NTM se raconte dans une biographie cash : les secrets d'un groupe mythique qu'à la base, tout oppose
Alors que le groupe a donné ses derniers concerts, une copieuse biographie lève le voile sur le parcours aussi mouvementé qu'improbable de la plus emblématique formation rap française.
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Publié le 28-11-2019 à 11h40 - Mis à jour le 28-11-2019 à 11h51
Alors que Kool Shen et JoeyStarr ont donné leurs derniers concerts avec le groupe NTM, une copieuse biographie lève le voile sur le parcours aussi mouvementé qu'improbable de la plus emblématique formation rap française.
Vendredi 15 novembre. Le rendez-vous avec JoeyStarr et Kool Shen est fixé à 15 heures dans un hôtel bruxellois, avant leur concert au Palais 12 qui doit être la der des ders pour NTM en Belgique. On le sait, avec ces deux lascars, tout peut arriver et l’agenda le plus bétonné du monde peut voler en éclats quelques secondes avant l’entretien programmé. C’est exactement ce qui se produit. Les attachées de presses s’agitent, les téléphones chauffent. Pas besoin d’un long discours, les choses ne se passent pas comme prévu.
Les bouts de conversations saisis à la volée permettent de comprendre la situation : JoeyStarr a demandé de décaler les interviews d’une demi-heure. Ça n’a pas plus à Kool Shen qui s’est enfermé dans sa chambre et refuse désormais d’en sortir et de se prêter à l’exercice. Surprise, c’est le moins fantasque des deux qui se défile alors que JoeyStarr accepte de répondre aux questions des journalistes.
Le clash entre les deux rappeurs parisiens est tel qu’on en vient à douter qu’ils se produiront ensemble quelques heures plus tard sur le plateau du Heysel. Pourtant, ils seront bien au rendez-vous tant attendu par les fans avec en prime une prestation mémorable.
Le feu et la glace
Le clash à l’hôtel est tout sauf anecdotique. Il illustre tout le paradoxe que représente NTM. Légendaire pionnier du rap made in France, le duo est sur le papier improbable comme le démontre Suprême NTM, la biographie que signe le journaliste Olivier Cauchin. Un livre cash qui donne la parole aux deux protagonistes que sont Kool Shen et JoeyStarr qui se livrent sans réserve. “NTM fait partie de ces groupes qui n’ont pas un côté diplomatique ou langue de bois, indique l’auteur. Dès le départ, JoeyStarr m’a dit ‘tu fais ce que tu veux’. Bruno (Kool Shen, NdlR), lui, a relu le tout intégralement et précisément. Je pouvais craindre qu’il fasse des changements politiquement corrects mais en réalité, toutes les corrections qu’il a apportées étaient justifiées et pertinentes. Ça ne lui a posé aucun problème d’être cash.”

À la lecture de l’ouvrage, le verdict est sans appel : NTM, c’est l’alliance de deux personnes que tout oppose, le mariage du feu et de la glace. “Ce n’est pas pour rien que pendant 10 ans ils ne se sont ni vu ni parlé, explique Olivier Cauchin. Il y a un peu plus de complicité entre eux maintenant qu’à l’époque des troisième et quatrième albums mais il est clair qu’ils ne partiront jamais en vacances ensemble. NTM et ce goût pour la musique qu’ils ont fait les lient pour l’éternité mais tout les sépare. Et c’est pour ça que ce groupe est incroyable. On ne peut pas faire plus opposés qu’eux. Mais dès que la musique se met en route, il n’y a plus d’opposition, il y a une symbiose. Ça devient des opposés qui s’attirent.”
Deux vies, deux visions de l'aventure NTM
L’un est bosseur et carré, l’autre totalement imprévisible. Ils n’ont pas les mêmes cercles d’amis. Chacun raconte sa vie et comment il a vécu l’aventure NTM et on mesure le fossé qui les sépare. Ils n’ont rien en commun ou si peu. Le constat de JoeyStarr en dit long : “On n’a jamais écrit un morceau ensemble autour d’une table. Si, on l’a fait au tout début, “Par ma voix, par ses scratches” et peut-être un peu “Le Toucher Nick Ta Mère”. Tout le reste c’est juste au téléphone, je lui dis ce que j’ai écrit, il me dit ce qu’il a écrit, et puis on se retrouve au studio.” “Si je deviens le caillou dans la godasse, raconte-t-il dans le livre, il faut composer avec. Sinon, on aurait fait un cinquième album. Sauf que moi je n’en ai pas envie. […] Quand je rappelle Bruno pour parler business, il ne me répond pas. Ça fait depuis le deuxième album qu’on en est là. Et je le répète, je ne suis pas parfait. La perfection n’étant pas de ce bas monde, j’y ai ma place.”
Il y a cependant de l’estime entre eux. En attestent ces propos de JoeyStarr : “‘Kool Shen, c’est le meilleur rappeur français et c’est un honneur d’avoir fait quatre albums avec lui’. Qu’il me le dise, c’était touchant. Il aurait pu ne pas le dire. Et moi, j’ai toujours dit que je montais sur scène avec le champion du monde.” Le concert du 15 novembre au Palais 12 en témoigne.
Quand 1+1 font plus que 2
“La magie de NTM c’est que c’était improbable pour ne pas dire impossible, reconnaît Olivier Cauchin qui suit le groupe depuis 1990, date de la première interview qu’il a faite avec NTM. Ils ont chacun eu des carrières, tant en musique qu’au cinéma, qui sont très bien mais NTM, c’est autre chose. Ça ne leur appartient plus, c’est plus gros qu’eux. Il n’y a pas un groupe qui a mieux illustré le concept de deux personnes qui se mettent ensemble et qui forment une troisième entité qui les dépasse. JoeyStarr est un super artiste et Kool Shen un rappeur génial mais, pris séparément, ce n’est jamais aussi fort que NTM.”
Ce mariage contre-nature du feu et de la glace explose aussi au grand jour quand il est question de l’avenir du groupe. Pour Kool Shen, la messe est dite, il n’y aura pas de cinquième album ni de nouvelle tournée après celle qui vient de s’achever. “Didier n’écrit pas. Voilà. À un moment donné, si on ne le fait pas vraiment, autant ne pas le faire. […] Maintenant on dit : on arrête les concerts. Donc là, cette tournée, c’était la der. On aurait pu s’arrêter en 1998, ben non, pour moi c’est là, maintenant.” En interview, JoeyStarr est moins catégorique. “Avec la vie, j’ai appris qu’il ne faut jamais dire jamais ni être trop catégorique. Est-ce que c’est la der des ders ? Je ne sais pas.”

Pour Olivier Cauchin, rien n’est jamais définitif tant que les artistes concernés sont toujours en vie et en activité artistique. En revanche, estime-t-il, ce qui est sûrement fini, ce sont les grandes tournées avec 30 ou 40 dates, les Zéniths, les Arena… “Je ne pense pas qu’ils vont revenir dans dix ans avec ce genre de configuration. Mais il ne faut jamais insulter l’avenir. Pendant dix ans, ils ont dit qu’ils ne se remettraient jamais ensemble mais ça a eu lieu. S’il y a un retour, ce sera peut-être pour un événement exceptionnel, que ce soit un festival ou quelque chose de politique.”
Morceaux choisis
Outre les relations houleuses entre Kool Shen et JoeyStarr, la biographie lève le voile sur les coulisses de NTM, des débuts du groupe placés sous le signe de la danse jusqu’à leurs séparations en passant par la signature avec Sony, les déboires avec leur manager Sébastien Farran, etc. Morceaux choisis :
À propos du côté provocateur de NTM , Kool Shen déclare: “Je n’ai jamais trouvé que ce qu’on faisait, c’était provoc. Oui, on peut extraire quelques phrases, dont évidemment ‘Allons à l’Élysée/Brûler les vieux/Et les vieilles/Qu’un jour ils payent’ dans Qu’Est-Ce Qu’On Attend Pour Foutre le Feu. La violence du truc, en vrai c’était abusé. Même moi qui l’ai écrit, quand j’y pense, je me dis : ‘Putain, quand même…’ Les vieux en costards et nous en mode ghetto… Mais hormis ce genre de phrases, même dans nos premiers albums, ça n’est jamais de la provocation.”
JoeyStarr à propos de l’image qu’on a de lui : “Je pense que je paie cette réussite incomprise où on ne me prend pas pour un laborieux, mais pour un enculé. Ils doivent se dire que je ne paie pas d’impôts. Bande de comiques.”
JoeyStarr à propos de Sébastien Farran (surnommé Terror Seb), manager du groupe : “Seb avait réussi à faire de moi ce qu’on appelle une diva de papier, ou plus précisément un assisté total, je ne me voyais pas faire les choses sans lui. Sauf qu’en vrai on ne faisait rien.”
Toujours à propos de Sébastien Farran avec qui il est en procès, JoeyStarr déclare : “L’affaire est toujours en cours. Soi-disant il m’a attaqué en diffamation, c’est ce qu’il dit partout, alors que ça n’est pas vrai du tout. Diffamation de quoi ? C’est avéré ! Sauf que le problème avec la justice, c’est que comme ils en avaient après les affaires de Johnny, d’un seul coup ils sont allés vérifier. Après ils ont vu que moi aussi j’étais sur son cul. Maintenant qu’avec Johnny c’est établi, j’ai repris un ticket pour la file d’attente. On en est là pour l’instant. Le préjudice, je l’estime à 500 000 euros. Après, la justice statuera. Ça va prendre du temps, ça fait déjà trois ou quatre ans qu’on est là-dessus.”