Le Motel, beatmaker universel
- Publié le 09-12-2019 à 11h31
- Mis à jour le 23-12-2019 à 17h03
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Le producteur bruxellois popularisé par ses collaborations avec Roméo Elvis et Veence Hanao poursuit une autre quête en solo : créer un album universel.
Leticia voit passer toutes sortes de personnages curieux. Séparée du Pérou par l'Amazone, et du Brésil par un modeste casse-vitesse, la dernière cité colombienne avant la frontière est un paradis terrestre pour orpailleurs, aventuriers et trafiquants en tous genres. Pour les naturalistes et quelques touristes, c'est également la porte d'entrée idéale pour pénétrer au cœur de la forêt amazonienne.
Rien d'étonnant, donc, à y voir débarquer en janvier dernier, un ket de Bruxelles armé d'un micro et d'un couvre-chef. En Belgique, Fabien Leclercq aka Le Motel, sort de trois années exceptionnelles qui l'ont propulsé au rang de fournisseur officiel de beats pour Roméo Elvis, Veence Hanao et Teme Tan. Au beau milieu de la jungle, il n'est personne, une âme parmi d'autres, venue intégrer une communauté amérindienne Ticuna pour une dizaine de jours, histoire de retrouver un peu de sève.
"Début 2019, je sortais d'une période d'explosion avec Roméo et Veence" se remémore le producteur de 28 ans, que nous rencontrons dans un bar de Bruxelles près d'un an plus tard. "D'autres explosions, plus intimes, se sont ajoutées à l'ensemble, et j'avais besoin de me retrouver, de m'isoler, même si les Ticunas m'ont totalement intégré dans leur mode de vie. Je logeais avec les petits du village, les autres me prenaient avec eux pour m'apprendre à pêcher, utiliser les plantes médicinales, me parler de leur rapport aux personnes âgées." La nuit, lorsque les villes s'éteignent, la jungle s'éveille. Fabien Leclercq y puise autant de sons que d'inspiration, avant de mettre les voiles pour gagner l'extrême nord du pays et sa côte caraïbe.
Seul à Palenque
Pendant que certains s'enivrent à Carthagène, Le Motel pousse le trajet un poil plus loin. Aucun touriste ne s'aventure généralement seul à Palenque de San Basilio. Des sorties en groupe sont organisées une fois par semaine et basta. Mais le musicien formé au graphisme, se retrouve sur la moto d'un local qui l'introduit auprès des musiciens du village. "C'est un lieu isolé, incroyable, peuplé d'anciens esclaves venus via Carthagène" explique-t-il. "Et c'est hallucinant parce que tout le monde, absolument tout le monde, y joue de la musique. De la pure musique afro-colombienne mixant cumbia et sonorités africaines."
On s'attend logiquement à ce que son nouvel album solo baptisé Transiro ("transition" en espéranto, à paraître le 20 janvier) soit le reflet de ces expériences colombiennes. Après tout, Le Motel avait déjà fait le coup en 2014 sur une première production en solitaire intitulée OKA, issue d'un trip au Mexique, au Paraguay et au Costa Rica. Mais on se trompe royalement, le bonhomme a d'autres ambitions.
"Chaque morceau d'OKA correspondait aux moments d'une journée au sein d'une communauté, que j'avais déjà teintés de voix venues d'Océanie ou de sons pygmées d'Afrique centrale." précise-t-il. " Pour Transiro, j'ai voulu aller plus loin, tisser un lien entre toutes mes influences, mêler les pays, les cultures, les époques, et créer un son universel dont on ne peut pas vraiment identifier l'origine." En d'autres termes, concevoir un album appréciable, accessible et compréhensible, quel que soit le lieu où on se trouve.
Un retour à la texture
Pas mal, reste à savoir comment faire. "En élaborant une mosaïque de sons et en travaillant prioritairement sur les textures" poursuit-il tranquillement. "Je suis hypersensible aux sons depuis tout petit. De nos jours, tout le monde peut accéder à divers programmes et créer des sons. Un nouveau synthé fait son apparition sur le marché tous les deux jours. En limitant mon matériel, et en rachetant de vieilles machines lors de mon séjour au Japon, je me suis passionné pour les imperfections, le côté granuleux et sale de certains sons. Un peu comme quand on ajoute du grain sur une photo iPhone si vous voulez, ce qui revient à faire de l'ancien, de l'organique, avec du moderne. C'est ma façon à moi d'élaborer mes propres sonorités."
Quand il ne voyage pas, monsieur se fait livrer une flûte chinoise par internet, sans avoir la moindre idée de la façon de l'utiliser. "Je ne sais pas jouer de la flûte" rigole-t-il "alors je cherche des tutoriels sur le net. J'aime bien collectionner les instruments traditionnels qui ne font qu'un seul son, car ça stimule la créativité, ça donne une direction." Tout cela pourrait être terriblement vain et barbant, une sorte d'expérience hippie 2.0 concoctée en pleine retraite spirituelle, mais le résultat est surprenant, beau, planant sans être lassant. Un équilibre subtil entre envolées "world", nappes synthétiques et rythmiques puissantes.
Liberté de son
Le Motel, c'est le mouvement, la liberté, la spontanéité sans réserve. "On tient toujours ce vieux discours qui dit "tout a déjà été fait" constate l'homme à la casquette solidement vissée sur le crâne. "Dans une certaine mesure, c'est vrai, beaucoup de choses ont déjà été faites. Mais j'ai le sentiment qu'on est un peu au-dessus de tout ça aujourd'hui. On a digéré ce qui s'est passé et ce recul nous permet de retravailler ce passé pour créer de nouvelles choses."
Pas évident à vendre sans arrondir les angles, alors Fabien en a profité pour créer son propre label, Maloca, ce à quoi il faut encore ajouter ses productions de musique de films, son "vrai" travail dans le graphisme, et l'organisation de l'expérience audiovisuelle Garages Numériques qui se déroulait à La Bourse il y a quelques semaines. In fine, pas besoin de billet d'avion pour les fêtes, Le Motel se produira en compagnie de Modeselektor, Park Hye Jin et d'autres, lors du festival Braindance de l'Ancienne Belgique (21/12), puis au Listen Festival (27/03).
