Le Falstaff dionysien de Barrie Kosky

A Aix-en-Provence, l’ultime opéra de Verdi magnifié par une réalisation théâtrale brillante d’un tout grand nom de la scène lyrique.

Nicolas Blanmont
Falstaff (Christopher Purves) aux fourneaux.
Falstaff (Christopher Purves) aux fourneaux. ©Monika Rittershaus

C’est à Barrie Kosky que le festival d’Aix a confié l’ultime chef-d’œuvre de Verdi cet été, et on en sort avec un tel sourire qu’on se dit une fois encore qu’il est ainsi de tout grands noms de la mise en scène lyrique (l’Australien en est un, l’Allemand Claus Guth en est un autre) qu’on aimerait voir invités à travailler dans notre pays plutôt que d’y retrouver toujours les mêmes univers scéniques…

Directeur de la Komische Oper de Berlin, invité dans tous les grands festivals et sur les scènes européennes les plus importantes, Kosky est parfois raccroché au courant du Regietheater allemand. À tort, car il n’a rien d’un provocateur gratuit : ses options peuvent être surprenantes, voire radicales, mais elles cherchent toujours une vérité de l’œuvre. Loin d’être un gros obèse suant et un peu répugnant, son Falstaff est un épicurien, un gourmet et gourmand qu’il veut rendre sympathique. Un personnage dionysien, inscrit dans une tradition qui va du théâtre gréco-romain jusqu’à Rabelais ou Boccace : ni agressif et pressant comme le Baron Ochs du Chevalier à la rose, ni manipulateur comme Don Giovanni, ni gros nounours ni encore moins Harvey Weinstein, ajoute Kosky : “La boisson, la nourriture et le sexe sont au fondement de l’opéra, c’est ce que Falstaff souhaite faire l’essentiel de son temps.”

Surprenantes, voire radicales, les options de Kosky cherchent toujours une vérité de l’œuvre.

Au lever de rideau, on le découvre en marcel, tablier de cuisine et les fesses à l’air, flambant amoureusement quelque viande dans une cuisine abondamment garnie. Entre les scènes, les précipités sont d’ailleurs accompagnés de lectures sensuelles de recettes sorties d’un traité d’Escoffier. Le baryton Christopher Purves prête à Sir John ses grands talents de comédien : il n’est pas particulièrement ventripotent, et développera tout au long de la soirée ses talents de séducteur à coups de perruques, tenues de couleur ou danses déhanchées. Il manque juste à sa voix le grave que l’on attend d’habitude du personnage.

Mais le génie de Kosky est aussi dans sa capacité à individualiser chacun des autres rôles, qu’il s’agisse des quatre joyeuses commères de Windsor ou des cinq hommes qui gravitent alentour. La coiffure, le vêtement, la posture, mais aussi les différences de taille ou de corpulence, tout est utilisé pour donner une substance et une personnalité à chacun. Les gestes et les déplacements ne se font jamais au hasard, et nombre d’instants – comme celui où tous les personnages s’agglutinent sur un canapé vert qui est le seul meuble sur scène – sont des moments de comique pur. Les décors et costumes joyeusement délirants de Katrin Lea Tag contribuent aussi à la réussite du spectacle, même si ce prisme façon Marx Brothers conduit à priver le spectateur du chêne du troisième acte et d’une bonne part de la dimension magique de cette scène finale.

Dirigeant son Orchestre de l’Opéra de Lyon, Daniele Rustioni réussit à insuffler dans la fosse une verve et une légèreté qui n’ont rien à envier à celles qui règnent sur le plateau. Dans le rôle de Ford, Stéphane Degout vole presque la vedette à Falstaff, le reste du plateau (et particulièrement la Nannetta de Giulia Semenzato, la Mrs Quickly de Daniela Barcellona, la Meg Page d’Antoinette Dennefeld et le Fenton de Joan Francisco Gatell) étant également digne d’éloges.


Diffusion sur Musiq3 le 24 juillet à 20h. Daniele Rustioni dirigera “I due Foscari” de Verdi le 16 juillet, et “Le coq d’or” de Rimski-Korsakov mis en scène par Barrie Kosky sera à voir les 22, 24 et 25 juillet ; www.festival-aix.com

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