Angèle: "Le revers du succès, c'est que tu y laisses une part de liberté"
Un an après la sortie de Brol, Angèle publie “ Brol, La Suite”, une version collector de son premier album, augmentée de sept titres. Rencontre et retour avec la chanteuse sur les deux années dingues qui l’ont propulsée au sommet.
- Publié le 04-11-2019 à 06h39
- Mis à jour le 15-11-2019 à 14h07
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Un an après la sortie de Brol, Angèle publie “La Suite”, une version collector de son premier album, augmentée de sept titres. Rencontre et retour avec la chanteuse sur les deux années dingues qui l’ont propulsée au sommet.
Pour une fois, pas besoin d’introduction, de chiffres en série ou de trait d’esprit. Tout le monde connaît l’artiste du jour, ses vidéos et fort probablement ses morceaux. Le “phénomène Angèle”, star du web, des ondes et de la scène, a tout balayé sur son passage depuis la sortie du titre “La Loi de Murphy” en octobre 2017, puis l’album Brol un an plus tard, et les innombrables concerts qui ont suivi. Consacrée égérie pop à une vitesse proche du délire, Mademoiselle Van Laeken est tout simplement devenue impossible à éviter, quelles que soient les générations.
Ce que l’on connaît moins, c’est la personne derrière le personnage. L’artiste de 23 ans projetée volontairement dans la moissonneuse-batteuse du succès avec une maîtrise et une sérénité hallucinantes. Rencontre matinale avec chanteuse star aussi honnête que clairvoyante, sur les raisons et les conséquences de ce parcours hors normes.
Comment survit-on à deux années aussi intenses ?
C’est le truc le plus fou qui me soit arrivé, alors je n’ai vraiment pas à me plaindre. Le rythme a été tel, depuis “La Loi de Murphy”, que je n’ai même pas eu le temps de me rendre compte de l’ampleur de tout ça. Puis, en mars 2019, j’ai vécu une sorte d’entre-deux. Je venais d’enchaîner un an et demi de promo, de tournées, de création. Je m’étais mis beaucoup de pression pour les deux concerts à l’Olympia (Paris) et j’étais super fatiguée. La période était un peu compliquée, parce que le succès était là, et il fallait répondre à une demande de plus en plus importante, alors que nous étions encore dans une création à trois sur scène, avec des moyens, mais sans qu’ils soient gigantesques. Puis les choses se sont accélérées : on a commencé la tournée des zéniths et tout est encore monté d’un cran.
Tout ça est arrivé un peu trop vite ?
Je ne sais, pas, je ne pourrai le dire qu’après. Le seul élément qui s’est vraiment développé à un rythme différent, plus rapide que tout le reste, c’est le live. La première année sur scène géniale, mais j’ai senti que c’était encore une première tournée, qu’il y avait d’autres choses à faire. Aujourd’hui, j’ai pris le temps de préparer une tournée qui sera vraiment à la hauteur du succès.
Qu’est-ce qui génère de la pression : le succès, les attentes, la médiatisation ?
Disons que dès le début, j’ai tenu à gérer absolument tout. Je voulais faire la musique que j’aime, que j’avais écrite et composée moi-même. Tous les choix artistiques sont partis de moi, j’avais la main sur tout parce que j’avais une idée sur tout, et je ne voulais surtout pas que quelqu’un d’autre fasse des choix à ma place, au risque de désincarner mes morceaux. C’était utopique, mais je ne suis pas arrivée très loin, finalement, et ça a été la principale source de pression, parce qu’après il faut tout assumer et faire ses preuves.
On a plutôt l’impression que les choses se sont déroulées facilement, non ?
Je ne peux pas dire que j’en ai bavé, parce que d’autres artistes en bavent pendant des années. Mais ça ne veut pas dire que tout a été facile pour autant. Quand “La Loi de Murphy” est sorti, j’ai dû prouver ma légitimité vis-à-vis de ma famille, qui était déjà installée, et dont tout le monde me parlait tout le temps en disant “tes parents, tes parents, tes parents”. Puis il y a eu les premières parties de Damso. C’est un rappeur, son public se foutait complètement de ce que je faisais, et quand je dis complètement, c’est complètement. Mais sans cela, les choses n’auraient pas aussi bien marché, parce que c’est ce qui m’a permis de ne pas avoir confiance en moi immédiatement. Comme je n’étais pas en confiance, je me donnais tous les moyens pour que ça fonctionne, je ne voulais surtout pas que les gens se trompent à mon égard. Même si je sors un truc pourri, bâclé, et qu’on dit “Waw, c’est nul Angèle”, aujourd’hui, ce sera moins grave, parce qu’un jour, ça aura été bien, j’aurai existé.
“Angèle” est devenue une marque, une personnalité, au risque d'être prisonnière du personnage ?
Il y a une part de ça, oui. Au début de l’année, j’ai vraiment réalisé que j’avais atteint un niveau de notoriété assez exceptionnel. C’est génial, vraiment, mais le revers du succès, c’est que tu y laisses une part de liberté. Toute l’organisation de ma vie a été bouleversée. Impossible de décider sur un coup de tête d’aller à tel ou tel endroit, par exemple. Il faut que ce soit planifié et organisé. Je ne peux pas me dire “Allez, je vais à telle soirée”. Si j’y vais, je dois être accompagnée de personnes qui vont être réactives, le lieu doit être mis au courant, préparer le terrain. Si je suis en retard à un rendez-vous, je ne peux pas simplement aller prendre le métro. Il y a des choses naturelles que je n’ai plus le droit de faire. Très souvent, quand je me balade en rue et que les gens me voient, leur première réaction est de dire “Hé, mais qu’est-ce que tu fais là ?” (rires). Comme si c’était anormal. J’ai juste envie de répondre “ben, je vais chercher mon pain et je suis habillée comme un dimanche, parce que c’est dimanche”. On a un peu tendance à oublier que derrière le nom et l’image, il y a une vraie personne avec des pensées, des besoins.
Puis il faut en permanence être gentille, jolie, souriante, polie…
Oui, mais ça m’a plutôt rendu service, parce que, plus jeune, j’avais plutôt tendance à être un peu grognon, à me plaindre sans arrêt. Je n’avais aucun complexe à être ronchon toute la journée avec les gens qui m’entourent (rires). C’est une des choses pour lesquelles j’ai mûri. J’ai nettement moins envie de me plaindre, et j’en ai moins le droit.
Comment fait-on pour garder le contrôle quand plus rien n’est “normal” ?
On ne peut pas, c’est impossible. Le contrôle se fait sur ce qui est créatif, artistique. Après, tout ce qui gravite autour de ça, m’est un peu égal. Heureusement, j’ai une vie assez saine, si j’avais été du genre à picoler, j’aurais pu flancher. Si tu utilises ça pour faire redescendre la pression un peu trop vite, tu perds le contrôle. L’élément clé, pour moi, a vraiment été mon entourage. On dit toujours qu’il ne faut surtout pas travailler avec ses amis, mais c’est faux. Il faut simplement que les choses soient claires dès le début. Mes deux managers sont mes amies, on gère le label à trois et je pars en vacances avec elles. Aucune d’entre elles ne va me donner plus d’importance que je n’en ai réellement. Ça change tout, parce que si tu es entourée de personnes qui te traitent comme une demi-déesse, tu finis par y croire et tu ne sais plus qui tu es. Sylvie (Farr, l’une de ses managers NdlR) ne me laissera jamais prendre la grosse tête. Dès que je dis une phrase de princesse, elle la note quelque part et elle me la ressort plus tard (rires).

"Je vais devoir vivre des choses avant de sortir un deuxième album"
Deux ans après Brol, Angèle sort une “suite” revue et augmentée de sept titres, dont le single “Perdus” et une version orchestrale de “Ta Reine” qui s’intègrent parfaitement dans son univers sans révolutionner son œuvre.
Cette suite de Brol, c’est une façon de te donner du temps avant un nouvel album ?
Universal, qui a distribué l’album, m’a dit “Si tu veux t’arrêter là, c’est très bien. Tu fais ce que tu veux”. Mais j’avais encore des choses à dire musicalement et je ne voulais pas attendre un deuxième album, parce qu’avant de m’y mettre, je vais avoir besoin de vivre des choses, grandir, peut-être travailler avec d’autres personnes. Je sais plus ou moins vers où je veux aller, mais je n’ai pas le sentiment d’avoir la maturité pour le faire.
Quand ont été écrits ces nouveaux titres ?
J’ai écrit la “La Loi de Murphy” il y a trois ans avec Veence Hanao et Matthew Irons du groupe Puggy. C’était une période géniale, très insouciante. Je vivais chez mes parents et je ne devais m’occuper de rien, hormis faire de la musique tous les jours. L’une des chansons composées à l’époque s’appelait “Trouble”. Veence avait écrit un très beau texte qui parlait de rupture, mais je n’étais pas dans une rupture amoureuse à ce moment-là. Je n’avais jamais vécu ça et je me voyais mal raconter quelque chose que je n’incarnais pas, donc je l’ai laissé tomber. Il y a quelques mois, j’ai réécouté le morceau en me disant “c’est dommage, c’est vraiment une belle chanson”. J’ai réécrit un texte en partant du sien, en ne parlant plus de rupture, mais d’insomnies. Tous les autres morceaux, eux, ont été écrits chez moi ces neuf derniers mois.
Ces titres semblent plus personnels, intimes. Tu avais besoin de coucher ça sur papier pour te retrouver ?
Écrire me fait énormément de bien, mais je ne me suis pas dit “maintenant je vais me livrer aux gens”. C’est juste que des choses plus fortes me sont naturellement arrivées durant ces deux ans. Des choses plus intimes, aussi, dont j’ai peut-être eu besoin de parler.
Tu fixes une limite dans l’intimité dévoilée ?
Oui clairement, il y a des morceaux que je n’ai pas sortis et que je ne sortirai jamais, ou peut-être sur le second album. Les gens connaissent déjà ma vie, je n’ai pas envie d’aller trop dans les détails.
Ton discours est posé, serein, mature, presque trop…
Le fait d’avoir toujours vu mes parents sur scène rend sans doute tout ça très naturel, aujourd’hui. Et puis, pour une fois, j’ai pu anticiper et planifier les choses. À un moment, durant la tournée, je ne comprenais plus rien, j’étais dans un tunnel sans fin, je ne savais même plus où j’étais. Là, j’ai repris le contrôle, je peux organiser les choses ralentir un peu. J’ai l’impression de repartir à zéro, et franchement, j’ai juste envie de remonter sur scène.
“Brol, La suite”, sortie le 8 novembre.
En concert à la Lotto Arena d’Anvers le 10 novembre, puis au Palais 12 de Bruxelles le 19 novembre.