"Rodelinda", la guerre en tenue de soirée
Minasi et Guth signent une fabuleuse lecture d’un brillant opéra de Haendel.
- Publié le 16-01-2020 à 17h02
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Minasi et Guth signent une fabuleuse lecture d’un brillant opéra de Haendel.
Créé juste après Giulio Cesare et Tamerlano, Rodelinda complète chez Haendel une véritable trilogie populaire façon Verdi qui le vit triompher à Londres entre 1724 et 1725. Le rôle-titre - la noble et volontaire Reine des Lombards, qui résiste vaillamment aux assauts amoureux de l’usurpateur Grimoaldo - comporte une série d’airs de bravoure qui amena même la grande Joan Sutherland, dont le baroque n’était pourtant pas le répertoire naturel, à enregistrer l’œuvre. À la scène, Rodelinda reste peu fréquent - Lille l’avait montée il y a deux ans, mais on n’a pas souvenir de l’avoir vu en Belgique -, et cette seule rareté suffit déjà à justifier le voyage d’Amsterdam. Partagée avec les opéras de Madrid, Barcelone, Francfort et Lyon, la nouvelle production signée Claus Guth est en effet un modèle d’intelligence et de beauté, démonstration éclatante qu’on peut actualiser un opéra avec goût et fruit, sans provocation et en racontant l’histoire telle qu’elle a été mise en musique. L’absence des scènes belges de l’Allemand, sans nul doute un des meilleurs metteurs en scène d’opéra depuis plusieurs années, est inexplicable et injustifiable, et on échangerait volontiers cinq spectacles de Tcherniakov ou dix de Warlikowski pour un seul des siens.
Tout l’art et le métier de Guth sont ici : la direction d’acteurs extrêmement précise, les décors élégants de Christian Schmidt (une luxueuse villa dont un plateau tournant permet de montrer la façade, mais aussi trois espaces intérieurs en coupe, comme une maison de poupée), les moments où les personnes se figent, l’usage ciblé de la vidéo (des frondaisons frémissantes pour une scène extérieure, ou les dessins du jeune prince Flavio)… Loin de toute esthétique guerrière, c’est en tenue de soirée que les protagonistes s’affrontent, se perdent et se retrouvent. Une élégance folle, un brin de magie, un soupçon d’humour, quelques pas de danses esquissés, un peu de mystère (d’inquiétants personnages à têtes immenses que ne voit que Flavio), Guth donne un sens théâtral à chaque air. Le duo Io t’abbracio est le climax attendu, mais Guth réussit aussi plus d’une fois à faire des longs airs solo da capo une confrontation en y impliquant silencieusement un second soliste.
Solistes idéaux
Musicalement, on est aussi aux anges avec la direction attentive et enthousiaste de Riccardo Minasi, à la tête d’un Concerto Köln en formation suffisamment nourrie pour remplir la grande salle du Muziektheater. Les solistes sont idéaux : la soprano Lucy Crowe (Rodelinda aux moyens techniques et au timbre somptueux), les contreténors Bejun Mehta (magnifique Bertarido, capable de virtuosité, de nuances et d’expressivité) et Lawrence Zazzo (excellent Unulfo), la basse Luca Tittolo (méchant raffiné en Garibaldo), la mezzo-soprano Katarina Bradic (Eduige élégante et racée) ou le ténor suisse Bernard Richter (Grimoaldo), intonation souveraine, projection aisée et legato à faire fondre.
Amsterdam, Nationale Opera, les 16, 19, 21, 23, 26 et 28 janvier ; www.dno.nl