Calixto Bieito plombe la création des "Bienveillantes"
Opéra Bel opéra d’Hector Parra d’après le roman-fleuve de Jonathan Littell. Mais l’image finit par asphyxier la musique.
- Publié le 29-04-2019 à 17h05
- Mis à jour le 29-04-2019 à 17h06
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Opéra Bel opéra d’Hector Parra d’après le roman-fleuve de Jonathan Littell. Mais l’image finit par asphyxier la musique.
Les attentes étaient élevées : la création d’un nouvel opéra, avec une véritable histoire et de véritables personnages (pas juste "soprano 1" et "ténor 2"), avec un orchestre symphonique complet, tiré d’un livre événement (Les Bienveillantes de Jonathan Littell, prix du Roman de l’Académie française et prix Goncourt en 2006). Qui plus est sur un thème sensible, particulièrement dans une ville comme Anvers et en ces temps de résurgence de l’antisémitisme : les souvenirs, fictifs mais éminemment réalistes, de Maximilien Aue, un officier nazi imaginaire passé par Babi Yar, Stalingrad, Auschwitz et finalement le bunker d’Hitler à Berlin.
Les attentes étaient élevées, et l’œuvre est une vraie réussite. Librettiste expérimenté, Händl Klaus réussit à condenser et à transformer le pavé de Littell en objet théâtral, avec l’allemand comme langue principale et en respectant le découpage original du livre à la façon d’une suite de danse baroque (Max Aue est un nazi cultivé, amoureux de Bach et de Rameau). Certains personnages secondaires ont disparu, mais les principaux, et notamment ceux qui s’inscrivent dans le grand héritage de la tragédie grecque (le titre du roman faisait référence aux Euménides d’Eschyle) sont conservés, ce qui donne ainsi à l’opéra une légitimité héritée de Gluck, Wagner ou Strauss : mère parricide tuée à son tour, sœur incestueuse, ami fidèle…
Musicalement, le travail d’Hector Parra est également digne d’éloges. Le compositeur catalan signe une partition expressive, riche de climats variés, avec une très belle écriture vocale où les chanteurs ont la possibilité de développer un véritable lyrisme : la Toccata introductive (où Max annonce le flash-back qui va suivre) ou le Menuet (évocation d’Auschwitz, le chapitre le plus long du roman mais qui devient ici la partie la plus courte mais aussi une des plus fortes) sont, notamment, d’une intensité prenante.
Peter Rundel dirige la partition avec netteté et professionnalisme, et les solistes sont tous excellents : coup de chapeau appuyé à Günter Papendell, Gianluca Zampieri, au quatuor formé de Hanne Roos, Maria Fiselier, Denzil Delaere et Kris Belligh mais aussi et surtout à Peter Tantsits (extraordinaire performance de chanteur et d’acteur comme Max) et Rachel Harnisch (sa sœur Una, rôle moins développé mais central).
Malgré ces qualités, le spectacle finit par écœurer. Choisir Calixto Bieito comme metteur en scène, c’était prendre le risque de voir l’image asphyxier la musique, et c’est ce qui se passe. Si, à raison, le Catalan suggère plutôt que de montrer les horreurs des massacres (pas d’uniformes, pas d’armes, pas de charniers, juste deux corps nus et aussi des gaz projetés dans le Menuet), on eût aimé qu’il témoigne de la même réserve quand il s’agit d’évoquer la vie privée d’Aue.
Tout au contraire, c’est un déluge de transes onanistes, de sang et de matière fécale qui envahit la scène. Et le paradoxe est que c’est ce mélange de scatologie et de pornographie qui, bien plus que les horreurs nazies, met le spectateur mal à l’aise.
> À Anvers jusqu’au 2 mai ; à Gand du 12 au 18/05 ; www.operaballet.be