Concours Reine Elisabeth : Dmitry Sin adore la prise de risque
Mantovani fondu et poétique, Rachmaninov débordant d’idées
Publié le 28-05-2021 à 22h21
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Natif de Khabarovsk, en Russie orientale, Dmitry Sin est donc le troisième finaliste russe de cette session. Après une formation au Conservatoire de Moscou, il a poursuivi ses études à l’Ecole normale de Musique Alfred Cortot, à Paris, dans la classe de Rena Shereshevskaya (la magicienne). Lauréat de plusieurs concours internationaux, il bénéficie déjà d’une riche expérience de concerts, ses prestations à Bruxelles ont révélé un artiste inspiré, n’hésitant pas à sortir des sentiers battus dans ses choix de répertoire.
Il aura l’honneur, comme tous les finalistes jusqu’ici, de jouer en présence de la Reine Mathilde.
Sa lourde frange de cheveux noirs sur les yeux, toujours un peu nerveux ( remontant ses lunettes, nettoyant le clavier, ajustant le tabouret), il entre dans « D’un jardin féerique », de Bruno Mantovani en se fondant dans l’ensemble des percussions tout en s’en distinguant par les résonances d’un jeu clair, perlé, volubile, à la fois luciole et rossignol. Et l’on peut souligner que, de son côté, l’orchestre s’accorde avec finesse à ce parti. De telle sorte que, quelle que soit la nuance, et même dans les fortissimo - car le pianiste a de la réserve de puissance - orchestre et solistes contribuent à créer un univers propre et à y emmener l’auditeur.
Belle entrée, lointaine, nostalgique dans l'Allegro ma non tanto du 3e concerto op.30 de Rachmaninov, et regret que dans la reprise du thème, les cuivres aient immédiatement accéléré le tempo... Mais avec l’autorité (l’entêtement) qui le caractérise, Dmitry Sin, reprend le cours du mouvement à son rythme et dans le climat rêveur qu’il avait si bien instauré, manière pacifique de se donner les moyens d’imposer sa propre dynamique (c’était déjà le cas dans son concerto de Mozart...) quitte à bousculer l’orchestre. Et de fait, dans le premier grand climax du mouvement, la stratégie paie : sans saturer le son, le pianiste s’autorise des déploiements sonores extraordinaires, rendant, par contraste, les nuances piano ,et les silences tout aussi puissants et expressifs. Le tout dans une direction et une détermination proprement « dramatiques ». On l’a compris, ce musicien sait raconter aussi bien que peindre, et, évidemment, que chanter. Plutôt l’exception cette semaine. Son intermezzo - débutant sur un chant poignant, intérieur, comme improvisé - est irrésistible et les variations s’y succèdent comme autant de révélations, parfois fantasques, toujours interpellantes. La transition vers le finale - Alla breve - sera un peu criarde mais on comprend que Sin a choisi d’y faire régner une ambiance de défonce hallucinée, avec au centre un petit scherzo mi-tendre, mi-ironique, donné avec esprit, et, après un bref répit et le retour des thèmes des premiers mouvement, une fin échevelée, payée de pas mal de désordres mais, une fois, encore, personnelle et audacieuse.