Des lendemains qui chantent, mais quand ?
- Publié le 20-03-2020 à 11h21
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La Monnaie lance sa prochaine saison comme une bouteille à la mer. Le secteur lyrique sans doute paralysé à long terme.
Traditionnellement, le printemps est la période où la plupart des maisons d’opéra annoncent leur prochaine saison. Cette année, respecter cette coutume est comme une façon de conjurer le mauvais sort qui frappe le secteur. Dans une situation où personne ne se hasarderait à faire un pronostic précis de réouverture (voir ci-contre), évoquer les spectacles qui se donneront dès septembre 2020 est tout à la fois une façon de dire qu’on garde l’espoir, mais aussi éventuellement de tenter de colmater la trésorerie : tenus de rembourser les billets pour les spectacles annulés (même si certains, surtout dans le monde anglo-saxon, proposent aux spectateurs de faire don du prix de leurs places) et privés de toutes nouvelles recettes de billetterie, les théâtres peuvent tenter de générer quelques recettes avec les abonnements.
Ainsi, juste avant de fermer ses portes pour trois semaines, la Monnaie a annoncé son menu pour la saison 2020-2021. Un menu sans beaucoup de surprises (la plupart des metteurs en scène conviés sont des habitués de la maison) et allégé (sept productions dans la grande salle, dont deux reprises de spectacles déjà donnés ailleurs et une reprise d’une production maison) mais néanmoins alléchant, et qui permet dès lors de rêver à des jours meilleurs.
La saison s’ouvrira en septembre avec la création d’un nouvel opéra du compositeur flamand Kris Defoort, dont la Monnaie avait déjà donné The woman who walked into doors et House of the singing beauties. Au menu cette fois, l’adaptation du roman-fleuve de Richard Powers The time of our singing (Au temps où nous chantions), un classique de la littérature américaine, sous la direction de Kwamé Ryan et avec une mise en scène du jeune Américain Ted Huffman.
Viendra ensuite (octobre) Die tote Stadt, le formidable opéra de Korngold, dans une mise en scène de Marius Trelinski venue du Grand Théâtre de Varsovie, avec Roberto Sacca, Marlis Petersen et Georg Nigl en tête de distribution et sous la baguette de Lothar Koenigs : même si l’ouvrage se base sur un classique de la littérature belge (Bruges-la-Morte de Georges Rodenbach), il n’avait jamais été donné à la Monnaie. En décembre, ce sera de Madrid qu’arrivera un Falstaff mis en scène par Laurent Pelly et dirigé ici par Alain Altinoglu : la distribution B (ici avec B comme belge) sera plus intéressante que la A, puisqu’il y aura Werner Van Mechelen dans le rôle-titre ainsi que Lionel Lhote et Anne-Catherine Gillet en couple Ford.
La trilogie des Tudor
Janvier 2021 verra une nouvelle production du Turn of the screw de Britten, dirigée par le jeune Ben Glassberg et mise en scène par Andrea Breth (dont on n’a pas oublié la Traviata), tandis que février et mars seront - comme cette année - l’occasion de ce qui avait été initialement annoncé comme une autre trilogie (les Tudor Queens de Donizetti après les Da Ponte de Mozart). Une trilogie autour de la figure d’Elisabeth I qui a failli devenir une tétralogie (à Anna Bolena, Maria Stuarda et Roberto Devereux, on ajoutera le plus rare Elisabetta al castello di Kenilworth), mais qui prendra finalement la forme d’un dyptique : il a été demandé au chef Francesco Lanzilotta de faire desquatre opéras une sorte de pasticcio tenant en deux soirées et titré Bastarda !, la mise en scène étant confiée au Français Olivier Fredj, dont le Macbeth à la Monnaie n’avait pas laissé un souvenir impérissable.
Py et Saint-Saëns
Tout aussi focalisé sur la royauté anglaise, l’événement de la saison sera pour avril et mai 2021. Absent de la Monnaie depuis 1935, le très rare Henry VIII de Camille Saint-Saëns fera son retour avec une équipe presque entièrement française : Olivier Py à la mise en scène, Laurent Naouri dans le rôle-titre, Véronique Gens en Catherine d’Aragon, Nora Gubisch en Anne Boleyn et bien sûr Alain Altinoglu dans la fosse. Et en juin, le directeur musical de la Monnaie sera également aux manettes pour le dernier spectacle de la saison, la reprise dix ans après du Parsifal qui avait marqué, en 2011, les débuts de Romeo Castellucci à la Monnaie.
Saisons terminées ?
Six semaines. C’est le temps souvent requis, en amont de la première, pour la répétition d’une nouvelle production d’opéra. Parfois plus, parfois un peu moins. Au moment de fermer la semaine dernière et d’interrompre anticipativement les représentations de sa trilogie Mozart, la Monnaie était sur le point de commencer à répéter son prochain spectacle, une Dame de Pique de Tchaïkovski prévue à partir du 21 avril. Rien d’étonnant à ce que la scène bruxelloise ait dû se résoudre à reporter d’ores et déjà ce spectacle à une saison ultérieure : même si toutes les mesures de confinement et de restriction de déplacements internationaux étaient levées à partir du 6 avril - ce à quoi peu croient - il serait trop tard à ce moment pour commencer à travailler sur un spectacle censé commencer quinze jours après.
L’Opéra flamand n’a pas fait autrement, annonçant tout à la fois l’annulation de Chœurs, le spectacle d’Alain Platel qui devait commencer ce vendredi sur base de chœurs de Verdi et Wagner, et la reprise du Cosi fan tutte parisien d’Anne Teresa De Keersmaeker à l’affiche à partir du 23 avril. Seul l’Opéra de Wallonie semble persister. La Sonnambula de Bellini mise en scène par Jaco Van Dormael qu’on aurait dû voir cette semaine a bien sûr été annulée mais, contacté par La Libre pour savoir si la très rare Alzira de Verdi programmée à partir du 17 avril était maintenue, la scène liégeoise a répondu : "Pour le moment, nous suivons les directives gouvernementales de fermeture de l’opéra. Nous verrons comment la situation évolue, en ce qui concerne Alzira ."
Un espoir pour le Chevalier, Faust, Lakmé...
Si la situation s’améliore dans les jours à venir et que les mesures de confinement sont levées vers Pâques, il reste l’espoir de voir à Bruxelles Le Chevalier à la rose de Strauss, et à Anvers le Faust de Schumann dirigé par Philippe Herreweghe : les premières représentations sont toutes deux prévues le 14 juin. Liège, de son côté, sauvera peut-être Lakmé de Delibes avec Jodie Devos (22 mai) et Nabucco de Verdi (17 juin). Mais rien n’est moins sûr. Mercredi, le célèbre festival anglais de Glyndebourne, réputé pour la qualité et la durée du travail de répétition qui précède chaque spectacle, a annoncé qu’il retardait au 14 juillet l’ouverture de son édition 2020, initialement prévue le 21 mai. Huit semaines de suppression de spectacles, façon de dire que l’espoir là-bas est mince de reprendre le travail dans l’ombre avant la deuxième quinzaine de mai.