Punk is not dead... il s'affiche désormais au musée
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Publié le 20-11-2019 à 16h24 - Mis à jour le 09-12-2019 à 11h58
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Les affiches sont sans doute la part du punk qui a le mieux vieilli. L'Adam Design Museum de Bruxelles les met à l’honneur avec une exposition constituée à partir de la collection exceptionnelle de l’Américain Andrew Krivine.
On ne se pincera pas le nez avec une épingle de nourrice : qu'on aime ou non le pogo, on peut apprécier l’exposition Punk Graphics, Too Fast To Live, Too Young To Die sous son angle purement artistique. Le graphisme des affiches, pochettes de disque, flyers ou fanzines est sans doute la part du mouvement qui a le mieux vieilli et conservé une influence durable. Après le Cranbrook Art Museum de Detroit, qui a créé l'exposition, ces artefacts s’affichent au Adam Design Museum de Bruxelles jusqu’au 26 avril.
Andrew Krivine n'a pas le physique du collectionneur punk. Ce New-Yorkais a le sourire débonnaire, le port beau, la coupe proprette et les lunettes discrètes du banquier d'affaires qu'il est au quotidien. Mais ce passionné, "obsessionnel" de son propre aveu, est tombé dans la mare punk adolescent. "En juin 1977, précise-t-il. Cet été-là, mes parents m'envoient dans la famille britannique de mon père. C'est l'explosion de la scène punk à Londres. Mon cousin tenait la boutique Boy, qui était emblématique du mouvement. J'ai très vite été fasciné par le graphisme des posters de ces groupes. »
Quarante-deux ans plus tard, Andrew Krivine détient une collection de quelque 3500 pièces (affiches, badges, t-shirts, fanzines, même des partitions musicales) dont un bon quart forme l’exposition Punk Graphics. Elle est augmentée d’une section belge - constituée à partir de pièces de la collection d’Annik Honoré, connue pour sa relation avec Ian Curtis de Joy Division, mais qui fut surtout programmatrice au Plan K, de 1979 à 1984, et co-fondatrice avec Michel Duval des Disques du Crépuscule.
Parcours thématique
« Ce n’est pas une exposition nostalgique sur le punk", insiste Andrew Krivine. S’il y a à l’entrée du parcours des platines où les visiteurs pourront improviser un set DJ, les seules notes qu’on entendra dans les salles sont celles accompagnant quelques films d’époque. Pour le reste, selon les voeux du collectionneurs, c’est le graphisme qui est à l’honneur.
Question irrévérence ou offense, notons que la révolte punk paraît a posteriori bien sage : on voit désormais bien pire sur les réseaux sociaux, dans une campagne présidentielle ou des talk-shows de chaîne d'infos en continu. A côté de certains édiles disrupteurs ou de philosophe en mal de buzz, les Sex Pistols ou les Ramones avaient du moins l'excuse d'être, somme toute, des gamins bruts de décoffrage.« Les affiches punk, les pochettes des albums sont un mode d’expression, poursuit Andrew Krivine. Elles véhiculent des idées, qui contestent un ordre établi ou des politiques dans un contexte précis. Le mouvement Rock Against Racism réagit par exemple à des dérives nationalistes dans les années 1970 au Royaume-Uni. Puis il y a les réactions des politiques de Reagan et de Thatcher ou les revendications pacifistes. En ce sens, je trouve que certaines affiches ont encore du sens aujourd’hui. »
Suivant cette grille de lecture, le parcours n’est pas chronologique, mais thématique. Andrew Krivine en crédite Andrew Bauvelt, directeur du Cranbrook Art Museum de Detroit, qui a organisé la première exposition. "Il a apporté une grille de lecture esthétique et artistique, en groupant les visuels par thématique ou style. Il a donné du sens aux pratiques des artistes punks ».
Les curateurs ont évité la sacralisation - à bon escient vu le sujet. La majorité des pièces, hormis les plus fragiles, ne sont pas sous verre mais simplement épinglées, comme à l'origine sur les murs d'un disquaire ou une chambre d'ado. Effet garanti : on a retrouvé l'ambiance de celle de notre frangin, fin des années septante.
Héritage graphique
Couvrant une décennie, de 1976 à 1986, l’exposition met en évidence l’évolution du minimalisme brut des débuts du punk au foisonnement expressif qui emprunte à divers courants, comme le Constructivisme, Dada ou le Pop Art. Le proto-punk américain gravita autour de la Factory d’Andy Warhol où le Britannique Malcolm McLaren trouva au début des années 1970 les éléments qui forgèrent l’identité visuelle des Sex Pistols en 1975 - acte de naissance du punk britannique.
La collection Krivine et l’exposition mêlent mouvement punk et New Wave. Siouxsie and the Banshees y ont comme voisins de cimaises les Allemands de Kraftwerk, Iggy Pop s’affiche à côté d’Human League. Mais l’exégèse musicale importe moins que les évolutions d’une création visuelle commune, faite de détournement d’images politiques ou commerciales, de collages ou de couleurs flashy héritées des sérigraphies warholiennes qui marqueront les années 80 – en témoigne la célèbre pochette de London Calling de The Clash, inspirée des sérigraphies sérielles d’Andy Warhol dont le vert et le rose pastels teintent la décennie suivante.
De même, les graphistes qui ont affuté leur palette pour les groupes punk, une fois devenus professionnels, peaufinent leur art pour la vague suivante – parmi eux Peter Saville qui marque de son empreinte de Factory Records (1978-1992), prolongeant l’identité visuelle de Joy Division pour les membres survivants du groupe devenu New Order.
En France, on trouve aussi des héritages graphiques du punk et de ses fanzines dans Métal Hurlant (1975), qui agrège BD, science-fiction et musique, ainsi que dans la mue du magazine Actuel, qui connaît son apogée éditorial entre 1979 et 1990. Le directeur artistique de Métal, Etienne Robial, conçoit ensuite l’habillage visuel de Canal+ (1984), dont l’émission “Nulle part ailleurs” (1987) a pillé la rédaction et le ton d’Actuel.
La contre-culture spontanée du punk est absorbée par le mainstream. “No Future” clamait les punks. Mais si l’esprit punk is dead, son esthétique subsiste.
Jusqu’au 26 avril, Adam Design Museum.
L'éditeur britannique Pavillon Books publiera en mai 2020 un recueil des affiches de la collection d'Andrew Krivine, sous le titre Too Fast To Live, Too Young To Die: Punk & Post-Punk Graphics 1976-1986.
Cinq images emblématiques

Jamie Reid, Sex Pistols, "God Save The Queen", 1977
Une des images les plus célèbres du punk signée Jamie Reid, graphiste emblématique du mouvement. Malcolm McLaren a rencontré le graphiste en 1968 au Croydon College. Il lui demande en 1975 de concevoir l’identité visuelle des Sex Pistols. Fan de Guy Debord et marqué par les affiches de Mai 68, Reid opte pour le piratage visuel. Pour "God Save The Queen", deuxième single du groupe qui sort l’année du jubilé d'Elisabeth II, il reprend une photo de la reine d'Angleterre par Cecil Beaton, qu’il affuble d'une épingle à nourrice. Les yeux et la bouche sont recouverts du titre de la chanson et du nom du groupe avec des lettres découpées à la façon des lettres anonymes. Scandale et impact garantis.

Peter Saville, Joy Division, Unknown Pleasures, 1979
Le nom de Peter Saville est indissociable du label Factory Records et du groupe Joy Division et de sa mue New Order. Cette image, encore reproduite aujourd’hui sur des t-shirts, est la visualisation informatique des ondes d’un pulsar. Saville la reproduit en négatif, le fond noir accentuant l’atmosphère sombre du premier album du groupe mancunien.

Malcolm Garrett & Linder (Sterling), Buzzcocks, "Orgasm Addict", 1977
Un exemple de détournement et de propos politique par une des rares graphistes féminines du punk. Linder s’est fait une spécialité de détourner l’imagerie des magazines féminins et masculins. Elle associe ici un corps féminin dénudé - issus des seconds - avec un fer à repasser - symbole du cliché de la ménagère idéale dans les premiers. Garrett partage le même code couleur que celui de la non moins célèbre pochette de l’album Never Mind The Bollocks, Here's the Sex Pistols sorti deux semaines plus tôt, la même année.

Ray Lowry et Ponnie Smith, The Clash, London Calling, 1979
"Une des pochettes les plus emblématiques du punk » note Andrew Krivine. La photographe Ponnie Smith a immortalisé Paul Simonon de The Clash éclatant sa basse sur la scène du Palladium de New York. Ray Lowry répète et colore le cliché, comme sur une sérigraphie sérielle d’Andy Warhol. La typographie imite celle du premier album d’Elvis Presley - rappel de la volonté du punk de revenir aux sources du rock.

M&Co, Talking Heads, Remain in Light, 1980
Le groupe américain Talking Heads s'impliquait dans toutes les étapes créatives. La bassiste Tina Weymouth et le batteur Chris Frantz ont travaillé étroitement avec Walter Bender et Scott Fisher du MIT Media Lab pour produire parmi les premières images générées par ordinateur pour cette pochette - notamment les portraits des membres du groupe. Les quatre avions de chasse sont une allusion au père de Weymouth qui fut pilote dans l'US Navy. Tibor Kalman du collectif M&Co a créé le graphisme, imaginant notamment l’inversion des "A » pour le nom du groupe.

Le punk n'est pas mort, mais quand est-il né ?
Non, les Anglais n’ont pas inventé le punk, n’en déplaise à Malcolm McLaren et aux Sex Pistols, qui l'importent au Royaume de Sa Majesté en 1975. Comme le rock, le courant trouve ses racines aux Etats-Unis. Un peu à Detroit mais surtout dans le New York désargenté et en décrépitude du milieu des années 1970.
Difficile de dater la naissance d'un mouvements spontané. Pour le punk, s’agit-il de ce soir d'Halloween 1967 quand les Stooges d'Iggy Pop donnent leur premier concert à Detroit ? De novembre 1970 quand Lester Bangs forge dans la revue Creem le terme "punk rock" ? Du 27 juillet 1973, jour de sortie du premier album des New York Dolls ? Ou du 23 janvier 1974, quand John William Cummings et Douglas Glenn Colvin s'achètent une guitare et une basse, devenant Johnny et Dee Dee Ramone ?
Un événement symbolique a consacré le nom du courant, qui témoigne de l'importance des fanzines et du graphisme dans la popularisation du mouvement : la création du magazine Punk, à New York, par trois John Holmstrom, Legs McNeil et Ged Dunn. Dans Please Kill Me (éd. Allia, 2006), mémoire du mouvement punk compilée par Gillian McCain et McNeil, ce dernier se souvient (morceaux choisis) : « J’avais dix-huit ans, je vivais à New York, je travaillais dans une espèce de collectif cinématographique hippie. (…) On était en 1975, l’idée de se marginaliser parce qu’on avait pris de l’acide était tellement ringarde (…). Je détestais les hippies. (…) J’ai fait une comédie à la Three STooges avec deux potes de lycée, John Holmstrom et Ged Dunn. (…) Puis un jour (…) John a lancé : « Je crois qu’on devrait lancer un magazine ». (…) C’est lui qui nous avait initiés, Ged et moi, au Velvet Underground, à Iggy & the Stooges, et aux New York Dolls. (…) (John) a dit : « Si on a un magazine, on pourrait boire à l’oeil. Les gens nous fileraient des verres gratis. » (…) Il voulait appeler notre magazine Teenage News (…). J’ai trouvé que c’était un nom stupide. (…) Je me suis dit que le magazine devait être pour d’autres déjantés comme nous. (...) Des gamins qui faisaient des fêtes quand leurs parents n’étaient pas là et détruisaient la maison. (…) Alors j’ai dit : « Pouquoi on l’appelerait pas Punk ? » (punk : voyou, vaurien, en américain)
Quelque temps plus tard, le trio voit les Ramones au CBGB’s (club new-yorkais du Bowery où se sont produits le groupe Blondie et Patti Smith). « J’ai reconnu Lou Reed. (…) Je lui ai dit : « Hé, on va t’interviewer pour notre magazine ! » (…) Holmstrom a ajouté : »Ouais, on va même te mettre en couverture! » (…) Juste au moment où on parlait à Lou Reed, les Ramones sont montés sur scène. (…) Et on a été frappés de plein fouet par une explosion de bruit, un choc qui te faisait littéralement chanceler (…). Les Ramones ont eu une mini-bagarre sur scène. Ils étaient tous si profondément dégoûtés les uns des autres qu’ils ont jeté leurs guitares au sol et ont sauté de la scène. (…) »
Mary Harron, aspirante-écrivaine, fait office de journaliste pour le trio d’éditeurs amateurs. « Quand j’ai fini d’écrire l’article sur les Ramones, (…) j’ai traversé tout la ville à pied pour le livrer. (…) John Holstrom était à son bureau en train de s’occuper du graphisme de la couverture avec l’interview de Lou Reed - le premier numéro de Punk. (…) Et c’est là que j’ai su que Punk allait marcher. »
Le premier numéro sort en janvier 1976. Legs et ses potes placardent dans la ville des affiches annonçant : « Attention ! Punk arrive ! » Au même moment, les Sex Pistols commencent à se produire dans des clubs londoniens...
A lire :
- Please Kill Me, Gillian McCain et Legs McNeil, Allia.
- Lester Bangs, mégatonnique rock critic, Jim DeRogatis., Tristram.
