Concours Reine Elisabeth : Keigo Mukawa, sur le versant fantastique
Un imposé très personnel, un Prokofiev aux limites de la saturation.
Publié le 26-05-2021 à 22h22 - Mis à jour le 27-05-2021 à 21h44
Keigo Mukawa, 28 ans, est japonais et a suivi une formation complète à l’University of Art de Tokyo avant de se rendre à Paris où il a été admis au CNSM, dans la classe de Frank Braley (sous la direction duquel est s’est produit en demi-finale...) obtenant, dans la foulée, le deuxième prix du Concours Long-Thibaud. À Bruxelles, les deux premiers tours ont révélé un artiste puissant et inspiré, éclectique dans ses choix - Rameau y côtoyait Rachmaninov et Chostakovitch - et habité par une intense poésie.
Notons que pour la troisième soirée d’affilée, la reine Mathilde assistait au concert.
Avec ses jeu de couleurs et de timbre, D’un jardin féerique de Bruno Mantovani devrait se trouver dans le droit fil du tempérament du musicien qui s’y insère en soliste, dans des sonorités brillantes et percussives, soulignant ses interventions d’un ample geste chorégraphique déjà observé lors des tours précédents. Mais la suite, et surtout la première cadence et ses notes répétées lancinantes, seront l’occasion de déployer un vaste éventail de nuances et de créer progressivement un climat assez différent de ce qu’on a entendu jusqu’ici, plus fantastique que féerique, dense, infiniment subtil et vaguement menaçant, dans lequel il explore tous les registres de l’instrument, laissant l’auditeur quasi pris de court lorsque la musique se tait. On aime !
L’immense mélancolie qui se dégage des premières mesures du Concerto n°2 en sol mineur op. 16 de Serge Prokofiev et le premier crescendo qui y fait suite fondent le dramatisme implacable qui va animer tout le concerto. Keigo Mukawa s’y révélera magistral - malgré le regret qu’il n’ait pas fait entendre davantage la poésie et les nuances qui avaient illuminé son récital de demi-finale. Il n’empêche, le premier mouvement et son énorme cadence, permettent de découvrir un Mukawa impressionnant de puissance et d’autorité, parvenant, en plus, à dégager la structure du discours avec clarté et éloquence.
Incroyable scherzo : quelques minutes de fulgurant perpetuum mobile, sans le moindre répit, dans lesquelles le jeune Japonais semble très à l’aise mais où rien ne vient surprendre l’auditeur. L’intermezzo à la fois burlesque et lourdement scandé, laissera peu de place aux digressions ou à la fantaisie, renforçant l’impression qu’à l’exception du chant d’entrée, Keigo Mukawa est dans le combat ; et même l’arrivée du poignant chant populaire qui soutiendra la suite du développement ne changera pas la donne. On sait le concerto d’une difficulté inouïe, aux limites du réalisable en termes de virtuosité et d’endurance, mais il contient des moments de douceur et de lumière recouverts, dans le finale, par une puissance excessive délivrée trop tôt et trop fort - par l’orchestre comme par le soliste - pour que la grande montée finale puisse revêtir sa dimension paroxystique. Et cathartique.
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