McCoy Tyner, disparition d’un géant du jazz
Décédé à 81 ans, le pianiste qui a accompagné le saxophoniste John Coltrane dans ses sommets, fut l’un des artisans – un « titan » selon l’étiquette Blue Note – de la modernité du jazz.
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- Publié le 07-03-2020 à 13h34
- Mis à jour le 08-03-2020 à 12h54
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Décédé à 81 ans, le pianiste qui a accompagné le saxophoniste John Coltrane dans ses sommets, fut l’un des artisans – un « titan » selon l’étiquette Blue Note – de la modernité du jazz.
S'il est vrai que la plupart des innovations du jazz moderne ont été portées par des souffleurs, essentiellement saxophonistes et aussi quelques trompettistes, il ne faut pas négliger pour autant l'univers du piano. Depuis les années cinquante, celui-ci est dominé par deux personnalités d'envergure, Bill Evans (1929-1980) et McCoy Tyner (1938-2020).
Un quartette de légende
Né Alfred McCoy Tyner à Philadelphie le 11 décembre 1938, ce dernier s'est taillé une réputation mondiale en étant le pianiste d'un des quartettes qui ont marqué l'histoire, celui du saxophoniste John Coltrane. Il y a d’ailleurs lieu de se demander si « Trane » aurait pu parcourir son lumineux chemin créatif sans la complicité, quasi familiale, du pianiste et des deux autres angles du quartet, le bassiste Jimmy Garrison et le batteur Elvin Jones.
Le saxophoniste et le pianiste se sont rencontrés pour la première fois à Philadelphie. Tyner y avait pour voisins les frères Richie et Bud Powell, avec qui il a travaillé avant d'accompagner force solistes de passage comme Sonny Rollins, Benny Golson, Jackie McLean. Philadelphie, en Pennsylvanie, est aussi le lieu où la famille du jeune Coltrane, qui avait perdu père, oncle et grands-parents en 1939, s'est reconstituée à partir de 1943.
Philadelphie, plaque tournante du jazz
Il s’est ensuite formé au contact des géants de passage à Philly, comme Sonny Rollins, Benny Golson, Jackie McLean. Philadelphie, en Pennsylvanie, est aussi le lieu où la famille du jeune Coltrane, qui avait perdu père, oncle et grands-parents en 1939, s’est reconstituée à partir de 1943.
En 1956, le pianiste et le saxophoniste jouèrent pour la première fois ensemble, une semaine, au club Red Rooster. À l’époque, Tyner compose The Believer, que Coltrane enregistrera l’année suivante et publiera sur l’album éponyme en 1964. Titre symbolique s’il en est, notamment des liens entre les deux hommes.
Leurs voies se séparent pourtant, Tyner étant engagé au sein d’une des meilleures formations bop de l’époque, le Jazztet d’Art Farmer (trompette) et Benny Golson (saxophone). McCoy Tyner et John Coltrane ne se retrouvent qu’après le départ du second du Miles Davis Quintet, en 1960. Trane engage d’abord Steve Kuhn, rapidement remplacé par Tyner.
Les deux hommes travailleront ensemble jusque fin 1965. Tyner accompagnera Trane dans ce formidable parcours créatif et spirituel qui va de My Favorite Things (1960) au bien nommé Ascension (1965), en passant par A Love Supreme, la même année. Entre-temps, le jazz avait pris son tournant modal. C’est aussi là que le pianiste a définitivement forgé – sans le figer – son style très dynamique, porté par une main droite baladeuse dans les harmonies ornementales, soutenue par l’une des gauches les plus impressionnantes de l’histoire du jazz. Quand la droite déborde d’accords lyriques, mystiques, colorés, la gauche installe son jeu répétitif, aux notes bleutées reconnaissables entre toutes.
Une gauche implacable
Le son Tyner vient de sa main gauche. C’est elle qui lui permet de se lancer dans des chorus de longue haleine, comme ceux de Coltrane. À ce style, trop caricaturalement appelé percussif, il ne dérogera jamais, tout en reconnaissant régulièrement sa dette à Thelonius Monk, Art Tatum, Erroll Garner. Ces quatre-là cultiveront leur originalité avec une force de conviction exceptionnelle, quel que soit l’environnement musical.
Considéré comme l’inventeur du jeu modal au piano, au sein du quartette, McCoy Tyner constitue la trame d’accords sur laquelle John Coltrane peut baser ses immenses improvisations. Intenses, frénétiques, illimitées. C’est lui qui “assure”, en même temps qu’il “rassure”, derrière la tempête déclenchée par le saxophoniste. L’un et l’autre sont indissociables pour atteindre les sommets que l’on sait.
Avec Ike et Tina Turner
Entre 1960 et 1965, le fait d’être un pilier du quartette de John Coltrane n’empêche pas McCoy Tyner d’enregistrer en leader, notamment avec Clark Terry, Thad Jones, Roy Haynes. Lorsqu’il s’installe à son compte, après avoir quitté le légendaire quartette, il accompagne une foule de musiciens parmi lesquels, de manière assez surprenante, Ike & Tina Turner.
À partir de là, on le verra aussi en leader, mettant sur pied de nombreuses formations parfois très différentes en trio, en quartette, en big band. Il réalise aussi plusieurs enregistrements en solo, dont le magnifique Echoes of a Friend (1972) dédié, on s’en doute, à Coltrane, disparu cinq ans plus tôt.
Empreint de coltranisme
Il n'est pas facile de se libérer de l'emprise coltranienne. À quoi bon d'ailleurs ? Les titres des albums et des thèmes - car il est aussi un compositeur remarquable, écoutez sa ballade Search for Peace sur l’album The Real McCoy chez Blue Note -, ces titres résonnent de coltranisme : Contemplation (toujours The Real McCoy), Expansions, Extensions. Le pianiste a d’ailleurs longtemps tourné avec Ravi Coltrane, fils de John, comme on a pu l’admirer au Gent Jazz en juillet 2005 et au festival de Comblain en juillet 2012.
Gent Jazz, juillet 2017
“L’image persistera dans la mémoire de tous ceux qui étaient présents sous le grand chapiteau du Gent Jazz samedi soir, écrivions-nous en juillet 2017 : le pianiste McCoy Tyner se fait conduire au Steinway & Sons. Il s’assied avec difficultés sur la banquette, pose ses mains sur le clavier et là, c’est l’enchantement. Avec l’une des mains gauches les plus indépendantes et imaginatives que le jazz ait connue, l’homme émerveille par son lyrisme chatoyant, qui tient parfois d’Erroll Garner. A 78 ans, ses articulations ont peut-être raidi, mais pas celles de ses phalanges.”
Outre un magnifique parcours personnel, la participation à flopée d’albums, notamment avec Art Blakey, McCoy Tyner laisse derrière lui son apport fondamental à la monumentale – et toujours en expansion - discographie de John Coltrane, entre 1960 et 1965. Il aimait à dire : “Pour moi, la vie et la musique sont une seule et même chose, je joue ce que je vis.” Ayant, selon ses proches, "consacré sa vie à son art, sa famille et sa spiritualité". Ce qu’il a apporté à l’âme de la musique reste écrit à l’encre indélébile.

Discographie sélective
Tous les enregistrements de McCoy Tyner avec John Coltrane, pour Impulse!, entre 1960 et 1965, sont des chefs-d’œuvre. À part eux, voici quelques autres excellentes pistes de l’œuvre du pianiste.
- Live at Newport, 1963, Impulse!
- Reaching Fourth, 1963, Impulse! (en trio avec Roy Haynes et Henry Grimes)
- The Real McCoy, 1967, Blue Note
- Expansions, 1968, Blue Note
- Time for Tyner, 1968, Blue Note
- Extensions, 1970, Blue Note
- Sahara, 1972, Concord
- Echoes of a Friend, 1972, Concord (piano solo)
- Enlightment, 1973, Milestone.
- Trident, 1976, Milestone (en trio avec Ron Carter et Elvin Jones)
- The Turning Point, 1992, Verve (à la tête d'un big band)
- McCoy Tyner Quartet, 2007, Half Note (avec Joe Lovano, Jeff “Tain” Watts, Christian McBride)
- Solo: Live From San Francisco, 2009, Half Note