Lionel Meunier, "libéro entraîneur" de Vox Luminis
Pour Lionel Meunier, il y a plus d'un parallèle entre le sport et la musique d'ensemble vocal. Avec Vox Luminis, spécialisé dans la musique ancienne, il favorise l'effort collectif et individuel. Illustration avec la messe en si mineur de Bach, à Bozar, ce jeudi 21 novembre.
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Publié le 20-11-2019 à 13h19 - Mis à jour le 20-11-2019 à 13h20
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Pour Lionel Meunier, il y a plus d'un parallèle entre le sport et la musique d'ensemble vocal. Avec Vox Luminis, spécialisé dans la musique ancienne, il favorise l'effort collectif et individuel. Illustration avec la messe en si mineur de Bach, à Bozar, ce jeudi 21 novembre.
La vie d’artiste international, c’est par essence le voyage. Tel est le cas de Lionel Meunier, chanteur basse, cofondateur et chef de l’ensemble Vox Luminis. Rançon de la gloire, tout ce petit monde revient d’une tournée de trois semaines aux États-Unis, avant de se remettre au turbin : concert à Cologne, répétitions de la messe en si mineur de Jean-Sébastien Bach en vue de cinq représentations : du palais des Beaux-Arts de Bruxelles le 21 novembre à Moscou le 26, en passant par Paris le 22 et Lyon le 23.
Pour Vox Luminis, célébrité venant, cette tournée d’une vingtaine de dates aux États-Unis, c’est presque une routine : New York (église Saint Mary the Virgin, près de Times Square), Boston, San Francisco… Mais il est une étape que Lionel Meunier ne voudrait louper sous aucun prétexte : Austin, Texas : "J’y vais tous les ans pour voir les matchs de l’équipe de basket. J’étais à la première de la saison, avec les Spurs de San Antonio, on arrange notre calendrier pour y aller."
Esprit d’équipe… de basket ou de foot
Quand il assiste aux matchs, Lionel Meunier porte la tenue d’une légende des Éperons texans, Tim Duncan, numéro 21, le "Big Fondamental". C’est dire si les rapports entre la musique et le sport l’intéressent… Lui qui avoue avoir une passion pour les relations humaines, s’interroge toujours sur la façon de bâtir un ensemble comme Vox Luminis : "C’est une famille, avec les personnes qu’on préfère, d’autres qu’on aime moins, le beau-frère, la belle-mère, mais on s’aime tous. Il y a des tensions, la fatigue, le décalage horaire, mais on ne laisserait personne s’en prendre à l’un d’entre nous. Et donc on va voir des matchs américains, de basket mais aussi parfois de baseball, ça a la longueur d’une Passion selon saint Matthieu , voire plus…"
Bourguignon d’origine, Lionel Meunier a été, très jeune, voir jouer l’AJ Auxerre avec son père, "jusqu’à ce que les stades de foot deviennent un peu moins fréquentables." En attendant, le directeur de Vox Luminis est en admiration devant ce club qui, avec peu de moyens mais en bâtissant une équipe solide, a été championne de France et est parvenue à se hisser en demi-finale de Ligue des champions.
"Je revois l’enfant que j’étais, triste quand Basile Boli est parti, mais Guy Roux est resté , se souvient Lionel Meunier. J’adorais cette manière de détecter les jeunes, de les faire jouer ensemble, et de faire jeu égal avec les grandes écuries." De là à faire un parallèle entre le sport et la musique d’ensemble, il n’y a pas loin : dans ses projets classiques, Vox Luminis aligne dix chanteurs et un continuo, orgue, viole de gambe ou théorbe, ce qui donne un joli onze en forme d’équipe de football.
"Trouver les bons placements"
"On ne remplace pas des années de travail ensemble, poursuit le directeur-chanteur, et il faut bien huiler l’ensemble comme une équipe sportive, c’est-à-dire trouver les bons placements tout en laissant de l’espace aux exploits personnels, afin que quelqu’un puisse sortir du lot et se mettre en valeur. Pas de jalousie, mais du support de la part des autres ; dans le basket, les Américains parlent de ‘chemistry’. " Dans le sport collectif comme dans la musique d’ensemble, pas de réussite sans exploit individuel.
La question des relations humaines est partout dans le résultat final, en particulier pour le chanteur qui "a la meilleure voix quand il se sent bien, qu’il est détendu" .
En quête de son
Le but est bien sûr d’aboutir à une identité sonore. "J’ai aimé la musique après avoir entendu Maurice André à la télévision, j’avais 6 ans. Il avait un son unique. Au bout de trois notes, on sait que c’est Maurice André. " Se disant "obsédé du son", Lionel Meunier admet qu’en montant Vox Luminis, il avait un son en tête et "envie que les gens, à l’église ou en écoute chez eux, le reconnaissent. Ce n’est pas la recherche du plus beau son de la planète, non, mais d’un son particulier, reconnaissable et lumineux" .
Le plus important, finalement, c’est bien sûr l’émotion qui est parfois, disons, débordante : "Je me souviens de la Passion selon saint Jean que nous avons faite en mai. Nous étions une trentaine. Des gens étaient en pleurs et je me dis que, là, on a fait du bon boulot. Donc, quelque part, avec ma musique, je rentre en contact avec ce que les gens ont au plus profond."
Avec ses 2,05 mètres, Lionel Meunier n’arrive peut-être pas à la hauteur du double mètre onze de Tim Duncan, mais il a ce qu’il faut pour faire un bon basketteur ou un gardien de but façon Thibaut Courtois. Sa grande taille, il l’utilise d’une autre manière. Certains, comme Philippe Herreweghe pour le Collegium Vocale, dirigent de l’extérieur avec un talent immense : "C’est l’idole de ma jeunesse, c’est lui qui m’a donné l’envie du chant. J’ai des frissons dès la première note. Extatique. Et même y chanter n’a pas réduit l’admiration que j’avais."
Voir et entendre les choses de haut
Mais Lionel Meunier préfère diriger de l’intérieur, chanteur parmi les chanteurs. "Diriger, c’est inspirer , lance-t-il, mon rôle principal est d’arriver à ce que chacun donne le meilleur de soi. Pour ce faire, je suis à l’intérieur, je fais partie de l’équipe, le suis le libéro entraîneur."
Devant le gardien, derrière la ligne de défense, la position d’observation idéale. "Ce que ça fait de mesurer 2 mètres 05, je n’en suis pas conscient moi-même. Alors j’en ai fait un avantage. Au milieu des chanteurs, cela me permet d’être toujours à l’écoute, d’observer, et s’ils tournent la tête, ils me voient !"
Cette position avantageuse permet au directeur de laisser les chanteurs s’exprimer "sans que ça aille dans un chemin opposé au discours commun. La seule chose que je leur demande, c’est d’avoir envie d’être là. Nous avons un pacte : le jour où on n’aura plus envie, on arrêtera. Je me le suis juré. C’est un art qu’on n’a pas le droit de faire à moitié !"
Portrait en quatre faces à Bozar
Cette saison, Vox Luminis a droit à son "portrait" à Bozar. Un cycle de quatre concerts qui a commencé en septembre dernier avec des pièces autour de La tour de Babel de Pierre Brueghel et se poursuit, ce jeudi au palais des Beaux-Arts de Bruxelles avec la Messe en si mineur, BWV 232, de Jean Sébastien Bach. "La Messe en si , s’il y a un monument baroque…" , sourit Lionel Meunier.
Une somme musicale nimbée de mystère quant à son commanditaire… "On sait pour le Kyrie et le Gloria, la messe courte écrite en 1733" , avance le directeur de Vox Luminis. "Le reste, on se pose la question. Il est génial que la plus grande messe catholique ait été écrite par un protestant. Est-ce une confession ? La seule chose dont on soit sûr, c’est que Bach ne l’a pas entendue jouer."
Et une œuvre majeure, qui doit être apprivoisée : "C’est un chef-d’œuvre mystique, intemporel ; il m’a fallu treize ans avant d’oser le faire." Mais pas question de l’enregistrer, pour l’instant du moins, "cela a été fait tellement de fois et tellement bien…"
Le 1er février prochain, au Conservatoire de Bruxelles, Vox Luminis et a nocte temporis s’associent autour des deux visions du mythe d’Orphée descendant aux enfers, selon Marc-Antoine Charpentier : la cantate et l’opéra de chambre. "Reinoud Van Mechelen est un des chanteurs qui me touchent le plus, dit Lionel Meunier. Je suis très heureux qu’il participe avec son ensemble à ce portrait."
Le plus singulier, dans ce portrait d’un ensemble dévoué à la musique ancienne, c’est qu’il s’ouvre à l’un des maîtres du XXe siècle, Benjamin Britten. Ce sera le 8 mai prochain, au Conservatoire de Bruxelles. Lionel Meunier et Vox Luminis ont déjà eu le privilège d’être invités au festival d’Aldenburgh, dans le Suffolk, où le compositeur avait élu résidence avec le ténor Peter Pears. Le vrai régal, c’était d’y chanter des pièces que Britten avait enregistrées à Snape Maltings, la salle qu’il a fait construire pour son festival.
"Britten, j’adore le challenge, histoire de ne pas s’encroûter" , note le Bourguignon, Namurois d’adoption. Mais que le parcours de Vox Luminis ait croisé l’œuvre du compositeur anglais n’est pas, en soi, surprenant, tant il y a de convergences : "Britten était un passionné de musique ancienne, il a beaucoup travaillé sur le son et sur l’intonation. En mai, nous remettons notre bleu de travail !"
Le courant passe tellement bien qu’il se dit même que le festival d’Aldenburgh a invité Vox Luminis a enregistrer l’ensemble des œuvres chorales de Benjamin Britten. À Snape Maltings bien sûr, une ancienne malterie où l’on sait ce que brasser veut dire.DS

Enregistrements: une discographie partout encensée
Gramophone. Salué internationalement, et primé pour l’enregistrement du Musikalische Exequien d’Heinrich Schütz (2016, Ricercar/Outhere), Vox Luminis devient coutumier des Gramophone Awards. En revenant des États-Unis, il y a peu, Lionel Meunier n’a pu s’empêcher de faire escale à Londres, pour réceptionner le Gramophone couronnant l’album consacré à des cantates et sonates en trio de Dietrich Buxtehude (2017, Alpha/Outhere). On peut souhaiter une semblable reconnaissance à l’enregistrement de cantates de la famille Bach, paru récemment (2019, Ricercar).