"Bonjour, c’est Pierre Niney et vous écoutez Bon Entendeur"
- Publié le 13-11-2019 à 10h23
- Mis à jour le 19-11-2019 à 10h54
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Ce qui s’est passé ne comprend ni violence, ni contrainte, ni agression." Ces mots, tristement célèbres, prononcés par Dominique Strauss Kahn sur le plateau TF1 en 2011 pour tenter de relativiser l’agression sexuelle dont il était alors accusé par Nafissatou Diallo, ont fait le tour du monde. L’homme a depuis été acquitté par la justice américaine et s’est arrangé "à l’amiable" avec la femme de chambre du Sofitel de New York pour éviter des poursuites au civil. Ce qui s’est déroulé ce jour-là ne sera jamais totalement dévoilé, et on imaginait mal ce trouble personnage faire un jour l’objet d’une chanson.
Deux ans plus tard, c’est pourtant précisément la voie périlleuse empruntée par trois musiciens français. Personne, à l’époque, n’a entendu parler de Bon Entendeur. Les camarades ne produisent pas de musique à proprement parler, mais postent en ligne des "mixtapes", sur lesquelles ils remixent leurs artistes et morceaux préférés, sans se limiter à un genre particulier. Le choix de DSK est provocateur, douteux, mais l’effet immédiat : plus de 600 000 personnes écoutent la mixtape qui porte son nom, et Bon Entendeur se fait une réputation.
"Au tout début, la voix n’apportait qu’un petit plus en guise d’introduction", explique Arnaud Bonet depuis le studio parisien où le groupe a enregistré un premier album paru en juin dernier (Aller-Retour, Sony). "On entendait la personnalité dire quelques mots, puis la musique prenait le relais. Mais, avec le temps, on a réalisé qu’il était plus intéressant de raconter une histoire, plonger l’auditeur dans l’univers de la personne qui parle, même si la musique reste centrale." Les trois larrons accordent alors leur attention à des personnalités plus fréquentables : Gérard Depardieu, Fabrice Luchini et l’inévitable général de Gaulle ont chacun droit à une heure de musique entrecoupée d’extraits vocaux. Plus d’un million de personnes écoutent François Cluzet parler d’amour en 2014, mais les extraits d’interviews glanés ci et là sur le Net ne suffisent pas toujours.
Arnaud Bonet, Pierre Della Monica et Nicolas Boisseleau se mettent alors à réaliser leurs propres entretiens. "Nous voulions faire parler une personnalité sur un thème précis", poursuit Arnaud Bonet. "Mais le contenu n’était pas toujours disponible ou de mauvaise qualité. Avec la hausse du nombre d’abonnés sur notre chaîne Soundcloud, on a pu se permettre d’inviter directement certaines personnalités en studio pour enregistrer du contenu exclusif."
Patrick Poivre d’Arvor accepte de jouer le jeu en 2015 et disserte sur l’optimisme. Richard Bohringer s’éclate pendant plus de deux heures en divaguant sur ses échappées nocturnes, en 2017. "La nuit, entre lascars, il n’y a jamais de problèmes", lance-t-il d’emblée entre deux notes de guitare, aussi sèches que sa voix rocailleuse. "C’est le jour qu’apparaissent les problèmes. La nuit te protège, c’est là qu’on rêvait, qu’on ne s’enviait pas les uns, les autres." En quelques minutes, l’auditeur est capté, apaisé par ce mélange équilibré de récit intime, de musique fouillée et de basses joyeuses, conçues en réaction à la morosité ambiante. "Richard Bohringer a été notre plus belle rencontre, précise Arnaud Bonet. On avait l’impression de parler à notre grand-père. On l’a lancé sur le sujet, puis il est parti tout seul en racontant un nombre incroyable d’anecdotes sur sa famille, ses voyages en Afrique, sa vie."
Ne cherchez pas de lien entre la proposition musicale et la personnalité invitée. "On ne se dit pas : ‘tiens, ça sonne très PPDA’, s’amuse Arnaud Bonet. Mais on s’adapte au grain de voix, l’émotion qu’il dégage."
Sept entretiens exclusifs ont été réalisés depuis 2015, dont ceux du comédien Pierre Niney, du rappeur Oxmo Puccino ou de l’auteur Frédéric Beigbeder, et une trentaine de mix ont emprunté les voix de Fanny Ardant, Simone Veil, Jacques Chirac, François Damiens ou encore feu Karl Lagerfeld. Les artistes dont les morceaux sont remixés, eux, n’ont pas le même degré de notoriété. Et c’est précisément le but de la manœuvre. "Tout l’intérêt d’une mixtape est de partager les sons ou morceaux les moins connus possible, précise Arnaud Bonet. On part de l’idée que si un morceau est populaire, il passe déjà à la radio."
Des heures durant, le trio traîne donc sur Internet à la recherche de vieilles pépites oubliées comme "Mes amis, Mes copains" d’Annie Philippe ou "Maria" de Charles Dumont, dont les œuvres revisitées se mêlent aux entretiens sur l’album publié début juin. "Pour le live, on a eu la chance de pouvoir mettre en place un partenariat avec l’INA (Institut national de l’audiovisuel) qui met toutes ses archives vidéo à notre disposition, conclut Arnaud Bonet. De vieilles images d’archives viennent soutenir les sons et les passages d’interview. On se situe vraiment à mi-chemin entre la culture moderne du zapping, et la volonté de faire revivre une partie du patrimoine culturel."
Bon Entendeur, Aller-Retour (Sony)
En concert à La Madeleine (Bruxelles) le 14 novembre et en DJ set au Reflektor (Liège) le 15 novembre.