Le chef peut être clément ! Un opéra de Mozart
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- Publié le 06-12-2019 à 19h25
L’œuvre de Mozart “La Clemenza di Tito” se joue sur la scène de l’opéra de Liège. À la veille de la première, nous avons fait une plongée dans les coulisses de l’Opéra royal de Wallonie. À la rencontre du monde qui fait, qui chante, et qui pense un opéra.
"Au même endroit s’il vous plaît ! On reprend.” Et Patrizia Ciofi, alias Vitellia, submerge la salle de l’Opéra royal de Wallonie de sa réplique chantée. Le maestro, la mèche de cheveux légèrement soulevée par la puissance du chant (ou est-ce l’énergie créatrice qui l’anime), poursuit, sans relâche, le développement de la partition de Mozart.

Nous sommes le vendredi 10 mai, à cinq jours de la première de Mozart, La Clemenza di Tito.

Thomas Rösner, le chef d’orchestre autrichien, parle en français à ses musiciens, et au sextuor sur scène. Pour cette première répétition orchestre, Rösner a voulu une “italienne”, sorte de pré-répétition qui permet aux solistes et à l’orchestre d’accorder leurs violons en ce qui concerne le volume sonore. “Ils ont déjà répété ensemble, mais en studio. C’est la première fois que tous entrent en scène et s’écoutent mutuellement dans le décor final”, nous explique, en chuchotant, Xavier Dellicour, responsable de la presse à l’opéra royal de Wallonie.
Le maestro arrête, d’un coup de baguette, musique et chant, et se retourne vers Stefano Mazzonis, directeur général et artistique de l’Ppéra royal de Wallonie. “Et alors, on entend ?” De fait, dans leur mise en scène, Cécile Roussat et Julien Lubek ont décidé de faire entrer en scène des acrobates au moment où s’entonnent les chœurs. Une manière, nous explique Lubek d’incarner la présence des chœurs, au propos très intense, “un chœur au chant sacré, presque religieux”, non plus seulement par des voix, mais par des corps en voltige. Mais voilà, où placer les chœurs s’ils ne sont plus sur scène ? C’est la question de ce vendredi-là. Mazzonis, au vingtième rang, élève la voix : “On n’entend rien !”, et de décider de placer les choristes dans les loges d’honneur, en hauteur de la scène. Mais est-ce que la loge peut supporter le poids des 28 chanteurs ?… La répétition n’est pas qu’une affaire de création.

Mais, déjà, Rösner, concentré, a choisi de reprendre le travail. Tête pensante de la musique de Mozart, il saisit au vol la manière dont l’ensemble sonne. Le chœur, placé provisoirement sur scène, en rang d’oignons, répond aux solistes, avec ampleur, mais pas comme il le faut.

Rösner, qui vient de donner des indications à ses musiciens sur un mouvement à ralentir, jette désormais son dévolu sur les propos chantés. Et rappelle au choeur : “Articulez. Articulez “Tradimento” ! Il faut qu’on l’entende, sinon le texte ne fait pas sens. “Tradimento”. Allez-y”. Et le chœur de lancer en un souffle formidable le mot trahison à la figure du public de la répétition… L’articulation a porté ses fruits.

En coulisses, un autre boss, à ne pas contrarier non plus, la régisseuse, est le maître du temps.

Elle suit l’enchaînement de la mise en scène en lisant la partition de Mozart. “C’est la musique qui dicte la mise en scène, et non l’inverse”. Plus tôt, en effet, nous avions vu cette scène où Annio (alias Cecilia Molinari) descend sur scène dans une nuée de lumière en chantant. La jeune mezzo soprano avait été arrêtée par Rösner, car elle chantait encore, en l’air, alors que la musique finissait. “Trop tard, trop tard… On est encore trop tard... Ça n’a encore jamais marché ce passage, mais nous le reprendrons tout à l’heure. Je vous propose de continuer. On reprend. Au même endroit que tout à l’heure, s’il vous plaît”.
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La Clemenza, pour les Nuls
1.C’est quoi “La Clemenza di Tito”, de Mozart ?
“C ’est l’histoire d’un empereur idéalement bon, qui se fait trahir par son meilleur ami ; qui hésite à le châtier, mais qui choisit la clémence. C’est un opéra politique et, en même temps, une incarnation des sentiments les plus forts que chacun peut ressentir”, dixit Julien Lubek, co-metteur en scène avec Cécile Roussat de l’opéra mozartien. 2.Quand a-t-il été composé ?
L’opéra a été écrit dans les derniers mois de la vie de Mozart en 1791, et en parallèle de La Flûte enchantée. Si La Flûte est composée pour un public populaire, ce n’est pas le cas de La C lemenza di Tito, qui est une œuvre de commande, composée à l’occasion du couronnement de Léopold II, roi de Bohême. Beaucoup moins jouée que La Fl û te, La Cl é mence de T itus reçut un accueil froid de la part du public de la Cour, qui l’entendit à sa sortie. En cause, peut-être, le ton, emprunté par Mozart. La Clemenza est en effet un opéra seria. 3.C’est quoi un opéra seria ?
Genre qui s’oppose à l’opéra buffa, le seria est un opéra de genre italien, qui fut en vogue au XVIII e siècle. Les thèmes abordés sont sérieux (d’où son nom), et souvent tirés de la mythologie gréco-romaine. Rien à voir, non plus, avec La Flûte enchantée, qui est ce qu’on appelle un singspiel, une alternance de dialogues parlés et d’airs chantés à la coloration plus populaire. ---------------------
“Que penseront les générations futures ?”
Court entretien avec Julien Lubek, metteur en scène.
Alors que Cécile Roussat file en urgence aux ateliers costumes (nous sommes cinq jours avant la Première), Julien Lubek, co-metteur en scène de l’opéra mozartien, s’assoit sur le bord d’une chaise pour répondre à nos questions. Il est avec nous mais il est déjà aussi un peu sur le plateau. Ce jour, c’est la première répétition avec orchestre.

Pourquoi choisir de monter La Clemenza di Tito en 2019 ?
C’est Stefano Mazzonis, le directeur général de l’opéra de Liège qui nous a fait cette proposition, que nous avons acceptée. C’est d’ailleurs la première fois que L a Clemenza d i Tito est donnée à Liège. En la fréquentant beaucoup à l’oreille, on y a trouvé quelque chose d’universel. Composée quasi en même temps que La Flûte, on y trouve le même message maçonnique humaniste, universaliste, de triomphe de la lumière sur l’ombre…
Dans la mise en scène, cherchez-vous à montrer quelque chose qui fait écho à notre époque ?
Notre façon de travailler avec Cécile s’inscrit dans le respect de l’œuvre des créateurs : Mozart et Mazzolà [NdlR, l’homme du livret], mais aussi dans le respect des spectateurs d’aujourd’hui, qui ont le droit d’attendre que nous soyons des passeurs de l’œuvre. […] Et cette œuvre résonne avec l’actualité. On y a vu des liens avec les problématiques essentielles de notre temps. Le rôle du politique, le souci de l’état de la planète…
À quel moment Tito dit-il : “Triez vos déchets s’il vous plaît ?”
[Sourires]. Personne ne brandit son étendard écologiste, mais l’idéal de Tito est fait de respect et d’équilibre. On vient lui présenter un trésor pour édifier un temple à sa gloire et il rétorque : “Gardez cet argent pour ceux qui ont été touchés par l’éruption du Vésuve, ils en ont plus besoin que moi”. Dès qu’il y a un déséquilibre, Tito cherche à le corriger, alors que Vitellia, son opposée, est dans le déséquilibre des pulsions, dans l’avidité de pouvoir. Ce qui la conduit à l’échec. On entend aussi résonner un idéal de vie en rapport avec la nature, qui fait penser à Rousseau et son mythe du Bon Sauvage (NdlR, Rousseau est un contemporain de Mozart). Tito se demande pourquoi il n’est pas comme le paysan dans sa montagne alors que dans le monde du pouvoir où il évolue, tout est sujet au mensonge et aux combats d’influence. Enfin, Tito martèle : “Que penseront de moi les générations futures ?”, quand il déchire le décret du Sénat, censé signer la mort du comploteur Sesto. Tito cherche un modèle politique durable.
Vous qui connaissez l’œuvre puisque vous vivez avec elle depuis deux ans, quelle morale en tirez-vous à votre échelle ?
Dans les périodes de création, tout est intense : on a deux semaines pour créer un spectacle de plus deux heures qu’on avait dans la tête depuis deux ans, et c’est sujet à des frictions. Clémence ; bonté ; sincérité : les thèmes de cet opéra nous ont permis de traverser cette création avec recul. L’opéra est un milieu où il y a beaucoup d’ego. Ce sont mille personnes qui viennent voir une poignée de personnes sur scène. Si on pouvait avoir les mêmes modestie et générosité que Tito… Ce personnage nous ramène à quelque chose de nécessaire.