Prince dévoile son Amérique
"Welcome 2 America" est le premier véritable album posthume du Kid de Minneapolis. Et c’est une réussite.
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- Publié le 29-07-2021 à 18h14
- Mis à jour le 30-07-2021 à 11h30
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Bienvenue en Amérique/Où tu peux échouer dans ton job/te faire virer/réembaucher/et empocher un ‘pourboire’ de 700 milliards de dollars." C’est par ces mots que débute le premier authentique album posthume de Prince, Welcome 2 America, dévoilé le 30 juillet.
Le premier parce qu’il est exclusivement composé de titres inédits - 12 - là où les sorties précédentes (voir ci-dessous) proposaient des versions inédites de titres déjà connus, parfois agrémentées de quelques nouveautés.
Dès les premiers instants, le ton est donné. Plage d’ouverture, Welcome 2 America, funk lancinant et sans fioritures, n’est pas sans rappeler sous certains aspects Sign o’ the Times.
Il n’est certes pas de la même trempe que ce sommet de 1987, mais il y a cousinage. En particulier dans le propos engagé.
On y croise Google, les réseaux sociaux, le culte de la célébrité, des iPhone et des iPad, etc. Prince porte un regard sur la société américaine à l’heure des divisions et de la désinformation. En somme, il dresse son état de l’Union.
Et la suite est à l’avenant. D’où cette question : pourquoi diable ce disque mis en boîte en 2010 est-il resté dans le coffre-fort de Paisley Park, sa résidence-studio d’enregistrement désormais transformée en musée ? Mystère. Parce que cette année-là, on ne peut pas dire que le Kid de Minneapolis ait été des plus inspirés. Le très décevant 20TEN, distribué gratuitement à l’achat de certains titres de la presse écrite, n’a pas convaincu grand monde. On a beau retourner la question dans tous les sens, la réponse nous échappe.
Un album prophétique
Heureusement, onze ans après leur enregistrement, les douze morceaux qui composent Welcome 2 America ne semblent ne pas avoir pris une ride. Mieux, ils apparaissent parfaitement en phase avec notre époque. Prince se montre prophétique sur ce disque. Étonnamment prophétique. La vision de l’Amérique qu’il propose est plus que jamais d’actualité. Lui qui n’a pas manqué de traiter des questions raciales tout au long de sa carrière, se montre d’une pertinence à laquelle il ne nous avait plus habitués depuis un bon bout de temps avec "Running Game (Son of a Slave Master)". La chanson prend une dimension particulière au regard de ce qui s’est passé l’an dernier avec la mort de George Floyd, tué par la police à Minneapolis, la ville du Purple One ! Étrange hasard ? Elle cloue aussi au pilori, une fois de plus, cette industrie musicale essentiellement aux mains des Blancs. Celle-là même qui avait contraint Prince à renoncer à son nom de scène pour s’afficher avec le mot slave (esclave) peinturluré sur le visage ou se faire appeler Love Symbol ou The Artist Formerly Known as Prince. Tout cela conduit directement au titre qui clôt cet album inédit, le sautillant et absolument irrésistible "One Day We Will All B Free".
Comment ne pas succomber aussi aux charmes de "1000 Light Years From Here" avec ses cordes du plus bel effet et ses accents soul ? Dans cette même veine soul, "Born 2 Die" n’a pas à rougir. Pour peu, on le croit tout droit venu des seventies. On peut en dire tout autant de "Yes", autre moment captivant de ce disque.
Sur "Same Page, Different Book", Prince traite des conflits religieux. Là aussi, le temps semble s’être arrêté entre l’enregistrement du morceau en 2010 et sa publication aujourd’hui. Ne ramène-t-il pas à la présidence de Donald Trump ?
Le meilleur depuis 20 ans
Tout n’est pas parfait sur cet album mais son cocktail de funk et de soul mâtiné d’accents jazz fait renaître le Prince qu’on a tant adoré. Celui qui fait sien n’importe quel genre musical. Celui qui affiche aussi ses engagements sociaux et politiques. Tout juste regrette-t-on un peu la présence de la reprise de "Soul Asylum Stand Up and B Strong" qui vient quelque peu couper la dynamique insufflée depuis les premières mesures. Dans le genre, on lui préfère très nettement la ballade qui suit, "When She Comes".
À l’écoute de Welcome 2 America, on peine à croire que Prince a pu considérer ces 12 titres comme n’étant pas dignes d’être commercialisés. On ne saura jamais ce qu’il en est. Il s’en est allé le 21 avril 2016, emportant avec lui ses secrets. Qu’importe, le constat est là, il livre son meilleur opus depuis l’aube du nouveau millénaire.
Vu la qualité de ce premier véritable album posthume, on se met à rêver de ce qui nous attend dans les années à venir. Car le coffre-fort de Paisley Park était réputé contenir quelque 8 000 titres. Soit des années de nouveautés ! Les fans le savent, s’y trouvent toujours quelques joyaux. Dont Camille, cet album enregistré en 1986 et finalement non commercialisé. Certains des morceaux qui devaient y figurer se sont retrouvés sur le monument Sign o’ the Times l’année suivante. Comment ne pas espérer qu’un jour les ayants droit de Prince proposent la version originale de ce projet que Roger Nelson voulait comme le pendant féminin de son Prince. Ou Roadhouse Garden, autre projet resté inédit à ce jour et célébrant les retrouvailles avec The Revolution en 1998-1999.
Pour les inconditionnels de Prince, précisons qu’une version "de luxe" de Welcome 2 America est également disponible. Aux 12 titres de l’album s’ajoute un enregistrement live capté le 28 avril 2011 au Forum d’Inglewood, en Californie, pendant le Welcome 2 America Tour. Soit 23 titres. "Purple Rain", "Little Red Corvette", "Kiss" sont de la partie, bien entourés par 12 reprises ! "What Have You Done For Me Lately" de Janet Jackson, "Make You Feel My Love" de Bob Dylan, "Inglewood Swinging" de Kool & the Gang (titre original : "Hollywood Swinging") et "More Than This" de Roxy Music ont droit aux honneurs, de même que trois compositions où Prince se reprend lui-même : "The Bird" et "Jungle Love" popularisés par The Time. Et "A Love Bizarre", initialement interprété par l’incontournable Sheila E.
C’est la cerise sur le gâteau.
A écouter
Deliverance (2017) Avril 2017, la justice américaine a interdit la première sortie de musique de Prince post mortem. Il s’agissait d’un EP de 6 titres intitulé Deliverance. L’ingénieur du son Ian Boxill s’était permis de reprendre des travaux réalisés entre 2006 et 2008 avec le Purple One. Mal lui en a pris puisqu’il avait signé un accord en vertu duquel toute la musique produite à cette occasion restait la propriété de Prince. C’est dommage parce que le titre "Deliverance" est une tuerie. Peut-être qu’en regardant sous le manteau…
Originals (2019)
Généreux, Prince l’a été. En concert bien entendu mais aussi pour ceux qu’il entendait prendre sous son aile. Après les succès des albums Purple Rain (1984) et Sign o’ the Times (1987), il a confié de nombreuses chansons à d’autres artistes : Sheila E., Apolonia 6, Vanity 6, The Family, Jill Jones, etc. Originals regroupe 15 de ces titres tels que le chanteur les a maquettés pour leurs interprètes. Dont l’incomparable “'Nothing Compare 2 U” popularisé par Sinéad O’Connor. Ces démos ont tout du travail d’orfèvre !
Piano & A Microphone (2018)
Piano & A Microphone, c’est le nom de la dernière tournée de Prince lors de laquelle il a donné son ultime concert, une semaine avant sa mort. C’était l’artiste, seul, face à un piano et un micro. Le contenu du disque posthume du même titre n’a rien à voir avec la tournée si ce n’est que Prince fait face à un piano et un micro. Il s’agit, en réalité, d’un enregistrement fait dans un home studio en 1983. Les titres ne sont pas inédits mais les versions le sont. Il y a notamment l’ébauche de “Purple Rain”. Une plongée jouissive dans l’intimité du génie.