Zucchero: "Nous avons oublié ce qu’est la liberté"
- Publié le 12-11-2019 à 10h13
- Mis à jour le 12-11-2019 à 11h38
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Zucchero sort son quatorzième album studio et ose sortir de ses sentiers battus. L’Italien a su trouver le juste mélange entre ses racines et son affection pour le blues et la soul. Rencontre.
Quelques semaines avant la sortie de son dernier album, l’homme aux 300 chapeaux nous accueille dans un grand hôtel milanais. Sans couvre-chef cette fois, mais toujours avec bonhomie et hospitalité. Le chanteur italien de 64 ans connaît une renommée mondiale. Adelmo "Zucchero" Fornaciari a collaboré avec les plus grands, comme Bono, B.B. King, Eric Clapton, Joe Cocker ou encore Miles Davis. Mais il tient à garder les pieds sur terre et à rester accessible. L’interprète du tube mythique "Senza una donna" préfère s’exprimer dans sa langue natale pour ne pas limiter sa pensée.
Zucchero revient aujourd’hui sur le devant de la scène avec D.O.C., son premier album studio depuis 2016. Un disque sur lequel il teste de nouvelles choses, il s’essaie à des sonorités parfois étonnantes pour un amateur de blues et de soul et évoque régulièrement la rédemption et le pardon. Ce qui est aussi surprenant pour un athée. Rencontre.
Vous vous apprêtez à sortir votre nouvel opus. Est-ce que l’on est encore un peu stressé quand on sort son quatorzième album ?
Bien sûr, ça me procure encore beaucoup d’émotions. Je suis impatient de découvrir la réaction du public. J’ai travaillé un an sur ce projet, j’ai écrit plus de trente chansons pour finalement en utiliser onze. C’est un album où j’ai essayé d’être moi-même et de faire des expérimentations au niveau de la musique. J’ai voulu faire en sorte qu’elle soit plus moderne et plus actuelle. Je ne suis pas stressé, je suis plutôt curieux de voir comment sera reçu mon album.
Sur les premières chansons de l’album, on entend des touches de musique électronique. C’est la première fois que vous vous essayez à ce genre musical ?
Dès le début du projet, j’ai voulu utiliser de l’électro, beaucoup plus que dans mes albums précédents. J’ai aussi voulu travailler avec des producteurs jeunes, pour qu’ils puissent maîtriser ce genre, le rendre chaud parce que c’est un style qui peut être un peu froid. Il fallait savoir le doser. Je voulais aussi mélanger cela avec des instruments réels, de vrais musiciens. C’était mon idée de départ.
Dans votre titre " Sarebbe Questo Il Mondo ", vous déplorez l’état du monde, bien différent de celui dont vous rêviez étant petit. Quel monde attendiez-vous ?
J’ai grandi dans le nord de l’Italie, dans un village de la région d’Émilie-Romagne. Je venais d’une famille de paysans. J’avais une vie simple, authentique, pleine d’amour. Jusqu’à l’âge de douze ans, j’ai grandi avec cette vision-là du monde. Avec le temps, je me suis vite rendu compte que l’on vit dans un monde difficile, où il n’y a pas de paix. La liberté est un concept que les gens pensent détenir mais ce n’est pas véritablement le cas. Ce monde-là n’est pas celui dont je rêvais.
La liberté est un concept qui vous tient fort à cœur. Le premier single de votre album s’appelle d’ailleurs " My Freedom "…
J’ai décidé de ne pas vivre dans une grande ville, j’ai préféré m’installer dans un petit village en Toscane, dans une ferme. Quand je rentre chez moi, je rentre dans une dimension différente, où je suis plus isolé. Je me sens libre là-bas. Je suis avec mes animaux, je fais mon propre vin, de l’huile, je passe du temps avec les paysans du coin. Malheureusement, nous avons tous oublié ce qu’est la véritable liberté, on est tous devenus standardisés d’une certaine manière. La liberté individuelle est très rare, car nous arrivons à accepter la vie telle qu’elle est et nous consentons à beaucoup de compromis. Je sais bien que c’est une idée un peu romantique, enfantine. J’essaie toujours d’être Adelmo et pas Zucchero.
Et sur scène, vous parvenez à retrouver ce sentiment ?
Ces dernières années, j’ai beaucoup travaillé sur moi-même. Quand je suis sur scène, je ressens une certaine libération. Avant, j’étais paniqué à l’idée d’y monter. Maintenant, quand je me lève, j’ai hâte d’y aller, c’est devenu ma maison. Je vois le public comme des amis que je reçois chez moi. Avant, j’étais souvent dans la démonstration, j’avais peur que le public m’oublie, je pensais qu’il n’allait rien me pardonner. Tout devait être parfait. Maintenant, je suis plus tranquille.
Vous avez l’impression que la célébrité vous enlève une partie de votre liberté ?
La liberté de marcher dans la rue sans me faire accoster, ça, je ne l’ai plus. Du moins dans certains pays. Par contre, j’ai une liberté totale dans l’écriture de mes textes. Je peux écrire ce que j’aime et je peux faire des albums comme je veux, sans avoir de compromis à faire avec la production. J’ai la liberté de prendre des décisions artistiques, avec les musiciens, sur les tournées.
Dans la chanson " Badaboom ", vous dites que vous ne pardonnez pas à votre pays, l’Italie. Pour quelles raisons ?
À la fin de la chanson, je finis par lui pardonner. On surnomme l’Italie "Bel Paese", le beau pays. C’est le cas, il suffit de regarder son histoire, son œuvre, sa nourriture, ses traditions, sa qualité de la vie. J’aime mon pays profondément. Si je ne l’aimais pas, je serais parti vivre ailleurs. Je condamne par contre le gouvernement, les politiciens. Depuis plus de dix ans, ils font des choses que je n’accepte pas. Ils ne tiennent aucune promesse. Ils ont fait des alliances qui n’ont pas été voulues par le peuple. Il y a un grand malaise politique. Il y a aussi beaucoup de corruption. J’en souffre. Il serait vraiment un "Bel Paese" s’il était géré différemment. Je dis "badaboom" pour attirer l’attention sur le fait que quelque chose pourrait éclater. Je souligne aussi que si un politicien avec beaucoup de charisme et de détermination arrivait au pouvoir, il pourrait à nouveau avoir une tendance autoritaire comme on a eu il y a quelques années.
Vous avez organisé de nombreux concerts de charité, vous avez évoqué le sort des migrants dans votre précédent album. C’est le rôle des artistes de sensibiliser à des causes et de s’engager ?
Bien sûr, l’une des tâches des artistes est de travailler pour sensibiliser le public et le gouvernement sur des problèmes. Il est évident que les artistes ne peuvent pas sauver l’humanité, mais la sensibilisation est possible. Je remarque cependant que ces dernières années, de moins en moins d’événements de charité sont organisés, c’est très dommage. J’ai la sensation que c’est comme si on devait accepter ce qui arrive et que la situation doit rester telle qu’elle est. Je crois que la tâche des musiciens, des artistes, est de mettre en marche une révolution et d’encourager les provocations pacifiques.
En concert le 8/11/2020 à Forest National.
L’Italien amoureux de la musique afro-américaine
Dans les années 1960, le petit Adelmo est à peine âgé de huit ans quand il fait une rencontre qui marquera à jamais ses goûts musicaux. Un jeune Américain originaire de Memphis, qui vivait pas loin de chez lui, lui fait découvrir les albums d’Otis Redding, d’Aretha Franklin, de Ray Charles. Un univers à l’opposé des chansons mélodiques italiennes qu’il a l’habitude d’entendre à la radio. "Je suis immédiatement tombé amoureux de ce type de musique afro-américaine, des sonorités, de la manière de chanter. J’ai voulu élargir mes connaissances du blues, du gospel, du r’n’b, de la soul. C’est devenu un ingrédient fondamental de ma musique. Je ne sais pas trop pourquoi, c’était un choix très suggestif."
Peu après ce coup de foudre musical, il se fixe comme objectif de devenir musicien, de gagner sa vie avec la musique. "Quand j’étais jeune, mon but était de jouer avec un groupe devant un petit public. C’était bien suffisant. Je n’aurais jamais pensé faire des albums et être connu." Quelques années plus tard, le petit Adelmo deviendra Zucchero, l’un des plus célèbres artistes italiens, capable de vendre 60 millions d’albums à travers le monde.
Il explique son succès à l’international par le fait d’être apprécié et respecté par des musiciens de légende comme Eric Clapton, Miles Davis, Bono, Sting, Queen, Peter Gabriel. "J’ai puisé dans la musique afro-américaine et en même temps, dans ma musique, il y a toujours une composante italienne mélodique qui vient de Puccini, de Verdi. C’est le goût de la Méditerranée que les Anglais et les Américains n’ont pas."
Dans la langue de Dante
L’interprète de Baila Morena a également tenu à chanter en italien et a refusé de se mettre à l’anglais pour tenter de séduire davantage le public international. "J’ai vite compris que la musique parlait, qu’elle avait déjà son langage. Des personnes ont écouté mes chansons sans comprendre l’italien et elles ont directement saisi ce que je voulais dire, même sans comprendre les paroles. Les vibrations, les émotions font aussi passer un message. Au début, je me disais que ce n’était pas un bon choix de chanter en italien, mais finalement on dirait bien que si !"