Typh Barrow: "Petite, j’étais tellement complexée par ma voix de garçon que cela m’a donné la rage de faire quelque chose d’original"
Cet été, chaque samedi, nous vous proposerons une série de portraits de huit femmes. Femme sportive, femme artiste, femme de média, femme politique, femme engagée dans la société civile. Ce samedi: place à Typh Barrow.
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Publié le 21-07-2019 à 07h51 - Mis à jour le 15-01-2020 à 16h35
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Cet été, chaque samedi, nous vous proposerons une série de portraits de huit femmes. Femme sportive, femme artiste, femme de média, femme politique, femme engagée dans la société civile. Ce samedi: place à Typh Barrow.
Au bar d’un bel hôtel bruxellois, près de la Grand-Place, elle s’attable, discrètement. Salue les gens qui passent. Commande un cappuccino dont elle savoure, à petites gorgées, la crème onctueuse à souhait. C’est elle qui, d’abord, pose des questions. Veut savoir, par courtoisie, par gentillesse, qui l’interroge. Comment il va, ce qu’il fait, ce qu’il aime. Elle parle de cette voix particulière, à la fois grave et très féminine. Vous fixe de ses yeux bleus qui ne vous lâchent pas. Puis, arrive le moment où l’interviewer peut reprendre la conversation en main et plonger dans un récit qu’elle conduit à sa guise, l’air de rien. Elle s’appelle Tiffany Baworowski. Mais aujourd’hui, les Belges, de 7 à 77 ans, connaissent surtout son nom de chanteuse : Typh Barrow.
Son histoire commence en Pologne, dans les rues de Cracovie où son père tente de survivre, balancé d’une famille à l’autre. Il arrive en Belgique à la fin de ses études secondaires. Il ne parle pas un mot de français. Qu’importe, volontaire, il s’inscrit en architecture et réussit. Il rencontre une jeune Belge avec laquelle il décide de fonder une famille. "J’ai grandi avec un grand frère et une petite sœur dans une famille classique pleine d’amour, dominée par une figure paternelle assez forte. Mes parents se sont pliés en quatre pour nous offrir, à tous les trois, toutes les activités qu’on voulait. Maman était professeure, elle courait dans tous les sens. Moi, j’ai fait de la danse, de la gym, du théâtre. Et du piano."
J’ai été élevée à la dure
À cinq ans, ses parents la posent sur un tabouret, face à un clavier. Docile, elle s’y met. Prend goût, travaille beaucoup : "J’ai été élevée un peu à la dure. Mon papa est un battant. C’est un personnage haut en couleur qui ne laisse personne indifférent. Parti de rien, il nous a transmis le sens de l’effort. Être fort, c’était aussi ne pas montrer ses faiblesses."
Elle travaille le piano et… la photo aussi. Depuis qu’elle est bébé, on la photographie. "Ma maman est très belle. À la maternité, elle a été repérée par une agence qui cherchait une maman et son petit bout pour des publicités de produits bébés. Je suis devenue bébé modèle puis enfant modèle. J’ai continué ces shootings jusqu’au milieu de l’adolescence. Parfois, je faisais des séances de photos chaque week-end. Je faisais ce que l’on me disait. Peut-être avais-je peur qu’on ne m’aime pas… J’avais des amis mais j’étais aussi très solitaire."

Le talent et surtout, l’envie…
Son parcours scolaire est rectiligne : surtout ne pas décevoir papa et maman. Sa passion pour le piano grandit. Mais elle n’aime pas sa voix de garçon. "Ma voix était très différente de la norme. Les grandes chanteuses de l’époque, Céline Dion, Mariah Carey, Whitney Houston avaient des voix qui couvraient tout le piano. Je n’avais pas cette voix-là. Et je n’avais pas envie de chanter des chansons de mec." Alors la jeune Typh choisit de composer des musiques qui correspondent à sa voix. "J’étais tellement complexée par ma voix de garçon que cela m’a donné la rage et la volonté de faire quelque chose d’original." Elle s’inspire de ce que Brel a dit : "Il n’y a pas de talent, il n’y a que l’envie." La sienne est grande : "Je voulais qu’on valide mon identité. Je sentais la musique que j’avais envie de composer et de chanter. Peu importe ce que les professeurs me disaient. Mon envie était plus forte que tout."
Typh Barrow choisit donc d’écrire ses chansons en anglais : à la maison, ses parents écoutaient beaucoup de blues, de jazz, de la soul. Et peu de chansons françaises.
Écrire, composer, elle aime cela. Mais se produire sur scène ? Un déclic se produit vers l’âge de 16 ans. Comme beaucoup de ses amies, elle décroche un job de vacances dans un restaurant piano-bar à la Côte belge. Elle est engagée en tant que serveuse. "Une catastrophe. Je suis terriblement maladroite. Je ne savais pas tenir deux assiettes, je faisais tout tomber. J’ai demandé au pianiste de me laisser jouer un morceau, puis deux, puis trois. Le patron m’a demandé si je pouvais tenir comme cela pendant deux ou trois heures. J’ai dit oui, au culot… Il m’a virée en tant que serveuse et m’a engagée en tant que pianiste… !"
Le jazz et le droit
Mais artiste, est-ce un métier ? À la fin de ses humanités, elle décide de suivre les cours au conservatoire de jazz et d’entreprendre, en même temps, des études de droit, à Saint-Louis, puis à l’UCL. Diplôme en poche, elle est stagiaire chez Becker&Mckenzie. Elle continue à se produire dans des fêtes de famille jusqu’à ce qu’elle rencontre François Leboutte qui réalisait des captations de concert pour la RTBF. Un vrai passionné, intuitif, brillant, rassurant. Coup de foudre musical. Il devient son manager et son producteur et lui fait enregistrer ses premières maquettes qu’il poste sur Youtube. Le résultat est magistral : les feedbacks arrivent du monde entier. Ses reprises en piano-voix de tubes hip-hop des années 1990 lui procurent des millions de vues. Coolio salue sa reprise de Gangsta’s Paradise.
Ses compositions passent sur les radios, on fredonne ses chansons. La voilà lancée, elle part en tournée, ses concerts se remplissent : son énergie sur scène attire les foules.
Jusqu’à ce qu’un jour, en plein concert, sa voix se brise. Elle revient de Madagascar avec un gros virus. Son médecin révèle l’existence d’un kyste sur ses cordes vocales et propose de l’enlever. "Spontanément, j’ai refusé. Mon corps m’a dit non." Mais la seule solution pour guérir, c’est… le silence total. To-tal. Pas un mot, pas un chuchotement pendant un mois. "C’est une des expériences les plus riches de toute ma vie, une des plus apaisantes aussi. Un truc de fou. J’ai appris à parler avec des petites fiches. Ce fut une grande période d’introspection." Guérie, elle refait des tests : sa voix a retrouvé sa puissance, celle d’une mama gospel.
La méditation et le silence
Elle a pris goût à la retraite et au silence. Pour passer le réveillon 2017-2018, elle part seule à Vipassana, au Venezuela : dix jours sans parler, sans écrire, sans lire, sans téléphone. Rien. "On méditait toute la journée, on ne pouvait même pas regarder les gens dans les yeux pour éviter tout échange. Ce n’était pas du tout sectaire ou maso. Cela permet de vider le cerveau, d’ordinaire noyé par une foule d’informations inutiles. Les premiers jours, c’était difficile. Mais je suis sortie de là complètement reconnectée, avec une énergie nouvelle."
Cette énergie qui l’aide à relever les défis de 2018 : "Une année magnifique, tout s’est aligné. Cela m’a permis d’aborder les défis avec plus de sérénité. Avant, j’avais beaucoup de démons. J’avais appris que pour être fort, il ne fallait pas montrer ses failles. En réalité, c’est tout le contraire. La vraie force, c’est d’admettre ses failles, ses faiblesses, les accueillir et les aimer. J’étais en contradiction totale avec cela. J’avais une belle carapace. Mais il y avait une grosse dissociation entre la carapace et l’intérieur. J’avais des choses à découvrir sur moi. J’ai dû apprendre à m’aimer. À présent, j’ai toujours un trop-plein d’énergie, mais je vis cela plus sereinement."
C’est sur scène qu’elle utilise le bon stress, celui qui permet de se dépasser. "C’est une belle énergie de se sentir portée par le public, par ses musiciens. Tout le monde donne et reçoit." Le travail avec son équipe, manager, musiciens, techniciens du son, de la lumière et attaché de presse, cela n’a pas de prix.
En 2019, elle a été jury pour "The Voice" Belgique : une belle expérience très énergivore, très chronophage pour celui qui veut coacher les talents avec sérieux. Car les candidats jouent leur rêve, leur carrière. "C’était très intense, un foisonnement humain et artistique formidable car on s’attache à ses talents : une expérience très riche."
En souvenir de Maurane
Aujourd’hui, artiste reconnue, elle gère sa carrière en toute humilité. On la compare à Amy Winehouse ? "C’est une de mes références, comment ne pas être flattée ? Quel talent ! Mais je trouve que c’est très exagéré car personne ne lui arrive à la cheville." Parmi ses émotions, elle cite aussi sa rencontre grandiose avec Maurane, puis le choc terrible, quand elle a appris sa mort, au lendemain de leur concert, place des Palais à Bruxelles. "Elle m’accompagne toujours, je ne peux pas m’empêcher de lui rendre hommage à chaque concert. Quand on fait un duo avec Maurane ou BJ Scott, ce sont des moments magiques : elles vous portent, elles se calent harmoniquement et déploient un tapis où l’on se pose. Les duos, ce sont les meilleurs moments."
Des projets ? 2019 est un très bon cru pour Typh Barrow. L’an prochain, des concerts sont déjà programmés au Cirque royal et au Forum à Liège. Elle chantera aussi en Espagne et en Pologne.
Typh Barrow, là n’est pas la moindre de ses qualités, soutient aussi plusieurs associations, dont Les amis de l’Institut Bordet, SOS faim. "La voix, dit-elle, est le miroir de l’âme." La sienne doit être bien belle…