La mezzo-soprano Eve-Maud Hubeaux ne finira pas magistrate
- Publié le 30-04-2019 à 07h49
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La mezzo-soprano suisse revient à la Monnaie pour incarner Brangäne dans "Tristan et Isolde".Dans le milieu de l’opéra, on raconte volontiers que les fréquences aiguës détruisent les neurones. Et que, dès lors, les barytons en auraient plus que les ténors, et les mezzos que les sopranos. Sans revendiquer le moins du monde une telle supériorité intellectuelle - elle est, à l’évidence, trop subtile pour cela - Eve-Maud Hubeaux confirme l’adage. À telle enseigne que quand, voici quelques mois le Liceu de Barcelone dut trouver, à trois jours du début des répétitions, une mezzo capable de chanter au pied levé le rôle-titre de La Favorite de Donizetti, c’est le ténor américain Michael Spyres - loin d’être un imbécile - qui recommanda son nom, disant : "C’est une femme brillante : même si elle ne connaît pas le rôle, elle sera capable de l’apprendre vite." Il en fut ainsi et, effectivement, ce premier plan de dernière minute eut pour effet immédiat de placer la carrière de la jeune chanteuse suisse dans une orbite encore supérieure.
Brillante ? On pourra certes dire qu’un titre universitaire n’est pas tout, mais on connaît peu de chanteurs d’opéra qui ont démarré leur carrière lyrique avec un master de droit des contrats en poche et en ayant abandonné, pour taquiner la muse, un doctorat en droit civil. C’était à l’Université Savoie Mont Blanc de Chambéry, où elle travaillait depuis deux ans et avait préalablement bénéficié d’un statut équivalent à celui des sportifs de haut niveau lui permettant de donner des spectacles et de passer des concours de chant tout en menant son cursus juridique. Son promoteur en a conçu, reconnaît-elle, une certaine déception. Et elle ne joue pas la fausse modeste quand elle dit : "Si, une année, j’ai moins d’engagements, cela me laissera la possibilité de présenter le concours de la magistrature, je peux le présenter jusqu’à 35 ans." Force est toutefois de constater que la magistrature française devra se passer d’elle, et sans doute à jamais : à 31 ans, son planning est déjà rempli pour les quatre ou cinq prochaines années, et rien n’indique que la tendance puisse s’inverser.
Le goût du spectacle
C’est que, excellente chanteuse, Hubeaux est aussi une actrice remarquable, aussi à l’aise dans les premiers rôles - elle a déjà chanté Carmen - que dans les seconds qui sont souvent réservés à sa tessiture. C’est le goût du spectacle qui a d’ailleurs mené à la musique la jeune Vaudoise : "Dans l’école internationale où j’étais, j’étais prête à jouer tous les rôles dans les spectacles scolaires. Au point qu’à douze ans, sans même en parler avec mes parents, je me suis présentée au concours d’entrée du Conservatoire de Lausanne avec un gospel et un chant yiddish. Le pianiste m’a demandé de lui remettre mes partitions, je ne savais pas ce qu’il faisait là : j’étais habituée à chanter en m’accompagnant moi-même !"
Avec ses parents - père consultant, mère ingénieur en cybernétique - elle se souvient avoir fréquenté l’Opéra de Lausanne, et d’y avoir conçu quelques rêves qu’elle réalise aujourd’hui. L’un d’eux était de travailler avec Pascal Dusapin, dont elle avait découvert le Medeamaterial et qu’elle a fini par retrouver à la Monnaie en 2015 pour Penthesilea. Quatre ans après, elle revient à Bruxelles pour être une des deux Brangäne dans la nouvelle production de Tristan und Isolde qui se donnera à Bruxelles dès jeudi. Un rôle qu’elle connaît bien, pour l’avoir déjà chanté à l’Opéra de Lyon, une de ses maisons de prédilection depuis que le Belge Serge Dorny en a fait une de ses étoiles montantes : "Soyons francs : Brangäne n’est pas un des personnages les plus hallucinants que j’ai eu à interpréter. Mais il faut la comprendre dans le contexte médiéval qui est à la base de l’opéra : c’est une suivante, dont la seule vie est donc de servir sa maîtresse. Elle n’est ni complètement nunuche, ni candide - c’est quand même elle qui remplace le philtre de mort par un philtre d’amour ! - mais elle est réellement, profondément, attachée à sa maîtresse, au point de vivre presque par procuration sa relation avec Tristan."
Bruxelles, La Monnaie, du 2 au 19 mai ; www.lamonnaie.be