L’autre Queen Elizabeth, façon "The Crown"
Livermore signe une géniale mise en scène du premier Rossini napolitain.
- Publié le 10-08-2021 à 17h28
- Mis à jour le 11-08-2021 à 14h11
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The Crown, saison 1 ? Un prequel ? Si vous avez aimé la jeunesse d'Elizabeth II, voici, quatre siècles plus tôt sur le trône d'Angleterre, Elizabeth I : aux prises avec les Écossais, manipulée par l'infâme Norfolk, secrètement amoureuse du duc de Leicester, lui-même tout aussi secrètement marié à Matilde, fille de l'ennemie Mary Stuart. Mise en musique par différents compositeurs : Donizetti, Britten plus récemment ou, en 1815, Rossini. Son Elisabetta, Regina d'Inghilterra lui ouvrit les portes de Naples avec un tel succès qu'il réutilisa l'ouverture (déjà récupérée d'Aureliano in Palmira deux ans plus tôt à Milan !) pour son Barbiere di Siviglia l'année suivante à Rome.
Le coup de génie de Davide Livermore, c'est d'avoir transposé l'action du premier règne élisabéthain au second. Et même, plus précisément, à la jeune Elizabeth II, celle des années 1950, ou en tout cas à sa représentation dans la célèbre série de Netflix. Images vidéo de la bataille d'Angleterre (les Écossais apprécieront !), Leicester débarqué de son Spitfire, uniformes, fracs et robes sorties des pages glacées de Vogue, quatre soubrettes en tabliers de dentelle (une pantomime qui vaut à elle seule le détour), trois majordomes en gants blancs, un garde royal avec son chapeau en poil d'ours, TSF d'époque (l'air d'ouverture devient discours radiodiffusé), téléphone en bakélite (un récitatif à deux se fait conversation en ligne), c'est une invention constante. Livermore, déjà auteur de quelques-uns des plus beaux spectacles à Pesaro ces dernières années, cumule une pertinence théâtrale constante et une vision esthétique élégante et raffinée.
Décors stupéfiants
C’est qu’à une direction d’acteurs au cordeau s’ajoutent ici des décors stupéfiants mêlant éléments réels et perspectives vidéo, fruit de la collaboration entre un groupe d’architectes/décorateurs (Gio Forma), des designers vidéo (D-wok) et les lumières splendides du Suisse Nicolas Bovey. Dans ce Buckingham improbable, on admire bouche bée les transformations constantes de l’espace scénique, le classicisme extrême qui confine à la science-fiction ou l’irruption d’une colline verte sur laquelle apparaît un déferlement de fleurs.
Et comme, sous la baguette experte d’Evelino Pido, la musique est à la hauteur de la forme, on est aux anges. Il y a d’abord Karine Deshayes, fabuleuse Elizabeth, timbre soyeux, technique éprouvée et capable des nuances les plus raffinées. Autour d’elle, la Matilde de Salome Jicia, le Leicester de Sergey Romanovsky ou l’Enrico de Marta Pluda sont également dignes d’éloges. Même le Norfolk du vétéran Barry Banks garde une tenue et une intonation impressionnantes, même si le timbre s’approche de celui d’un ténor de caractère. Les mélomanes belges se souviendront peut-être que ce chanteur anglais fit les beaux jours de la Monnaie dans les années 1990, avant de porter la cause de la sécurité sociale des artistes transnationaux devant la Cour de justice de l’Union européenne…
Pesaro, Vitrifrigo Arena, les 11, 14, 17 et 21 août ; www.rossinioperafestival.it