La Grande Sophie, obsédée par le temps qui passe
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Publié le 26-11-2019 à 10h10 - Mis à jour le 26-12-2019 à 11h23
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Pour son 8e album, l’auteure, compositrice et interprète sort de sa zone de confort. Elle a confié la réalisation de "Cet instant" à deux jeunes producteurs. Elle sera en concert vendredi 29 novembre à la Madeleine à Bruxelles. Le jour où on la rencontre, La Grande Sophie va se produire en showcase dans une grande enseigne du haut de la ville à Bruxelles. La chanteuse française de 50 ans, dont le 8e album Cet instant est sorti au début de l’automne, aime bien ce genre d’exercice. "Je veux proposer autre chose que ce qui se passe sur scène. Ici, on va dire que ce sont les titres bruts. J’aime bien penser que ces chansons, même si je les ai composées au piano, fonctionnent aussi à la guitare. Les gens vont vivre un moment à part. Cela me rassure aussi de me dire que la chanson tient debout sans tout l’ornement et les arrangements qu’il y a autour. Donc je partage un moment privilégié avec mon public."
Quand on l’avait rencontrée à l’occasion de la sortie de son précédent album, Nos histoires, La Grande Sophie parlait avec énormément d’enthousiasme des pédales à effet qu’elle utilisait pour jouer de la guitare. Cette fois, elle a décidé de composer Cet instant au piano. Les possibilités de se renouveler pour un artiste sont-elles infinies ? "Dans la musique, cette idée d’infini est vraiment géniale. Quand je pars en tournée, j’attends toujours, avec impatience, de jouer les anciens titres que le public connaît (‘Du courage’, ‘On savait’…) parce que j’adore compléter ma collection. Là, j’en suis à la 7e version de ces morceaux. Parfois, je me dis que cela va être compliqué pour trouver une idée, mais non, il y a toujours quelque chose de nouveau qui se présente. Et donc voilà, là, j’ai voulu composer au piano."
L’appel du piano
Du piano, La Grande Sophie aurait voulu en jouer quand elle avait 9 ans, mais on aurait dit à ses parents que c’était trop tard pour commencer. Elle prouve que, même à 50 ans, on peut toujours s’y mettre. Elle avait envie d’un piano, un vrai, elle se l’est offert. "J’avais un petit synthé chez moi. Mais ce n’est pas le même touché ni la même approche. Quand on a un vrai piano, je peux vous dire qu’il vous appelle tous les jours. Il y a quelque chose de particulier qui résonne dans l’appartement." Et les voisins ne se plaignent pas ? "Ils sont adorables. Ils ont 90 ans. Quand je pars en tournée, ils cuisinent pour mon mari des petits plats qu’ils déposent sur les marches de l’escalier."
Tout à fait consciente qu’il y a des pianistes qui vont s’arracher les cheveux en écoutant son album, La Grande Sophie a voulu qu’on y trouve une émotion liée à ses imperfections. Elle a quand même réussi à bluffer son mari. "C’était mon grand jeu. J’arrivais genre ‘je suis sûre de moi’, et je me mettais à jouer au hasard. Il me regardait en me disant : non, mais tu te fous de moi ?" rigole la chanteuse et compositrice.
Après avoir écrit ses maquettes, La Grande Sophie s’est entourée de réalisateurs baignant dans l’électro et le dub pour leur donner forme. "J’ai contacté Sayem et Sébastien Berteau. Je voulais un son actuel, que l’album soit ancré dans les années 2019-2020." Étant donné que la chanteuse a l’impression qu’on retient davantage ses mélodies que ses textes, elle a décidé d’être plus exigeante sur ces derniers, de mettre sa voix en avant et de lâcher les mélodies. À un point tel qu’elle ose un a cappella ("Sur la pointe des pieds") et convoque le parlé-chanté sur plusieurs morceaux. On trouve aussi un instrumental, "Huis clos", composé, histoire de s’occuper, alors qu’elle attendait un retour par courriel de ses deux producteurs. "Comme une BO de mon attente", résume-t-elle.
Toutes les chansons de son nouvel opus sont traversées, d’une manière ou d’une autre, par le temps qui passe. Cette obsession n’est pas nouvelle chez La Grande Sophie. On pense à "Tu dors" (2015, Nos histoires), "Ne m’oublie pas", "Sucrer les fraises", "Tu fais ton âge" (2012, La Place du fantôme), "Ma première ride" (2003, Et si c’était moi). Peut-être d’autres, encore. Le temps passe-t-il différemment pour une femme que pour un homme ? "Oh, oui ! Un homme, quand il vieillit, on dit souvent : cela lui donne du charme. Pour une femme, les choses sont moins agréables. Après, je pense que les hommes réagissent comme les femmes quand ils se regardent dans le miroir." Autre chose que l’artiste a observée, c’est le vocabulaire employé par les gens qui l’entourent. "‘C’est bien que ton album ne tombe pas dans le jeunisme’, m’a-t-on fait remarquer. Pourquoi insistait-on là-dessus ? Avais-je passé une frontière ?"s’interroge-t-elle.
Un monde d’hommes
Le monde musical dans lequel Sophie Huriaux (de son vrai nom) a émergé il y a plus de 20 ans était-il fort masculin ? "Oui. D’abord je croisais moins de femmes. Auteures compositrices comme techniciennes. Maintenant, il y a davantage d’ingés femmes à la lumière ou au son. Après, ce dont je me suis aussi rendu compte, c’est qu’une fille à la guitare, ça fait toujours fantasmer. Quand j’allais dans un magasin de musique et que je demandais à essayer des guitares, il y avait toujours un vendeur pour prendre une guitare, me faire toutes les gammes sur le manche. Puis, quand, il me la tendait, je sentais qu’il sous-entendait : ‘vas-y, vas-y, fais pareil.’ Alors je prenais la guitare, je jouais une seule note et je disais : elle est bien celle-là, je vais la prendre ! Et je regardais sa réaction. Sinon, j’ai plutôt été bien entourée et j’ai toujours choisi mes équipes."
Et elle a bien choisi son mari, aussi. Ou plutôt, ils se sont bien choisis. Cela fait trente ans qu’ils sont ensemble. À cette occasion, elle lui dédie "Nous étions". "Il y a tellement de chansons qui parlent de ruptures. Je voulais parler de la longévité, de sa beauté. Donner cette image-là aux gens."
Cet Instant (***)
Quand on pense à l’instant présent, il est déjà évaporé. Le temps qui passe, à partir de quand le ressent-on ? Au seuil de ses 50 ans, La Grande Sophie, a décidé de l’embrasser. Voici donc un 8e opus qui le décline et si elle regarde résolument devant elle, c’est avec l’expérience du passé (“Hier”). On s’émeut de sa bienveillance (“Plains-toi/Tout près de moi j’écoute” – “Une vie”) comme de son amour longue durée (“Le temps ne nous a pas trahis/encore fidèle aujourd’hui nous unit” – “Nous étions”). Délaissant, pour les compos, sa guitare, elle s’est installée au piano, s’ouvrant ainsi à de nouvelles sonorités. Qui lui vont bien et qui ne sont pas sans rappeler Zazie (l’enjoué “Une vie”), Camille (l’a cappella de “Sur la pointe des pieds”), Woodkid (l’electro de “Missive”). Elle s’autorise aussi un bien bel instrumental (“Huis clos”). Magnifique autrice et compositrice, La Grande Sophie avance avec son temps.
En concert le vendredi 29 novembre à 20 h, à la Madeleine, Bruxelles. www.la-madeleine.be
La Grande Sophie, Cet Instant (Universal)