Kompromat, l'amitié franco-allemande version techno

Rencontre Valentin Dauchot
Kompromat, l'amitié Franco-allemande version techno
©D.R.

Pascal Arbez-Nicolas délaisse Vitalic le temps d'un duo germanophone survolté et barré.

capitaine, mon capitaine” lancent les étudiants d’une prestigieuse école américaine à leur professeur de lettres dans l’ultime scène du film Le Cercle des poètes disparus (1989). Façon magistrale, pour ces jeunes gens, de souligner leur attachement à l’anticonformiste M. Keating (interprété par le regretté Robin Williams) qui fût le premier à leur transmettre le goût de la liberté, de la curiosité intellectuelle et d’un certain hédonisme.

Dans le milieu sombre des salles de concert, clubs et autres festivals, M. Keating, c’est lui : Pascal Arbez-Nicolas, producteur dijonnais de 42 ans, qui s’apprête à célébrer les vingt ans de carrière de son alter ego électronique, Vitalic.

Passionné de musique au sens large, adepte de la culture russe et praticien de la langue de Moscou, l’homme n’a de lisse que le crâne. En quatre albums, inspirés tour à tour par le rock’n’roll, la disco et les envolées cosmiques, Vitalic a imposé ses beats lourds et ses basses puissantes sur la scène électronique mondiale, dont il prend un malin plaisir à ne pas suivre les tendances.

L’œuvre du bonhomme est bien plus fine que ne le laissent présager ses hymnes dansants à la première écoute, et Pascal Arbez-Nicolas a décidé de lui accorder un peu de repos, le temps de mener à bien deux autres projets : KOMPROMAT, duo germanophone avec la chanteuse électronicienne Julia Lanoë (Sexy Sushi) qui se produira samedi soir sur la scène du Botanique, histoire de défendre l’excellent album Traum Und Existenz (***), et DIMA, soit un retour du producteur à son premier nom de scène.

Pourquoi avoir mis Vitalic de côté ?

Ca fait presque vingt ans que je me mets une grosse pression avec une sortie d’album tous les quatre ans, une tournée des grandes salles, et les festivals. Il était temps de faire une pause. Si je m’étais remis tout de suite sur un album de Vitalic, je me serais répété. J’ai envie de revenir avec quelque chose de plus rock, plus proche de OK Cowboy (Premier album de Vitalic, NdlR), parce que je suis allé au bout de ma disco. Je suis certain qu’on va revenir au rock, à l’humain, mais il est trop tôt. Pour moi, comme pour le public, ce n’est pas encore le bon moment. Là, les gens sont encore à fond dans Amelie Lens et Charlotte De Witte (Deux productrices belges de techno, NdlR).

Vous vous lancez donc en duo avec KOMPROMAT, pas trop difficile ?

Ca fait un peu “vieux garçon”, mais j’avais effectivement l’habitude d’être seul, dans mon studio bien rangé, avec ma méthodologie. Julia (Lanoë, chanteuse de Sexy Sushi et KOMPROMAT, NdlR) est très méticuleuse dans son travail, mais chaotique pour tout le reste. On n’avait pas du tout la même façon de fonctionner. Elle bossait sur un Ableton (programme de composition et arrangement musical, NdlR) craqué qui crashait tout le temps, par exemple. J’ai dû lui dire : “Julia, on ne peut pas monter la montagne avec des espadrilles. Va t’acheter des chaussures de marche” (rires). Comme elle est bretonne, elle a apporté des "bretonneries". Moi j’ai ce côté France des années 70, je suis très Jean-Michel Jarre. On a mélangé les deux pour créer KOMPROMAT.

Comment présenter KOMPROMAT, du coup ?

C’est du post-punk contemporain avec une bonne dose de poésie, qu’on ne peut pas comprendre parce que c’est en Allemand (rires). Il y a un an, je suis allé trouver Julia et je lui ai dit : “J’ai une mélodie en tête, et j’entends de l’Allemand dessus, mais si ça ne te plaît pas on trouvera une autre solution”. Ca lui a plu, et on a fini par faire tout un album avec des machines, beaucoup de chant et des textes poétiques qu’on a traduit en français et en anglais sur la pochette.

Pourquoi l’allemand ?

Tu n’écris pas la même chose, tu ne chantes pas de la même façon et tu ne fais pas la même musique si tu écris en allemand ou en italien. C’est comme un nouvel instrument, ça nous a permis d’entrer dans un nouvel univers. Elle ne parle pas allemand, ni moi d’ailleurs, elle a écrit avec l’aide d’un germanophone.

Vous parlez russe, ça aurait pu être une solution, non ?

Oui, mais le russe, c’est clivant de chez clivant (rires), et l’allemand allait très bien avec le concept du post-punk.

Quels que soient vos projets, vous vous référez toujours à un autre genre musical…

C’est vrai. Quelque part, je fais toujours les dix mêmes morceaux électroniques vus à travers des prismes différents : le rock, la disco, le punk, je mélange le tout et j’y ajoute une dimension cosmique.

Comment faites-vous pour conserver un son, une énergie immédiatement reconnaissables ?

Avec la façon de programmer mes synthétiseurs. Même si j’essayais de fonctionner différemment, je ne pourrais pas, parce qu’à l’époque où j’ai commencé, les synthés n’avaient pas de mémoire. J’ai appris en programmant à l’aveugle, ce qui se ressent sur le son, que je change de matériel ou non. Et puis, tu sais, je viens d’une famille italienne, alors j’ai envie de te dire que quand mes proches font une sauce tomate, je peux te dire qui l'a cuisinée. Je ne sais pas comment ils se débrouillent, mais je reconnais systématiquement les sauces de mes deux frangines, de ma mère, de ma grand-mère et on reconnaît aussi la mienne, alors qu’on utilise les mêmes produits. En musique c’est exactement la même chose.

Le voyage est omniprésent dans vos projets, vos albums, c'est votre source d'inspiration ?

Je suis très attiré par les voyages et les langues depuis que je suis gamin. Dans la musique, pour moi, c'est la base. Il faut arriver à faire danser les gens et les emmener quelque part. J'ai beaucoup écouté Jean-Michel Jarre et de la disco cosmique quand j'étais gamin. Ce sont des influences très fortes.

L'album Voyager (2017) était donc une sorte d'aboutissement ?

Oui, c’était vraiment la fin d’un cycle. J’avais 40 ans, j’étais bien, j’adorais ma vie à Paris. On attendait de moi de trucs qui fracassent plus, donc je me suis pris des chroniques qui disaint "Vitalic, si ça ne tabasse pas, ça ne sert à rien". Mais j’ai fait le choix de baisser les BPM pour saupoudrer un peu plus la dinguerie.

L'album précédent, Rave Age (2012) avait été moins bien accueilli, ça vous a marqué ?

Je mets beaucoup de moi dans ma musique. Mes albums ne sont pas tous égaux, mais ils sont tous le résultat d'une réflexion, d'un réel investissement personnel. Les gens ont effectivement beaucoup dit que je m'étais perdu sur Rave Age. Je me suis fait un petit peu incendier par l’intelligentsia parisienne. C'était une tentative d'album sans concept, avec des tiroirs, beaucoup de choses différentes. Ce n'était pas terrible comme idée, mais il est plein de morceaux que j'adore.

Après vingt ans, vous faites encore attention aux critiques, aux réseaux sociaux ?

Je ne les lis que pour les sorties d'albums. Globalement ça se passe bien, mais sur Rave Age, certaines critiques étaient gratuites, méchantes. C'est aussi lié à l'époque, où tout le monde disait n'importe quoi sur les réseaux sociaux. D'ailleurs je ne vais plus sur Twitter parce que ça me rend fou, en fait. Je ne le fais jamais, mais j'ai envie de répondre à tout le monde.

Avec DIMA, vous revenez à un projet qui existait avant Vitalic, pourquoi ?

Au tout début de DIMA - quand la techno est partie sur le hardcore et la hardtechno, en France - je faisais déjà ce qu'on pourrait appeler de la pré-électro. Je voulais revenir à cela, quelque chose de moins conceptuel, de plus immédiat, tourné vers le Dancefloor. Je vais tourner avec DIMA et KOMPROMAT, avant de revenir à Vitalic.

Vous restez un peu en marge des stars de la techno, quel regard portez-vous sur la scène actuelle ?

Beaucoup de gens vont au plus simple. Donc, environ 80 % de la production, c’est du tout fait. J'entends la même chose au kilomètre. Moi j’appelle ça de la musique "Alsa". Je ne sais pas si vous avez cette marque en Belgique, ce sont des pâtisseries précuites : tu ouvres, tu ajoutes un œuf, un verre de lait, et ça fait des gâteaux au chocolat. Les banques de son, c'est la même chose. Tu piques un bass drum, un charley, une basse, un petit vocal – wouu houuu – et t’as morceau. Franchement, je préfère encore certains morceaux d'EDM comme Titanium de David Guetta avec Sia, à 1h de Tech House ou de TR 909 (boite à rythmes, omniprésente en techno, NdlR). Soit tu t'es pris un quart de gramme de kétamine et tu es dans un tunnel mental certainement plaisant où tu ne sais plus comment tu t'appelles, soit tu n'es pas dans cet état-là, et au bout d'une demi-heure, tu te demandes un peu ce que tu fais là. Les DJ's me disent toujours que mes morceaux sont impossibles à entrer et à sortir, d'ailleurs. C'est tant mieux, moi je trouve que des DJ's qui arrivent à jouer pendant 8h sans qu'il y ait d'accroches ou d'accidents, c'est douteux.

Vous semblez tourner en permanence, c'est viscéral ?

Quand je suis en vacances, je m'ennuie au bout de cinq jours. Là, pour la première fois de ma vie j'ai pris un mois et demi de vacances… et j'ai trouvé ça assez nul (rires). J'ai acheté une maison dans le Gars. Pour être certain d'y partir en vacances, j'y ai fait installer un studio (re-rires).

Les concerts de Vitalic sont toujours courts, quitte à laisser le public un poil sur sa faim, comme à l'Ancienne Belgique (Bruxelles), il y a quelques années, où les gens ne voulaient pas partir et continuaient à chanter…

Oui, parce que je trouve qu'après 1h on se perd. Là, je viens de voir les Chemical Brothers à Paris. J'ai adoré, c'est le meilleur concert de musique électronique que j'aie jamais vu et ça a duré 1h20, c'était juste bien. Après 1h10, je commençais déjà à me dire "là, c'est bon, ça peut s'arrêter". On m'a déjà demandé des sets des 3h mais je refuse. Je ne fais pas vraiment de la techno, il y a du rock, de la disco, et après 1h30, j'estime que j'ai dit ce que j'avais à dire.

Pascal Arbez-Nicolas (Aka Vitalic et Dima)
©D.R.

KOMPROMAT, Traum und Existenz, sorti le 5 avril (Clivage). En concert aux Nuits Botanique ce samedi 4 mai, puis au Dour Festival le dimanche 14 juillet.

Dima, en concert au Dour Festival le samedi 13 juillet.

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