Concours Reine Elisabeth : Une édition plus résiliente qu’enthousiasmante
La cuvée 2021 du Reine Elisabeth ne passera pas nécessairement à la postérité, mais elle a eu le mérite d’exister.
Publié le 30-05-2021 à 12h54 - Mis à jour le 31-05-2021 à 09h23
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Résilience ? Le mot à la mode s’applique sans doute parfaitement à l’édition 2021 du Concours Reine Elisabeth. Après une première annulation en 2020, les organisateurs ont voulu à tout prix éviter une deuxième année blanche et ont donc tout mis en œuvre pour organiser une session en dépit des incertitudes et de l’adversité de la crise sanitaire. Quitte à diviser par deux le nombre des demi-finalistes et finalistes, pour éviter les obligations de désinfection et les entractes où se seraient côtoyés des spectateurs qui, finalement, n’ont de toute façon pas pu venir du tout.
On peut saluer cette opiniâtreté, comme il faut rendre hommage à l’énergie de tous ceux qui ont rendu l’événement possible : les équipes du Concours, de Flagey et de Bozar, mais aussi celles de la RTBF et de la VRT grâce auxquelles le public a pu quand même suivre les épreuves, les musiciens des orchestres accompagnateurs et leurs chefs, le président et les membres du jury et la Reine même, qui a été présente plus souvent qu’à son tour. Mais on doit aussi et surtout saluer les candidats qui ont joué le jeu en jouant dans des conditions qui n’étaient nullement évidentes : car de la même façon qu’on parle de douzième homme au football, on a pu mesurer à quel point la présence d’un public attentif et soutenant est précieuse, et même sans doute essentielle, pour des musiciens, surtout dans les circonstances bien particulières d’une compétition.
Pour avoir eu la chance de pouvoir suivre dans la salle Henry Le Bœuf les six soirées de finale, on a pu remarquer comment, le plus souvent, les pianistes ont semblé manquer de cette énergie bien particulière que donne à toute personne se retrouvant sur une scène les regards, les oreilles, l’attention de ceux qui le regardent et l’écoutent. Jouer devant une salle vide, devant près de 2000 sièges vides, doit être encore plus désarçonnant et, finalement, épuisant, que de jouer devant une caméra qui envoie image et son à des spectateurs éloignés réduits à une liste de noms sur un ordinateur de streaming. Seuls Tomoki Sakata, dans un deuxième concerto de Brahms nettement plus passionné et aventureux que celui de Jonathan Fournel – mais entaché du coup de trop fréquents accrocs – et, dans un tout autre genre, Sergei Redkin, effaçant les subtilités de Rachmaninov dans un étalage ostentatoire de virtuosité technique brillamment assumée, ont semblé pouvoir transcender cette absence fondamentale du public. Quels que soient leurs mérites immenses, leurs quatre collègues ont, à l’un ou l’autre moment, semblé en recherche de ce retour, en manque de cet influx nerveux venu de la salle. On ne peut se départir du sentiment que Keigo Mukawa et Jonathan Fournel, mais aussi Vitaly Starikov et même peut-être Dmitry Sin, auraient joué différemment devant une salle pleine. Différemment et, pour le dire franchement, mieux - même s’il est évident que tous les finalistes d’un tel concours sont déjà à un niveau extrêmement élevé.
Et si c’était à refaire ? Et si, demain, d’autres pandémies, d’autres crises mettaient le Concours face à de semblables problèmes ? Ou si, tout simplement, cette édition 2021 était l’occasion de réfléchir sur le « monde d’après » qui ne peut plus être comme le « monde d’avant ». Ici, la réponse peut être nuancée.
Il y a des choses que l’on a vues cette année et que l’on pourrait conserver. Le jury qui sort de sa réserve marmoréenne et applaudit les candidats, ou les finalistes autorisés à revenir saluer une deuxième fois ? Oui, bien sûr. Mais quid de ces finales avec six finalistes plutôt que douze ? Certes, côté positif, on pourra dire que les soirées sont moins longues pour le jury et les spectateurs, mais l’argument semble un peu faible. Côté négatif on l’a vu : avec six finalistes seulement, on pourrait être tenté de ne pas attribuer de premier prix chaque année. Mais si d’aventure le Concours veut persister malgré tout dans cette voie, l’amateur de musique pure aura un souhait : qu’on remette au programme des finales, en plus de l’imposé et du concerto, une sonate. Comme c’était encore le cas jusqu’il y a quelques années.