Comment accède-t-on à un concours tel le Reine Elisabeth ? "C’est quelque chose dans le corps, comme une voix"
- Publié le 16-05-2021 à 19h15
- Mis à jour le 17-05-2021 à 09h49
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Qui sont-ils, ces jeunes pianistes capables de changer de fuseau horaire tous les jours (même en temps de pandémie), d’affronter les plus grands concours internationaux, d’enchaîner les sonates de Haydn, les études de virtuosité, les gavottes de Rameau, les concertos de Mozart, les chefs-d’œuvre les plus exigeants, les plus longs, les plus complexes du répertoire sans péter les plombs ? Nous avons posé la question à notre compatriote Jean-Claude Vanden Eynden, bien placé pour y répondre puisqu’il fut troisième lauréat du Concours Reine Elisabeth en 1964 (il avait 16 ans), et est aujourd’hui membre du jury et mène de front une brillante carrière de pianiste et de professeur.
À quoi est due la popularité du piano symbole de la musique classique ?
On pourrait d’abord évoquer l’introduction des claviers dans la pratique instrumentale européenne : succédant au luth et aux instruments de ce type, le clavicorde, le clavecin, le pianoforte et enfin le piano ont eu pour fonction première d’appréhender d’un coup l’harmonie à travers des sons fixes. De plus, à partir du XVIIe siècle, les instruments à clavier ont fait l’objet de décorations si magnifiques que toutes les familles mélomanes désiraient en avoir un dans leur salon… On pouvait y transposer tout le répertoire, c’était beau à voir et à entendre, c’était donc parfait.
Selon Heinrich Heine, en 1840, le problème était déjà qu’il y avait "trop de pianistes et trop de bons pianistes", est-ce toujours vrai ?
C’est l’éternelle question… Il y a de plus en plus de jeunes monstrueusement doués mais les grands musiciens, les artistes, les fortes personnalités restent proportionnellement aussi rares et s’il y a beaucoup d’appelés, il y a peu d’élus. Le plus difficile étant de trouver l’équilibre entre la connaissance des styles, des traditions, des intentions du compositeur, etc., et la personnalité artistique.
Vous pouvez donner des exemples ?
Le sommet est de pouvoir mettre en évidence une vision personnelle dans une œuvre archi-connue. J’ai le souvenir d’un récital de Sviatoslav Richter où il jouait l’opus 110 de Beethoven que j’étais juste en train de travailler et tout m’a soudain semblé neuf ! En rentrant chez moi, j’ai sauté sur la partition… Ce qui fait l’artiste, c’est cette capacité de rendre la musique à la fois évidente et surprenante, et cela dépend d’une conviction sincère dans ses choix. Alors, la pensée s’évade, on se laisse porter par quelque chose qui nous dépasse.
Quelles sont les règles d’or de l’apprentissage ?
La première est de commencer tôt, 5 ou 6 ans est l’idéal (même si l’enfant peut être sensibilisé à la musique plus tôt). La période bénie de l’apprentissage se situe entre 7 et 14 ans, à cet âge-là, tout doit être en place, mais j’ai connu des exceptions à la règle… En corollaire, il est urgentissime de remettre l’étude de la musique dans le programme de l’école primaire, pour déceler tôt les jeunes talents, pour édifier les nouveaux publics et, surtout, pour enrichir le développement de tous les enfants. La musique n’est pas qu’un art de divertissement, elle est un vecteur essentiel d’éducation.
Et du côté des futurs professionnels ? Et des grands virtuoses ?
Toujours associer l’intention musicale au mouvement ! En tant qu’élève de Del Pueyo, je suis moi-même héritier d’une lignée remontant jusqu’à Liszt, avec, au cœur de la réflexion pédagogique, les études de Marie Jaëll (1846-1925) qui, en faisant la synthèse de toutes les pédagogies de la fin du XIXe siècle, établit comment le mouvement peut être dominé par la pensée.
Quant aux virtuoses incroyables qui se présentent dans des concours comme celui de cette année, leurs parcours présentent tous des points communs. D’abord, ce don naturel qui fait que l’enfant a des facilités particulières, ensuite, le travail et même le travail acharné, puis la discipline qui aide à garder un équilibre entre le travail et le plaisir - très important -, et enfin la culture. Mais tout cela forme un entonnoir où, finalement, tout se résume à la qualité du mouvement, lui-même issu de la pensée du musicien. C’est quelque chose dans le corps, comme une voix.