Akhtamar, un quartet pour panser les blessures de l’Arménie
Le quatuor basé à Bruxelles donnera quinze concerts gratuits dans le pays endeuillé par la guerre.
- Publié le 03-06-2021 à 18h12
- Mis à jour le 04-06-2021 à 11h03
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Le conflit entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan pour la domination territoriale de la zone frontalière du Haut-Karabakh empoisonne le Caucase depuis plus de trente ans. La communauté internationale avait presque fini par l’oublier. Mais, le 27 septembre 2020, un affrontement armé entre les deux anciennes républiques soviétiques, initié par l’Azerbaïdjan, donna lieu à une guerre éclair de six semaines, permettant à ce dernier de reprendre brutalement le contrôle de la zone. Bilan des opérations : 6 000 morts des deux côtés, des centaines de prisonniers, et un traumatisme national côté arménien, contraint de concéder sa défaite.
"Nous ne sommes pas là pour prendre parti, nous lance d’emblée la violoniste Coline Alecian, "encore moins pour faire de la politique. Notre projet s’inscrit dans ce contexte, mais vise, avant tout, à offrir de la musique à une population endeuillée."
Ce jeudi 3 juin, Coline Alecian et les trois autres musiciens qui composent le quatuor Akhtamar se sont envolés pour Erevan. Deux semaines durant, ils tourneront dans la totalité du pays pour y donner, gratuitement, une quinzaine de concerts en soutien à la population locale. "Nous ne jouerons pas directement dans le Haut-Karabakh", poursuit la musicienne française d’origine arménienne, basée à Bruxelles.
"La zone est beaucoup trop dangereuse, les tensions restent vives, notre sécurité n’y est pas assurée. Mais l’Arménie est un petit pays, toutes les familles ont directement ou indirectement été impactées par le conflit. Tous les hommes de plus de 17 ans sont partis au front." Financé par le mécénat et les donations, le quartet se produira dans l’une ou l’autre salle de concerts, mais surtout des écoles, des hôpitaux, un centre de réhabilitation pour soldats.
Aux concerts "classiques" s’ajouteront des spectacles pour enfants. "Il y a des situations où les mots ne servent à rien, mais où la musique peut véhiculer énormément d’émotions", insiste Coline Alecian. "La musique classique est très importante dans la culture arménienne. Le conservatoire de Yerevan est d’un très haut niveau, et même lorsque nous allions dans de petits villages ou des maisons très pauvres, lors de nos précédentes tournées, il y avait systématiquement des instruments de musique. C’est un peu comme en Russie : il y a toujours un certain niveau de musique classique, peu importe le niveau de vie."
Le conflit avec l’Azerbaïdjan dans le Haut-Karabakh a-t-il détruit les infrastructures arméniennes ? "Non", répond le violoncelliste Cyril Simon. "Mais les salles de concert sont accessibles pour la frange de la population qui a encore de l’argent. Or, notre fixeur sur place nous a encore rappelé à quel point la situation économique était catastrophique. Le pays est ruiné. La base de ‘Musique pour l’Arménie’ , c’est la gratuité. On veut ouvrir l’accès à la musique à tout le monde."
Le programme, lui, n’a pas encore été arrêté pour chaque date, mais alliera classiques arméniens et européens. "Je suis arménienne par mon père", ajoute Coline Alecian. "Mon grand-père était violoncelliste, et a notamment enregistré des Miniatures de Komitas. Très peu connues mais magnifiques et extrêmement variées au niveau des émotions, ces Miniatures sont devenues la signature de notre quartet. Nous en jouerons, car ce sont des thèmes que les Arméniens connaissent par cœur. Mais nous partons aussi avec le quatuor de Debussy et le premier quatuor de Brahms, très chargé en émotions, tourmenté, magnifique."
Un vidéaste suivra la formation sur place et réalisera de petites capsules vidéo diffusées en ligne tout au long du séjour, pour "montrer ce qui se passe sur place sans faire de la politique, précise la violoniste Jennifer Pio, montrer que la musique peut apporter quelque chose, même dans les situations compliquées. C’est une façon de partager notre humanité, nos émotions, peut-être guérir quelques blessures sans pour autant faire des miracles".
Valentin Dauchot