Karl Hyde et Rick Smith (Underworld), les sexagénaires qui sortent un album par semaine
- Publié le 29-10-2019 à 11h05
- Mis à jour le 01-11-2019 à 16h18
:focal(1430.5x963:1440.5x953)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/GFLCKFDHLVA4DHDCVUIMVA3E5Q.jpg)
Karl Hyde et Rick Smith ont créé le groupe Underworld en 1988. Depuis, ces piliers de la techno multiplient les projets novateurs. Ce vendredi, ils sortent “Drift”, version album d’un projet fou étalé sur 52 semaines.
"Sympa tes chaussures, c’est chouette de voir un peu de couleur ", s’extasie Karl Hyde. "Peut-être que j’en parle parce que j’ai besoin de ça pour me réveiller à une certaine heure de la journée", poursuit-il, hilare, lorsqu’on lui fait remarquer qu’il aborde régulièrement le sujet dans ses interviews. " Quand vous allez en Asie, au Japon par exemple, toutes les voitures sont colorées. Il y a du rouge, du jaune, du bleu. Au Royaume-Uni, tout est gris, noir, brun dans le meilleur des cas, quand les gens sont vraiment excentriques. C’est terriblement triste." Avec ses cheveux blonds et ses chaussettes jaunes, Karl n’a pas vraiment le profil type du sexagénaire britannique. Pas de ceux qui votent pour le Brexit en tout cas, puisque monsieur n’arrête pas de passer la frontière pour se produire dans de gigantesques salles de concert aux quatre coins de la planète.
Les vieilles dames et la techno
Formé à la fin des années 1980 avec son camarade Rick Smith et un troisième larron débarqué entre-temps, Underworld règne depuis plus de trente ans sur la musique électronique, avec sa techno pop, tantôt dure, tantôt rêveuse et poétique. Pas vraiment le genre du grand public, jusqu’à ce que leur ami réalisateur Danny Boyle place le morceau "Born Slippy" au générique de son célébrissime Trainspotting , en 1996, et transforme le duo en icône des rave parties auprès des amateurs de cinéma et de soirées festives.
Ce qui semble curieusement éloigné de la campagne anglaise où Mister Hyde prend désormais le thé avec de vieilles dames distinguées, quand il n’est pas en tournée. " J’ai adoré vivre à Londres pendant quelques années, parce que personne ne fait vraiment attention à vous. Maintenant que je suis de retour dans un petit village, je dois me tenir à carreau " rigole-t-il, l’œil brillant et subtilement malicieux. " Je crois que le tea room est devenu mon endroit préféré, parce qu’un petit groupe de dames âgées… enfin, plus âgées, fait un excellent thé et de succulents gâteaux. Et vous savez quoi ? Elles savent tout ce que je fais ! À mon grand désespoir, elles suivent tous nos shows sur YouTube. Je ne fais plus illusion auprès de personne. Elles me demanderont certainement ‘comment était Bruxelles’ quand je rentrerai ce soir", s’amuse Karl Hyde.
Un an à la dérive
Entre deux scones à la crème avec ces dames, Karl enregistre, tout le temps. Outre ses collaborations avec Iggy Pop et Danny Boyle, Underworld déborde d’inspiration, depuis une dizaine d’années. Vendredi, le duo sortira… sept nouveaux albums (!) en un seul coffret. " Plutôt un album sur sept disques ", corrige Karl, qui s’est lancé il y a près d’un an avec son ami Rick dans le projet fou d’enregistrer et diffuser, chaque semaine, une heure de musique inédite. " Début 2010, nous étions très près de toucher le fond", nous explique-t-il. " Il devait y avoir quelque chose d’aussi fin qu’une feuille de papier à cigarette entre Rick, moi et la dissolution. Le processus qui consistait à sortir un album tous les trois ans, puis tourner pour nous faire un peu d’argent devenait vain, déprimant. Puis Rick a eu cette idée géniale : utiliser tout le matériel que nous avions composé sur la route ces dernières années sans l’exploiter - une cinquantaine de débuts de morceaux au total - pour en faire la base de travail que nous nous engagions à compléter chaque semaine durant un an."
Baptisé Drift (dérive), le projet n’a que deux règles fondamentales : un timing à respecter et un volet visuel à développer. Tout le reste est ouvert : techno, soul, jazz et compositions très cinématographiques se mêlent joyeusement dans cette production gargantuesque, désormais publiée en intégralité. " C’est merveilleux d’être challengé comme cela à 62 ans au lieu de rester bien planqué ", s’émerveille Karl Hyde qui semble planer naturellement et constamment. "Le confort tue la créativité, il faut se battre contre ses propres instincts. Ce processus, c’est la vie. Franchement, je pense qu’on ne va plus jamais s’arrêter." Conscient que tout le monde ne va pas se ruer sur sept albums, Underworld sort en parallèle un "sample" de dix titres, une porte d’entrée vers cet univers dense et extraordinairement créatif ( ), disponible en version physique et numérique dès ce 1er novembre.
Pas de setlist pour les concerts
Difficile, donc, de savoir ce que joueront les deux compères lors de leur passage à la Lotto Arena d’Anvers le 22 novembre prochain. Eux non plus n’en ont pas la moindre idée. " C’est l’un des aspects les plus excitants de ce projet " s’extasie une nouvelle fois le musicien britannique. " Nous déciderons 24 h à l’avance ce que nous avons envie de jouer, parfois même avec du contenu créé le jour-même. Nous avons une liberté que nous n’avions jamais connue par le passé. Et puis… qui a encore envie de revoir le même show ? Aujourd’hui, vous jouez à Mexico et le lendemain, toutes les vidéos sont en ligne. Pas moyen de garder une surprise. Ça devenait totalement ennuyeux pour tout le monde. La liberté est un choix, prendre le temps de faire les choses aussi ."
Vous aimeriez bosser avec Iggy Pop ? "Non, pas vraiment"
Une autre légende de la musique est en flammes ces derniers temps : Monsieur Iggy Pop. Depuis la fin officielle des Stooges, en 2014, le "Lézard" enchaîne les projets aussi divers que gonflés. Quand il ne reprend pas des classiques de la chanson française ( Après), monsieur s’acoquine avec des membres des Queens Of The Stone Age et d’Arctic Monkeys ( Post Pop Depression ), et vient tout récemment de s’offrir une ode à la liberté ( Free ). Rien d’anormal, donc, à le voir fricoter avec Rick Smith et Karl Hyde à l’été 2018, sur Teatime Dub Encounters , EP de quatre titres absolument surréalistes, où l’on entend notamment Iggy revenir sur "les belles années où l’on pouvait encore fumer des clopes dans un avion" et essayer de gratter le numéro de téléphone d’une hôtesse, sur fond de beats électroniques.
Comment s’est déroulée la rencontre avec Iggy Pop ?
Nous nous sommes retrouvés à Miami, mais ça fait un petit temps qu’on voulait bosser avec lui. Il m’a donné l’album sur lequel il chante en français, et sur le moment, je me suis dit : c’est incroyable, Iggy fait totalement et uniquement ce qu’il veut. Pour moi, ce n’est pas de l’arrogance, ça revient simplement à voir mon héros être en totale liberté, comme il l’a toujours été au long de sa carrière.
Ça vous a inspiré ?
Iggy m’a toujours inspiré, parce qu’il a toujours été différent. On en a parlé à Miami d’ailleurs. Je suis arrivé à table en lui disant : "Iggy, je dois t’avouer quelque chose… Quand j’étais petit, mes amis qui avaient un peu d’argent achetaient les albums de Bowie, Black Sabbath, Led Zeppelin… Nous étions tous des gosses de familles assez pauvres de la classe ouvrière, et on adorait ces groupes parce qu’ils avaient "des trucs" : des beaux vêtements, des grosses maisons, de belles femmes. On rêvait d’avoir tout ça un jour. Puis, un jour, l’un d’entre nous est arrivé avec un album des Stooges. On l’a écouté, et tout le monde s’est dit : mais qu’est-ce que c’est que ce truc ? Ces mecs hurlent, il n’y a rien : pas de fringues ou de belles maisons." Iggy a éclaté de rire et m’a dit avec sa voix rauque : "Ouais, les Stooges ne vous donneront jamais rien de ça. Parce que les Stooges n’ont jamais voulu de tout ça."
Votre collaboration est restée discrète…
Oui, nous voulions garder la surprise. Les gens savaient qu’on connaissait Iggy et nous demandaient souvent : "Aimeriez-vous collaborer avec lui, un jour ?" On rigolait et on disait tout le temps : "Non, pas vraiment" (rires). Puis on a sorti notre album commun.
Underworld, "Drift" (Caroline, sortie ce 1er novembre). En concert à la Lotto Arena d’Anvers le 22 novembre.