes et introuvables, les disques du groupe vont enfin ressortir.
Pourquoi a-t-il fallu attendre tant de temps ? "Parce qu’il a fallu trouver l’argent pour racheter les droits qui étaient en train d’être vendus dans notre dos, raconte Stephan Eicher. Quand j’ai appris ça, j’ai dit à mon frère Martin et à Marco Repetto, le batteur de Grauzone, que j’avais un plan diabolique. Il s’agissait de proposer une somme bien trop importante pour être certain d’avoir les bandes. Je ne savais pas combien l’éditeur canadien qui voulait les acheter avait mis sur la table alors, j’ai mis le paquet. Je crois que j’ai payé ça quatre fois le prix." (rire)
Le fameux maxi Eisbär sera disponible le 26 avril. "Ce dernier contiendra ‘Film 2’, explique le chanteur suisse. C’était le génie belge de jouer ce titre en 33 tours au lieu des 45 tours prévus. Je ne veux pas frimer mais la new beat était basée sur cette idée-là. Il est d’ailleurs marqué sur le vinyle qu’on peut le jouer à ces deux vitesses." Et en septembre, tous les disques ressortiront en vinyles et dans une qualité optimale. "Toutes les rééditions en digital étaient moches, dit-il. Mais on a enfin retrouvé les bandes master. Et il y a même un disque live en préparation. À cela s’ajoutera un fanzine dans lequel de très respectables artistes expliquent en quoi Grauzone les a influencés ou leur a donné le goût de faire de la musique : LCD Sound System, Optimo, etc. Tout ça me rend très fier même si ça m’a pris du temps et beaucoup d’argent." Ce n’est pas pour autant que le Suisse entend rentabiliser son investissement. Les disques de Grauzone seront tout de suite disponibles en streaming. "C’est cadeau, dit-il. On les ressort pour que de nouveaux groupes, au Groenland ou en Australie, commencent à jouer."
Et le Bernois a encore une autre surprise dans sa boîte à malices. Sur le ton de la confiance, il glisse : "Et je revois mon frère Martin qui vient dans mon studio cette semaine ! Cette affaire de réédition nous a donné l’idée de peut-être refaire quelque chose. Je ne sais pas ce que ça va donner. Peut-être qu’on va se taper dessus comme au bon vieux temps (rires). Après quarante ans, ce serait chouette de refaire un deuxième album de Grauzone ! Ce serait digne du Guinness Book des records !"
Qu’on se le dise , Stephan Eicher a une niaque d’enfer et l’envie d’en découdre sur tous les fronts. Ce n’est pas fait pour nous déplaire, que du contraire.
>>> En concert avec le Traktorkestar le 3 juin à l’Ancienne Belgique. Infos et tickets : www.abconcerts.be