Le Gaume Jazz Festival dans toute sa splendeur

Avec ses révélations et confirmations, contre vents et marées, l’édition 2021 du festival gaumais est une grande réussite, notamment grâce à des personnalités solaires comme Éric Legnini en trio, Fabrizio Cassol et Aka Moon, ou Ana Carla Maza, qui bouscule le violoncelle.

Trio d'Éric Legnini, piano, avec Thomas Bramerie, contrebasse et Rocky Gresset, guitare
Trio d'Éric Legnini, piano, avec Thomas Bramerie, contrebasse et Rocky Gresset, guitare ©Christian Deblanc

Revoilà le Gaume Jazz Festival, ses grands moments, ses découvertes, ses surprises. Passé au travers des aléas sanitaires et météorologiques, le millésime 2021, trente-septième édition, s’impose comme un vrai succès.

Durant trois jours, le Centre culturel de Rossignol, aux confins de la province de Luxembourg, a vécu son lot d’émotions et, après une absence ressentie comme si longue par beaucoup, fut le lieu de retrouvailles. Ainsi en va-t-il de Fabrizio Cassol, saxophoniste, et d’Éric Legnini, pianiste, qui se jettent dans les bras l’un de l’autre samedi soir, rayonnants du bonheur de se croiser à nouveau.

Depuis le début

Avec Trio Bravo, Fabrizio était ici même lors de la première édition du Gaume Jazz, rappelle son fondateur-directeur, Jean-Pierre Bissot. Éric l’a suivi de peu, pour la troisième édition. Plus de trente ans plus tard, l’un comme l’autre ont illuminé le festival gaumais.

Éric Legnini était là avec un trio à cordes comme en ont eu Oscar Peterson, dont il est grand fan, Nat “King” Cole, mais aussi Ray Charles à ses débuts. Il réunit un vieux compagnon de route, le contrebassiste Thomas Bramerie et le guitariste Rocky Gresset, rencontré chez Thomas Dutronc.

Pour ce concert, le trio reprend des thèmes de l’album Six Strings Under, sorti en 2019. Certains originaux donnent le ton, comme “The Jive”, en hommage à Peterson justement, ou “La Magueira”, école de samba parrainée un temps par Antonio Carlos Jobim : jazz soul et lyrique à souhait.

Autour de minuit

La mise en place du trio est d’une précision millimétrique, Bramerie soutenant l’édifice, Gresset et Legnini s’offrant de belles escapades. D’origine manouche, Rocky Gresset, l’homme aux doigts d’or, se fend même de quelques “pompes” lors de la reprise du standard “Stompin’at the Savoy”, avant qu’Éric Legnini ne clôture le set avec un magnifique “’Round Midnight”.

Éric Legnini au piano
Éric Legnini au piano ©Christian Deblanc

Le projet Opus 111 d’Aka Moon est d’un tout autre genre, puisqu’inspiré par la sonate pour piano numéro 32 en ut mineur de Ludwig van. Au trio de base – Fabrizio Cassol, sax alto ; Michel Hatzigeorgiou, basse électrique ; Stéphane Galland, batterie – viennent s’ajouter le pianiste Fabian Fiorini, qui fait un peu partie des meubles, ainsi que le chanteur congolais (Brazza) Fredy Massamba et l’accordéoniste portugais João Barradas.

Dans leur genre, ces six musiciens sont phénoménaux, engageant des dialogues échevelés, glissant vers l’afro-beat, rivalisant avec les plus grands interprètes des sonates de Beethoven…

Lyrisme échevelé

Surtout, on n’a jamais entendu un Fabrizio Cassol, compositeur d’Opus 111, aussi lyrique et libéré au sax alto, un vrai bonheur. Depuis des mois, il retravaille complètement son instrument, nous confie-t-il, détaillant l’octave non pas en douze mais en vingt-quatre intervalles, ceci expliquant cela.

Qui aurait cru qu’un jour, un accordéoniste trouverait sa place dans le volcan des Grands lacs qu’est Aka Moon ? Cette perpétuelle quête, cet incessant renouvellement garantissent au trio sa longévité. Dans le même temps, João Barradas est de ceux qui bousculent leur instrument. Le dégageant des influences anciennes, parfois pesantes, le Portugais projette l’accordéon vers l’avant, lui assurant ainsi un avenir.

Un festival d'accordéon

On n’a d’ailleurs rarement vu autant de pianos à bretelles en si peu de temps. Il y eut celui de Stan Maris, un peu effacé au sein du quintette du saxophoniste Mathieu Robert, projet intéressant qui doit encore s’épanouir. Et puis celui de Vincent Peirani, fabuleux et subtil virtuose, en duo avec le nom moins talentueux saxophoniste Emile Parisien (originaire de Cahors, contre toute attente…).

Accordéa, cordéa, cordéon toujours, en solo cette fois, par le maître qu'est Tuur Florizoone. De cet instrument, il extirpe des sons inouïs, lui donnant une dimension d'orgue - ça tombe bien, dans l'église - ou le ramenant au souffle primal, l'utilisant encore comme percussion. Flirtant souvent avec le silence, il tient le public en haleine. Entre ses mains, agissant parfois de manière un peu mystique comme s'il s'agissait d'Ondes Martenot, l'instrument vibre de toute part, soupire, redevient musette le temps d'un instant. Quel bonheur, aussi, d'entendre cet instrument au naturel, sans amplification, complètement renouvelé, s'épanouissant dans la nef de la petite église. Au rappel, Tuur Florizoone revient avec un petit accordéon rouge pour une relecture festive de "Je me suis fais tout petit", le classique de Georges Brassens.

En matière de duo, il y eut celui de Sunna Gunnlaugs et de Julia Hülsmann. Pianistes réunies par l’amour de Bill Evans et, forcément de Keith Jarrett, elles luttèrent un temps contre le bruit du déluge s’abattant sur Rossignol, avant de faire revenir le soleil.

Quant au coup de cœur de cette toute belle édition du festival gaumais, il va à Ana Carla Maza qui, seule dans l’église du village, dégage elle aussi son instrument – le beau violoncelle – de ses vieux carcans. D’une technique et d’une gestuelle très personnelles, la jeune Cubaine, lumineuse et charismatique, chante aussi d’une voix critalline et passionnée. Un de ces moments comme il n’y en a qu’au Gaume Jazz Festival.

Ana Carla Maza, violoncelle et chant dans l'église du village de Rossignol
Ana Carla Maza, violoncelle et chant dans l'église du village de Rossignol ©Christian Deblanc
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