Concours Reine Elisabeth : Sergei Redkin, le train fou en mode cosaque
Le deuxième finaliste russe a-t-il un train à prendre ? Sa précipitation lamine Mantovani puis Rachmaninov.
Publié le 27-05-2021 à 21h53 - Mis à jour le 27-05-2021 à 22h51
Toujours en présence de la Reine Mathilde, on retrouve Sergei Redkin, doyen de ces finales – 29 ans – et originaire de Krasnoïarsk. Avec ses cheveux blonds ondulés, ses fines lunettes à la Schubert et sa veste de velours noir, il a le chic négligé d’un poète du XIXe. Il avait séduit en demi-finale par un très beau concerto K. 453 de Mozart et un Debussy rempli de couleurs.
On en est loin ce soir. Dès les premières mesures de l’imposé, l’aiguille du compteur s’affole : jaillissement, rapidité, précipitation… On croyait que la partition était de nature à faire passer chaque pianiste pour un coloriste raffiné et accompli mais, à pareille allure, D’un jardin féérique sort plutôt délavé de la machine à jouer les notes. L’Orchestre National de Belgique est aussi forcé d’accélérer et, du coup, l’ensemble donne le sentiment d’un enregistrement que l’on ferait défiler en accéléré pour gagner du temps. Le candidat prend quand même le temps d’hésiter dans la première cadence mais, peu à peu, appuye à nouveau sur l’accélérateur pour terminer en mode virtuosité éblouissante. Record battu – l’imposé le plus rapide, quoique dans une proportion moindre que ce qu’on aurait pu croire – mais la musique n’en sort pas gagnante.
Avant son compatriote Dmitry Sin ce vendredi, Sergei Redkin est le premier des deux finalistes de cette année à avoir choisi le troisième concerto de son homonyme Rachmaninov. Le splendide ré mineur n’est certes « que » le deuxième le plus joué lors des finales du Concours (le site de référence de Jean-Marie Lambert pointe 26 exécutions pour 35 au Premier de Tchaïkovski), mais il grignote peu à peu son retard depuis que la fin de l’URSS a fait sortir Rachmaninov du purgatoire de l’histoire soviétique.
Ici aussi, l’œuvre débute à un tempo qui semble exagérément soutenu : l’approche est techniquement très sûre, mais la musique n’a pas le temps de respirer. La cadence laisse entrevoir un peu de souffle et de fraicheur mais, très vite, Redkin est repris par son démon de la vitesse. Il prend d’ailleurs à peine le temps de respirer entre les mouvements ! Il y a certes, en tout cas dans l’Intermezzo central, quelques rares moments d’apaisement où l’on peut prendre le temps admirer l’élégance des phrasés et l’ampleur de la sonorité mais, le plus souvent, l’option de tempo (volonté démonstrative ou simple stress ?) érode les détails de la partition au point de l’appauvrir.
L’Alla breve final tourne au massacre et à la débandade, avec des irrégularités de tempo et une fuite en avant telle que l’orchestre ne parvient plus à suivre et perd le contact. Sur scène, tout le monde trébuche, tandis que les bancs de la presse hésitent entre consternation et ennui. Le jury ne laisse, comme il se doit, rien paraître, mais n’en pense sans doute pas moins.
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