Typh Barrow : "J'ai mis du temps à me trouver"
La chanteuse bruxelloise sort "Aloha" ce vendredi. Plus mature, ce deuxième album élargit son univers. Rencontre, quelques semaines avant le lancement de sa tournée belge.
Publié le 17-01-2020 à 06h30 - Mis à jour le 17-01-2020 à 17h25
La chanteuse bruxelloise sort "Aloha" ce vendredi. Plus mature, ce deuxième album élargit son univers. Rencontre, quelques semaines avant le lancement de sa tournée belge.
Piano sensuel, guitare sèche, mélancolie douce, Typh Barrow ouvre son album exactement comme l'auditeur s'y attend. On entend déjà pratiquement venir son timbre grave et puissant, quand subitement, émerge une voix masculine dans un langage dont nous ne comprenons pas le traître mot. Rien de plus normal, Gulaan chante en Nengone, idiome Kanak de Nouvelle-Calédonie, où la chanteuse bruxelloise de 32 ans est partie puiser en partie l'inspiration de cette deuxième livraison (Aloha, ***). Long de sept minutes, cet "Aloha" d'introduction est gonflé, agréablement surprenant, et place d'emblée Tiffany Baworowski sur une nouvelle voie. Exit la tradition soul et l'héritage écrasant d'une Amy Winehouse. L'interprète se libère, prend le large, et trace plus distinctement son propre sillon en alternant tubes calibrés pour la bande FM ("Replace", "Colour", "Doesnt Really Matter"), blues charnel ("Very First Morning") et retour à ses racines soul ("The Other Woman", "Damn You're Bad").
Comment vous êtes vous retrouvée en Nouvelle-Calédonie ?
J'ai écrit le morceau "Aloha" chez moi et j'ai réalisé tout de suite que je ne voulais pas mettre ma voix sur le refrain. J'avais en tête une voix plus atypique, habitée, presque mystique. J'avais envie de grands espaces, d'étendues infinies à l'autre bout du monde. Quand j'en ai parlé à François Leboutte, mon manager, il s'est mis à faire des recherches sans me le dire, et il est retombé sur le chanteur Gulaan, que l'on aimait tous les deux, qui vit en Nouvelle-Calédonie. Gulaan était emballé, il a écrit ses passages en Nengone et les choses se sont tellement bien passées, qu'on s'est retrouvés sur son île, Maré.
Il y avait d'emblée une volonté d'élargir le spectre, de diversifier votre univers ?
Oui, mon univers est très pop-soul, mais j'ai toujours été éduquée dans une tradition musicale assez éclectique. On retrouve du hip-hop, du blues, beaucoup de rock. Ma hantise a toujours été que l'auditeur entende dix fois la même chanson, on s'est donc permis de prendre un peu plus de libertés. Je me suis autorisée à explorer plus en profondeur mes racines blues, par exemple. J'ai été davantage du côté de la folk que je n'avais pas du tout développée sur l'album précédent.
En même temps, trois ou quatre morceaux sont très pop, calibrés pour la bande FM…
"Colour" ou "Doesnt Really Matter" restent deux morceaux qui groovent beaucoup, mais ils sont effectivement plus sautillants, plus radiophoniques, au niveau de la production surtout. Ca ne partait pas d'une intention précise. Ca fait deux ans que j'ai le nez dans le guidon. Les tournées se sont enchaînées, puis il y a eu le jury de The Voice. Je ne me suis rien imposé de particulier, j'ai juste continué à composer. La seule ligne conductrice de cet album a été de tester quasiment toutes mes nouvelles compositions sur scène, faire du public un baromètre, un laboratoire pour voir si la magie opère ou non. Sur "Aloha", la réaction a été tellement bonne, qu'on a placé des micros dans la salle pour enregistrer directement l'audience. Les chœurs que l'on entend sur l'album, c'est la voix du public qui chante.
Est-il difficile de tracer sa propre voie, se détacher de ses influences ?
Je ne sais pas, je ne me pose pas ces questions-là. J'ai plein d'influences, de toutes sortes, mais je ne les ai pas en tête quand je compose.
L'intro de "Replace" est proche de celle de "Telephone" de Lady Gaga… Est-ce voulu ?
(Elle écoute "Telephone") Ah oui, je vois ce que vous voulez dire. Ce n'est pas du tout voulu, non. J'aime beaucoup ce que fait Lady Gaga, mais ce n'est pas une influence directe.
"Very first Morning" marque votre retour à un blues brûlant… Mais curieusement, vous avez eu du mal à l'enregistrer. Que s'est-il passé ?
Effectivement (Rires). Quand on est en studio, certaines sessions coulent de source, la voix sort du premier coup et tout s'enchaîne. Puis il y en a d'autres où rien ne va. Pour "Very First Morning", rien à faire : ma voix était là, c'était notre dernier jour d'enregistrement dans les magnifiques studios ICP, mais ça ne sortait pas. Il y a une note à la fin qui doit être spectaculaire, c'est le moment délicat du morceau, mais je n'y parvenais pas parce que je commençais à m'énerver, à forcer. Et dès qu'on commence à se crisper, on n'est plus connecté à la source. Mon manager m'a fait venir chez lui, plus tard, pour discuter du projet, après avoir installé des micros sans me le dire. Je me faisais un thé dans la cuisine quand il m'a lancé "je dois tester du matériel, tu ne veux pas me chanter quelque chose ? "Very First Morning" par exemple ?" Je me suis lancée sans réfléchir, et c'est la version qui s'est retrouvée sur le disque.

"Il ne faut pas avoir eu un problème de drogue ou d'alcool pour vivre des choses dures"
Depuis la sortie de Raw, en janvier 2018, Typh Barrow n'a cessé d'arpenter les salles belges et de gravir les échelons. Près de soixante mille spectateurs et quelques festivals plus tard, elle s'est construit une solide fan base, et a récolté un disque d'or.
Vous vous attentiez au succès populaire de l'album Raw ?
On espère toujours je crois. Mais, d'un autre côté, j'essaie de ne m'attendre à rien pour éviter les déceptions. Je ne m'attendais en tout cas pas à ce que le public soit à ce point réceptif.
L'idée, désormais, est-elle de toucher le marché français ?
On a déjà eu quelques petites dates sporadiques en France. L'envie c'est évidemment de toujours pouvoir aller le plus loin possible. Mais je savoure encore pleinement ce qui est en train de m'arriver ici, en Belgique. Mon rêve de petite fille s'est réalisé, quel que soit le marché.
On vous a rapidement placée dans le giron d'une Amy Winehouse, mais vous n'avez pas du tout le même vécu. Au risque de paraître un peu lisse en comparaison ?
Se produire sur d'énormes scènes, c'est très impressionnant. Je pense qu'il y a clairement une carapace qui me protège. La scène m'a fait et me fait encore grandir. Après, si vous analysez les textes de l'album, vous constaterez que des trucs trash sont sortis de ma bouche. Il y a des choses qui passent par la musique, que je ne vais pas forcément avoir envie de montrer directement. Et je ne pense pas qu'il faille avoir eu des problèmes avec l'alcool ou la drogue pour vivre des choses plus dures ou plus sombres.
Votre carrière s'est construire à son rythme, sur la durée, ça tranche avec la tendance actuelle au succès éclair.
Ma famille m'a toujours poussée dans cette direction, c'est quand même eux qui m'ont offert mes premiers instruments. Mais ils étaient craintifs quand j'ai commencé le Conservatoire. Le contrat moral passé avec eux a été de faire le Droit en même temps pour les rassurer, me rassurer, même s'il était clair dès le début que c'est la musique qui avait le plus de sens pour moi. J'ai mis du temps à me trouver, je ne voulais pas me précipiter, et j'avais besoin de construire une équipe de confiance.
Votre père est d'origine polonaise, aves-vous un rapport particulier au pays ? Sa culture ?
C'est un sujet un peu délicat, parce que mon papa y a connu une vie très difficile. Il a fini par fuir le pays et il ne voulait pas qu'on parle polonais quand on était petits. Je suis donc allée en Pologne pour la première fois, il y a trois mois. J'y ai donné mon premier concert et j'ai fait tous mes speeches en polonais, que j'avais appris en langage phonétique. Ca a été un moment très particulier, parce que je me sentais comme une étrangère, alors qu'en même temps, tout me reliait au pays, dans la façon dont les Polonais se comportent, les noms des rues ou des musées. J'avais vraiment l'impression que ma famille était partout. Les gens ont été très accueillants, c'est une nation très sensible. Je pense que mon histoire, les liens avec la Pologne, les ont touchés. Maintenant, j'attends que mon papa m'y emmène pour me présenter sa ville, son pays, et je pense qu'il est prêt.
--> En concert le 2 mai au Palais des Beax-Arts de Charleroi, les 7, 8 et 9 mai au Forum de Liège, les 15 et 16 mai au Cirque Royal de Bruxelles.
--> Typh Barrow, Aloha, Doo Wap, sortie ce 17 janvier.
