Ils nous ont fait rire, rêver, chanter... Ce dictionnaire réunit ces artistes trop oubliés de la chanson française
Publié le 23-04-2019 à 10h11 - Mis à jour le 23-04-2019 à 10h23
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Marc Danval nous offre un formidable Dictionnaire d’artistes trop oubliés de la chanson française.
Quelle formidable idée que d’avoir établi un Dictionnaire des "oubliés" de la chanson française, - oubliés au sens que si leurs noms disent encore quelque chose, leur voix ne s’entend plus sur nos ondes. Il fallait être Marc Danval, pour mener ce projet à bon port. À 82 ans, le doyen de la Radio-Télévision belge attire, tous les samedis, à ses émissions d’innombrables auditeurs de tous âges. Il est, par ailleurs, l’auteur d’une douzaine d’ouvrages, consacrés tantôt au jazz, tantôt à l’avocat-poète Robert Goffin, à l’harmoniciste Toots Thielemans ou à Sacha Guitry - que nous sommes parmi les derniers à encore avoir vu jouer au Théâtre du Parc.
Cette fois, il est donc parti à la recherche d’artistes qui ont fait des carrières souvent brillantes dans des cabarets courus, des music-halls populaires comme l’Ancienne Belgique, à la radio, et sont aujourd’hui inconnus ou méconnus.
Ce dictionnaire ne rend donc pas seulement justice à des artistes de théâtre et de cabaret qui ont enchanté et diverti les publics les plus divers, il devrait les faire découvrir à ceux qui doivent bien se douter que le monde n’a pas commencé avec eux. Nous sommes toujours des héritiers.Feuilletons-le donc et citons quelques noms à titre d’exemples. Voici Johnny Hess (1915- 1983), qui forma un duo avant la guerre avec Charles Trenet, et enregistra notamment deux airs qui ont longtemps nargué l’occupant allemand : Je suis swing (1938) et Ils sont zazous (1943). Au lendemain de la guerre, les Sœurs Etienne, nées respectivement en 1924 et 1928, furent "le son de la Libération" grâce au swing diffusé par le phénomène zazou.

Mireille, Cora, Patachou, Suzy et les autres
Signalons pour suivre quelques grandes dames de la chanson : Mireille (1906- 1996), et son Petit Conservatoire de la chanson ; Cora Vaucaire (1918- 2011), dite la Dame blanche de Saint- Germain-des-Prés, qui créa avant Montand Les Feuilles mortes de son ami Prévert ; Patachou (1918- 2015), qui se produisit en 1951 à la Laiterie du Bois de la Cambre, à Bruxelles, incarna Yvette Gilbert dans le film Moulin Rouge de Jean Renoir (1954), et ouvrit un cabaret à Montmartre, où elle accueillit Aznavour, Brel, Frank Sinatra, et où Edith Piaf donna sa dernière représentation publique ; Suzy Delair, née en 1916 et qui vit toujours, marqua le film Quai des Orfèvres (1947) de Clouzot, par la gouaille de sa chanson Avec mon tralala la ! Et comment ne pas citer Suzy Solidor (1900- 1983), lesbienne affirmée, dont le corps inspira une pléiade de peintres - Vlaminck, Lempicka, Van Dongen, Foujita, Picabia… -, et qui chantait si bien Tout comme un homme, Les Filles de Saint-Malo ou Comme une feuille au vent.
Avant de passer aux artistes belges, je me réjouis de l’hommage que Marc Danval rend au formidable groupe allemand des Comedian Harmonists qui eut une influence déterminante sur la plupart des groupes vocaux français. Formé d’une majorité de juifs, il fut interdit par les Nazis en 1935. Mais il nous a laissés, notamment, Ich küsse ihre hand, Madame, Tea for two et Les Gars de la marine.
Les Belges, donc, qui passèrent souvent du cabaret au théâtre. Voici Germaine Broka (1902-1996), née à Liège où elle débuta à l’âge de 7 ans au Trocadero, célèbre à Paris pour son interprétation du rôle de Mademoiselle Beulemans, dans la pièce bruxelloise qui porte son nom ; Viviane Chantel (1925- 1992), qui jouait aussi bien qu’elle chantait et donna 800 représentations de Irma la douce à Paris ; Lise Colignon (Anderlecht 1907- Auderghem 1993), qui a enregistré 72 faces de 78 tours chez Decca !

Avant Annie Cordy
La plantureuse Esther Deltenre (Lessines 1877- Bruxelles 1958) a fait rire les Bruxellois pendant 70 ans, et passa d’une revue au Casino de Paris avec Maurice Chevalier en 1920 à un dernier spectacle au Théâtre des Folies- Bergères de Bruxelles à l’âge de 81 ans. Lydia Renny (1920), d’origine flamande (elle était née Julia van Staten), fut une des chanteuses belges les plus populaires au lendemain de la guerre, grâce notamment à Chéri, j’ai fait un rêve, qui s’est vendu à plusieurs dizaines de milliers d’exemplaires. Cette chanson fut aussi un "tube" de Tohama (1920- 1995), la plus célèbre chanteuse des années 30, 40 et 50 en Belgique ; elle ouvrit la voie à Annie Cordy.
Si l’amour est enfant de Bohème, comme on le chante dans Carmen, une carrière artistique l’est aussi. Sommes-nous assez reconnaissants aux artistes qui nous font rire, rêver, chanter avant de sombrer dans d’injustes oublis ? Marc Danval les a ressuscités Qu’il en soit remercié.
"Dictionnaire des oubliés de la chanson française", Marc Danval, Ed. L’Harmattan (385 pp., 38, 50€).