Concours Reine Elisabeth: Tomoki Sakata, féerique, épique et dramatique
Le premier finaliste japonais livre une splendide interprétation du deuxième concerto de Brahms.
Publié le 25-05-2021 à 22h01 - Mis à jour le 27-05-2021 à 12h44
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La Reine Mathilde est à nouveau venue à Bozar ce mardi pour la deuxième soirée de finales du Concours Reine Elisabeth 2021. Smoking et nœud papillon décontractés, les cheveux tombant au bas de la nuque, Tomoki Sakata, 27 ans, entre en scène avec légèreté, les bras presque ballants. En demi-finale, on avait apprécié les talents de coloriste de ce natif de Nagoya qui, depuis plusieurs années, s’est formé en Allemagne. Ce n’est pas par hasard qu’il a choisi le second concerto de Brahms mais, avant, il y a l’imposé de Bruno Mantovani.
Coloriste, Sakata l’est à nouveau dès les premières mesures de D’un jardin féérique, mais peut-il en être autrement dans cette œuvre luxuriante ? Mais, au-delà des couleurs, le Japonais séduit par sa façon de fondre le piano dans l’orchestre, comme s’il était un des membres du pupitre des percussions. L’instant d’après, progressivement, il s’en émancipe pour la cadence interrogative qui survient un peu avant la moitié de l’œuvre. Plus loin, on aime la façon qu’il a de sortir d’un long trille pour le transformer peu à peu en arpège. Improvisateur hors pair, Sakata a le sens de la recherche, et sait donner le sentiment qu’il réinvente la musique.
Il en va des concertos de Brahms comme de ceux de Rachmaninov : à chaque fois qu’on les retrouve, on se dit qu’ils sont les plus beaux, les plus puissants et les plus bouleversants du répertoire. Et on se demande lequel des deux on préfère : chez l’Allemand, le premier ou le second, chez le Russe, le deuxième ou le troisième. Cette année au Reine Elisabeth, il y aura deux seconds de Brahms et deux troisièmes de Rachmaninov.
Bouillant, raffiné, grandiose
Dès que le piano reprend en écho le célèbre thème d’ouverture énoncé par le cor, on comprend qu’il va se passer quelque chose : Sakata impose sa présence et capte l’attention dès les premières mesures. D’emblée, son Allegro non troppo nous plonge dans un climat épique et tendu. Certaines montées sont à ce point déterminées qu’elles frisent la brutalité mais, l’instant d’après, le Nippon est capable du plus suave. L’art des couleurs est, ici encore, cultivé avec bonheur, mais il y a bien plus : on retrouve l’ampleur sonore, la maîtrise technique et la capacité narrative qui, à Flagey, nous avait valu une mémorable sonate de Liszt.
La suite sera du même tonneau : Allegro appassionato échevelé et bouillant, Andante tendre et raffiné (le dialogue avec le premier violoncelle est un vrai moment de musique de chambre), et Allegretto grazioso final grandiose et empreint de souffle. Certes, il y a des imperfections techniques sensibles, accrocs, réécritures ou sautes de tempo : ce sont celles que provoquent la fougue et la passion, que le mélomane excuse et oublie aussitôt mais que les Beckmesser du jury retiendront peut-être à l’heure du jugement dernier.
On aimerait quand même bien le voir sur le podium.