Foals ressort les guitares
- Publié le 17-10-2019 à 10h10
- Mis à jour le 29-10-2019 à 15h13
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Foals est de retour, six mois après la sortie d’“Everything Not Saved Will Be Lost, Part one”. Le groupe de rock britannique livre vendredi le second volume de ce diptyque annoncé. Rencontre avec le groupe le plus festif du Royaume-Uni, dont la plume est désormais hantée par les errements de notre société.
Yannis Philippakis est bougon, ronchon, presque désagréable. En un regard, il transcende l’art du flegme britannique, et communique avec une merveilleuse efficacité toute la lassitude que génère en lui l’inévitable devoir de promotion. Après une dizaine de minutes, on en vient même à se demander si la barbe fournie qui masque une partie du visage du chanteur et guitariste de Foals ne cache pas une moue acquise de naissance, dont il ne se départirait que sur scène, ou chez lui à Oxford, loin des regards indiscrets.
Cette attitude est d’autant plus intriguante, qu’elle contraste radicalement avec l’univers d’un quintet, qui s’est imposé comme le groupe de rock le plus exaltant de sa génération à coups d’albums festifs et de prestations scéniques survoltées. Né en 2008 au beau milieu d’une Grande-Bretagne livrée en pâture aux derniers râles d’un Brit Rock de moins en moins créatif, Foals a gratifié les sujets de Sa Majesté d’un renouveau salvateur. Un second souffle porté par des basses dansantes, des claviers enivrants, un jeu de guitare dominant, et une identité sonore repensée tous les deux ans, pour chaque nouvelle production.
Quand l’inspiration se heurte à l’épuisement, en 2015, Foals s’arrête. Le groupe prend un break, et perd son bassiste - Walter Gervers - qui quitte ses camarades pour se consacrer à sa famille. Yannis Philippakis écume les pubs de Londres, pose sa plume à Paris puis en Grèce, et prend le contre-pied du secteur en faisant le choix de l’autoproduction. Foals en retire… deux albums, faits de la même sève, mais aux formes radicalement différentes. Brillant, Everything Not Saved Will Be Lost, Part I (Warner, mars 2019) était doux, électronique, envoûtant, très pop dans ses arrangements. Son cadet, publié ce vendredi, est une authentique réponse rock’n’roll, décevante certes (lire ci-dessous), mais dotée d’une tout autre forme d’énergie. Rencontre avec un homme intense et son guitariste Jimmy Smith, un rien plus philanthrope.
Vous n’aviez pas prévu de promo, initialement vous pensiez pouvoir y échapper ?
Jimmy Smith : Oui, on a vraiment tout fait pour l’éviter, mais il semblerait que ce soit impossible (rires).
Quand s’est imposée l’idée de sortir deux albums ?
J.S. : Tout a été conçu au même moment sans intention précise, si ce n’est celle d’enregistrer le plus possible. Le fait de pouvoir travailler en autoproduction nous a donné plus de temps, davantage de phases de répétition, de réécriture, et on a fini par se retrouver avec 18 titres qui ne collaient pas forcément ensemble.
Yannis Philippakis : Dans un premier temps, nous avons essayé d’en faire un seul album cohérent, mais ça ne fonctionnait pas, le résultat était confus. Puis nous avons réalisé que pour la première fois de notre carrière, nous avions créé deux œuvres, deux voyages différents. La première partie de Everything Not Saved Will Be Los t est plus délicate, plus douce dans ses sonorités. La seconde est plus rock’n’roll, clairement orientée vers les guitares. C’est un peu comme le Soleil et la Lune, si vous voulez : vous avez deux œuvres qui ne se ressemblent pas, mais qui sont fondamentalement connectées.
Aviez-vous besoin de retrouver votre liberté pour stimuler votre créativité ?
Y.P. : Nous concevons chacun de nos albums en réaction à l’album précédent. What Went Down (2015) avait été enregistré très rapidement, pendant la tournée de Holy Fire (2013). Notre producteur de l’époque était très méthodique, il avait une direction en tête et savait exactement comment y parvenir. Nous avons donc choisi de ne prendre aucune direction, cette fois, pour laisser l’exploration s’épanouir, sans limites ni timing. Plus vous avancez en tant que groupe, plus les choses sont difficiles. Nous devions trouver un moyen d’apporter quelque chose de neuf, et vous ne pouvez le faire qu’en étant totalement libre.
Le titre de ce double album renvoie directement à l’extinction des espèces, d’un monde, le dérèglement du climat. L’ensemble est assez pessimiste, alors que les jeunes générations semblent plus combatives…
Y.P. : Le fait que des jeunes aient manifesté à Bruxelles et ailleurs dans le monde est génial. Je pense que l’inquiétude des nouvelles générations est authentique, et je dirais que cela vient du sentiment de frustration généré par le fait que le monde dont ces jeunes vont hériter est massacré par des gens de pouvoir qui ne seront même plus là pour voir les dégâts dans quelques années. C’est un peu la même chose pour le Brexit. Depuis que le Brexit a été voté (en juin 2016, NdlR) des milliers de personnes ayant répondu "oui" lors du référendum sont probablement décédées, puisqu’il s’agissait souvent des générations plus âgées. Ici aussi, vous avez un peu le sentiment que votre avenir est dicté par des personnes qui ne seront plus là quand vous devrez l’assumer, et qui, fort probablement, s’en foutent complètement.
Votre génération, les trentenaires, semble moins active, moins engagée…
Y.P. : L’âge vous engourdit, il attaque l’optimisme, la foi que les adolescents ont en leur capacité de changement. Je pense aussi que toutes ces questions n’étaient pas aussi proches de nous, il y a quinze ans. On me demande souvent : "auriez-vous écrit ces textes il y a dix ans ?" Absolument pas, l’idée n’a jamais été de m’engager socialement avec Foals, mais la situation est tout à fait différente aujourd’hui. On ne peut pas écrire dix-huit titres qui résonnent à l’extérieur sans tenir compte des enjeux de notre époque.
Les paroles sont sombres, la musique douce ou festive. Le public est-il capable d’intégrer les deux en même temps ?
Y.P. : J’aime le contraste entre la noirceur des textes et la vitalité de la musique. J’utilise cette vitalité comme une sorte de cheval de Troie, pour les gens qui veulent prêter attention au contenu. Vous écrivez de la musique pour gratifier les corps, parfois jouer sur les émotions, mais le contenu, c’est une autre histoire, et ce paradoxe les renforce l’un comme l’autre.
Vous n’avez encore rien joué du second volume, une nouvelle tournée devrait donc être annoncée ?
J.S. : Disons juste que la tournée actuelle sera très longue, et c’est excitant parce que nous allons pouvoir remodeler totalement le set avec des morceaux que personne n’a jamais entendus jusqu’ici.

Un déluge de riffs un peu vain, et nettement moins harmonieux
Foals n’a pas menti sur le produit : dès les premières secondes de "The Runner", les guitares fracassantes font leur grand retour, sans réellement apporter l’énergie attendue. Efficace, ce premier single se laisse écouter avec plaisir, mais déçoit quelque peu en regard de ce que proposait Everything Will Be Lost, Part I (****) publié en mars dernier. "Wash Off" enchaîne immédiatement, porté cette fois par la rythmique d’une batterie rapide et nerveuse. Ici aussi, l’ensemble fonctionne, mais manque cruellement de fraîcheur et d’originalité. Les refrains sont chantants, le morceau s’emballe, mais tout cela reste bien trop convenu pour atteindre le niveau de créativité du premier opus.
À la basse, donc, de tenter de dynamiter les choses une fois pour toutes avec "Black Bull". Yannis crie, s’agite, se rappelle aux bons souvenirs de la période "lourde" du groupe sur What Went Down (2015) et en profitera certainement pour galvaniser son public sur scène. "Like Lightning" est oubliable, "Dreaming of" trop pénible pour l’être, et "Ikaria" nous sort brièvement de ce déluge de riffs un peu vains pour introduire "10 000 feet".
À vouloir jouer les gros bras, Foals rate ce qu’il avait parfaitement réussi il y a six mois : trouver une harmonie, un équilibre subtil. Il faut attendre "Into The Surf" et surtout l’excellent "Neptune" pour retrouver le groupe novateur que l’on a tant aimé, avec ses envolées rock imprévisibles et apaisantes. Sans être inaudible, ce volume II (**) est largement en deçà du premier. Réunir les meilleures pistes sur un seul album n’aurait sans doute pas été une si mauvaise idée, finalement.
Foals, "Everything Not Saved Will Be Lost, Part II" (Warner) sortie ce vendredi 18 octobre.