Alex Beaupain: "On raconte ça comment le bonheur?"
Depuis son premier album "Garçon d'honneur", sorti en 2005, Alex Beaupain le mélancolique excelle dans les chansons sentimentales. Mais sur son 6e album, "Pas plus le jour que la nuit", il chante aussi le monde tel qu’il tourne - mal. Une indéniable réussite pour cet auteur, compositeur et interprète doué. Rencontre.
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- Publié le 19-01-2020 à 15h39
- Mis à jour le 19-01-2020 à 15h40
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Depuis son premier album "Garçon d'honneur", sorti en 2005, Alex Beaupain le mélancolique excelle dans les chansons sentimentales. Mais sur son 6e album, "Pas plus le jour que la nuit", il chante aussi le monde tel qu’il tourne - mal. Une indéniable réussite pour cet auteur, compositeur et interprète doué. Rencontre.
Alors que sortait son 6e album, Pas plus le jour que la nuit, d’aucuns se sont inquiétés du moral d’Alex Beaupain. Ceci étant, depuis son premier opus, Garçon d’honneur (2005), le chanteur français a la mélancolie chevillée au corps. En 2000, alors qu’il est en boîte de nuit avec sa fiancée, qu’il fréquente depuis 10 ans, celle-ci s’effondre, victime d’une crise cardiaque. Le film Les Chansons d’amour de Christophe Honoré - dont Beaupain a écrit nombre de ses BO - s’inspire de ce drame.
Même si l’intéressé se décrit comme "un garçon plutôt joyeux" , précisant qu’il lui arrive "d’être heureux dans la vie", l’on se doit de reconnaître que le nouveau disque d’Alex Beaupain est plus sombre que les précédents. C’est que l’auteur-compositeur-interprète ne s’est plus confiné à la géographie intime des sentiments et aux soubresauts de son cœur ("Tout le contraire de toi", déchirante chanson de rupture), mais a élargi son horizon en écrivant des textes qui parlent du monde tel qu’il tourne - mal ("Les Sirènes", "Orlando", "Poussière lente").
"'Pas plus le jour que la nuit' est un album inquiet et, j'espère, pas inquiétant"
Le chanteur de 45 ans, que l’on a rencontré lors de son passage à Mons en novembre dernier, utilise le mot "inquiet" , pour qualifier son album, tout en espérant qu’il n’est pas "inquiétant" . Et si l’on a bien compris que ce n’est pas son style de baigner dans un bonheur béat, on se demande s’il pourrait écrire des chansons gaies. "Pourquoi pas ? Encore faudrait-il que j’arrive à les écrire et qu’elles soient bonnes. Jusqu’à présent, je n’y suis pas arrivé. Il faut peut-être plus de talent que je n’en ai." À moins que le fait de rédiger un texte sur le bonheur demeure, pour lui, la chanson ultime. "Mais comment on raconte ça, le bonheur ?" , questionne-t-il. "Il ne se passe rien quand on est heureux" , constate celui qui a adoré écouter des albums sombres comme Seule de Barbara au début des années 1980 et Novice de Bashung à la fin de la même décennie. "Ce sont des albums qui m’ont fait du bien. Pour parler des Anglo-Saxons, je citerais Joy Division, par exemple."
À la question de savoir si la beauté de l’art sauverait de la violence du monde, une déclaration de la dessinatrice de BD Catherine Meurisse que l’on a lue dans un entretien accordé au magazine français Télérama, Beaupain répond : "Je ne sais pas si cela sauve, mais ce sont des raisons d’espérer, en tout cas. Cela peut apporter un certain réconfort." Avec "Orlando" (sur la fusillade perpétrée dans une boîte de nuit LGBT en Floride) et "Les Sirènes" (le son d’une ville juste après un attentat), il réussit la prouesse de raconter ces douloureux événements avec une infinie douceur et une bouleversante poésie.
Alex Beaupain n’envisage pas le fait d’écrire des chansons comme une thérapie. "Je ne me dis pas : tiens, cela va me faire du bien d’écrire sur une expérience de deuil, sur une rupture, etc. Je ne suis pas là en train d’essayer de me guérir. Pour cela, il faut aller voir un psy, décrète-t-il. Quand j’écris, je me dis que je vais essayer que ce soit une jolie chanson." Depuis ses débuts, il y parvient particulièrement bien. Il est doué. Il préfère parler de vocation que de métier.
"Le fait de se renouveler ne signifie pas abandonner qui on est"
Loin, son précédent opus, Alex Beaupain n’en était pas content. Il le trouvait incohérent et considérait que la production n’était pas aboutie. Il a donc construit Pas plus le jour que la nuit en réaction. "C’est de ma faute, reconnaît-il. J’avais essayé de faire la même chose que ce que je viens de réaliser ici, sauf que je n’ai pas mené le projet à terme. J’avais décidé de laisser la production entre les mains d’autres personnes et puis, au bout d’un moment, j’ai eu peur, j’ai voulu tout récupérer. Loin est une redite d'Après moi le déluge, en moins bien. Honnêtement, il y a de bonnes chansons et d’autres qui sont assez dispensables. Ça piétine par rapport au précédent." Après cinq albums, quelles sont les possibilités pour un chanteur de se renouveler ? "Un artiste doit être quelqu’un qui continue à évoluer malgré tout et à proposer ce qu’il est profondément tout en essayant de faire autre chose. C’est là toute la difficulté. Se renouveler ne signifie pas abandonner qui on est, ce pour quoi les gens nous aiment ou ce pour quoi on possède une singularité" , relève Alex Beaupain.
Histoire d’avancer, il a finalement accepté de déléguer la réalisation et les arrangements de ses dix nouveaux titres à Sage et Superpoze, deux musiciens électro possédant chacun un projet musical personnel et œuvrant, également, comme producteurs. Superpoze, pour des artistes venus du rap (Lomepal, Nekfeu) ; Sage, lui, a produit l’album de Woodkid et est surtout connu comme la cheville ouvrière de l’album de Clara Luciani.
"Composer sur un mauvais instrument est une méthode de travail"
À l’automne 2019, la rentrée "chanson française" était bien fournie. Thomas Fersen, La Grande Sophie, Vincent Delerm, Pierre Lapointe ont débarqué avec de nouvelles propositions, chacun tentant de fouler de nouvelles terres. La Grande Sophie, qui est une proche amie de Beaupain, a également choisi de confier la réalisation de son 8e album, Cet Instant , à deux jeunes producteurs, Sayem et Sébastien Bertaud. À l’écoute, l’influence de l’électro est plus forte chez elle. Beaupain commente : "Paradoxalement, je pense que Pas plus le jour que la nuit est mon album le plus chanson française. La voix est mise en avant. Alors que ce sont des producteurs électro, on a énormément d’instruments acoustiques. Notamment une basse, qui est fort présente, du début à la fin. Il y a beaucoup de piano aussi. Il y en avait moins sur mes disques précédents alors que je compose au piano. Au final, je crois que Sage et Superpoze ont été contaminés par la chanson, pourtant, ce n’est pas forcément leur terrain de jeu."
Pour continuer le parallèle avec La Grande Sophie, cette dernière nous avait déclaré qu’elle s’était acheté un piano pour composer les mélodies de Cet Instant , elle qui n’utilisait jusque-là que la guitare. Alex Beaupain confie qu’il joue sur un mauvais piano électrique, un clavinova, que sa fiancée lui avait offert dans les années 1980 et sur lequel il a tout écrit depuis. Il ne s’en sépare sans doute pas par fétichisme - et on le comprend. D’autant plus que, avoue-t-il, "le fait d’avoir un mauvais instrument est une méthode de travail, aussi. Si, déjà sur mon mauvais piano, cela sonne bien, quand je vais rentrer en studio et jouer sur un Steinway ou un Fazioli, cela va être encore plus intéressant". Incontestable démonstration par l’absurde.
LE CONCERT : VU ET APPROUVÉ
Sur scène comme sur disque, Alex Beaupain a décidé de se renouveler. Il se présente donc face au public et non plus assis derrière un piano. "J’avais dans l’idée, un peu folle, que cela allait me permettre de mieux chanter en me concentrant sur la voix", confie-t-il, le 21 novembre dernier alors qu’on le rencontre dans sa loge, quelques heures avant son concert à Mons dans la très belle salle à l’impeccable acoustique de l’Arsonic. Au sortir du spectacle, on se dit que c’est sans doute un vœu pieux. À sa décharge, la veille, il jouait à l’Olympia, et la soirée s’est quelque peu prolongée. Sans excès, mais cela lui vaut quand même de soigner sa voix avec une tisane de gingembre. Qu’importe. Il chante à l’instinct et ça lui va bien. Pour le reste, il a "essayé de faire en sorte que les arrangements des anciennes chansons rejoignent ceux de ce disque-ci". Et c’est amplement réussi. Avec, au menu, des morceaux de ses précédents albums, remontant jusqu’à son premier, Garçon d’honneur (2005) - et les sublimes "Au ciel" et "La Beauté du geste", qui, en effet, s’intègrent parfaitement dans la setlist. Ses fidèles musiciens ont "remis les mains dans le cambouis". Comme Valentine Duteil, par exemple, qui est sa violoncelliste depuis 12 ans. Si elle joue de son instrument, elle s’essaie également aux claviers, à la basse et au chant. Alex Beaupain sur scène, c’est aussi un humour déjanté, une autodérision, une chouette connivence avec le public.
En concert le jeudi 13 février au Botanique (Orangerie), Bruxelles. Infos : 02.218.37.32 www.botanique.be.
La setlist
Ektachrome
Grands soirs
Au ciel
Les sirènes
Sitôt
Pourquoi battait mon coeur ?
Vite
Tout tombe
Les voilà les voilà
Brooklyn Bridge
Beauté du geste
Je n’aime que toi
Avant la haine
Orlando
Cours camarade
Sur toute la ligne
Tombé pour la France (reprise, Etienne Daho)
Après moi le déluge
Tout le contraire de toi
Pas plus le jour que la nuit
LE CD
(Arts Libres, 30/10/2019)
Pas plus le jour que la nuit Alex Beaupain Chanson 1 CD Polydor/Universal
Attentats (“Les sirènes”, “Orlando”), migrants, climat et fin du monde (“Poussière lente”) : le nouvel album d’Alex Beaupain nous parle du monde tel qu’il va – mal. Si l’auteur, compositeur et interprète français de 45 ans élargit son horizon, il continue néanmoins à dessiner la géographie intérieure des sentiments – domaine où il excelle. Ses chansons d’amour, loin de rimer avec toujours, sont empreintes d’une mélancolie à foutre le bourdon que Beaupain a chevillée au corps. Et pourtant, on n’oppose aucune résistance pour se laisser échouer dans les bras de “ce bonheur d’être triste” comme Victor Hugo définissait cette humeur.
Autre ouverture notable sur ce 6e album : le travail de Superpoze et Sage, jeunes producteurs électro, qui colorent tout en nuances la trame musicale des dix titres.
BONUS
Premier ou second degré
"Je suis transparent dans mes chansons, je suis très premier degré. J’essaie de faire en sorte qu’elles soient bien écrites, le plus simplement possible. Mais il n’y a pas de sens caché. J’y ai toujours été attentif, même si j’adore les chansons sibyllines ou mystérieuses, comme celles de Bashung ou de Jean-Louis Murat. Y’a des tonnes de chansons où je ne comprends absolument pas ce que ça raconte, mais elles me touchent profondément."
La pochette
"Elle a été conçue par un artiste qui s’appelle Thomas Lévy-Lasne. C’est un peintre figuratif français. J’aimais beaucoup les aquarelles de fête qu’il avait réalisées, dans les années 2010. Je lui ai dit que j’avais envie d’être au milieu de son tableau. Je lui ai fait faire une aquarelle, dont on voit une partie au milieu du CD. Je lui ai aussi fait faire, un fusain, au cas où, parce que je savais qu’il en réalisait. Quand je l’ai vu, je trouvais qu’il y avait une puissance dans le dessin, quelque chose de presque terrifiant, d’un peu impressionnant, sombre, qui correspondait bien à la tonalité de l’album. Et voilà, c’est le fusain qui a été retenu."
La conception d’un album au temps du streaming
"La façon dont on écoute les chansons aujourd’hui n’est plus du tout la même. Faire un album et réfléchir à l’ordre des chansons, est-ce encore une bonne idée ? Je ne sais pas. Je n’arrive pas à inventer autre chose, donc je le fais comme ça. Après, on peut toujours piocher dedans. Ce serait intéressant de se poser la question de savoir comment il faudrait construire un album. Vu la façon morcelée dont, à l’heure actuelle, on écoute les chansons, quel serait le format idéal adapté au streaming qui remplacerait l’album ? Il doit y avoir une idée, mais je ne l’ai pas encore trouvée. Personne ne semble l’avoir trouvée puisque tout le monde continue à faire des albums."
Le rap, la chanson de maintenant
"Par rapport à la dominance du « rap », j’essaie constamment de me rappeler que quand j’étais plus jeune et que je commençais à écouter des chanteurs - en l’occurrence Etienne Daho qui, aujourd’hui, possède une espèce de statut du commandeur en France -, mes parents trouvaient cela absolument insignifiant, insipide, inepte au niveau des paroles. Moi, j’étais persuadé, à l’époque, que c’était bien. On verra comment les musiques d’aujourd’hui vont devenir dans 20 ans. C’est le temps qui, en définitive, est le seul juge de ce qui doit rester ou pas."
Clara Luciani
"J’ai travaillé avec elle pour l’adaptation scénique - 5 dates, dont 3 à Paris à la Philharmonie de Paris - des « Gens dans l’enveloppe » d’Isabelle Monnin. Camelia Jordana n’étant pas disponible, j’ai choisi de travailler avec Clara. Raphael lui a fait faire une tournée, elle était sa musicienne (pour la tournée « Somnambules »). Benjamin Biolay, lui, a fait faire ses premières parties. Et moi, entre son EP et son album, j’ai sollicité sa collaboration. Tout cela pour dire, qu’on n’était pas des suiveurs, que c’était bien avant son grand succès. Je suis très heureux de son succès, en plus cela n’a pas été si simple que cela. Elle a mis du temps à démarrer. Il a fallu 6 mois avant que « La grenade » ne décolle."
Les cimetières
"J’habite à Montmartre. Le plus grand endroit où on peut se balader sans voiture, c’est le cimetière Montmartre. Qui, en plus, est très beau. Les cimetières sont souvent les plus grands parcs des villes où il n’y a en pas. Ce sont des endroits calmes. De grands espaces où il n y a pas de voiture, où il n’y a pas de gamins qui hurlent. Il y règne quand même un certain respect. On peut se promener, on est dans la nature, le plus souvent, il y a des arbres. Et en plus près de chez moi, il y a des chats dans les cimetières. Moi j’aime beaucoup les chats. Ils sont très doux les chats de cimetière. Ce sont des animaux qui ne sont pas dérangés par le bruit ou par des gens. Les cimetières sont des endroits très apaisants et jolis. C’est joli les tombes."
Le titre de l'album
En visionnant un documentaire, programmé sur Arte, sur les sœurs Brontë, Alex Beaupain alpague cette phrase qui est le début d’une lettre que Charlotte Brontë adresse à Constantin Léger, un enseignant belge dont elle était amoureuse. Considérant qu’elle reflète l’état d’esprit de ses dix chansons, il s’en empare et en fait le titre de son nouvel album.
Quelques fous rires à la vision des making of réalisés, notamment, par Valentine Duteil. Comme l'écoute de l’album par Vincent Dedienne. https://www.facebook.com/alexbeaupain/videos/