Don Giovanni, en blanc et à l’église
Currentzis et Castellucci signent une version touffue mais parfois confuse du chef-d’œuvre mozartien.
- Publié le 11-08-2021 à 20h43
- Mis à jour le 12-08-2021 à 13h34
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Une page entière ne suffirait pas à citer tout ce qui peut surprendre dans le nouveau Don Giovanni de Salzbourg. Dans la fosse, mais aussi et surtout sur la scène. Surprendre toujours, choquer parfois, et sans nécessairement faire sens. Telle est sans doute la fonction première de cette production, confiée à deux perturbateurs patentés : Teodor Currentzis à la direction musicale, Romeo Castellucci à la mise en scène. Eux seuls sans doute pouvaient à ce point revisiter le mythe en terre mozartienne, dans le temple du festival et devant un public que son pouvoir d'achat (les meilleures places sont à 445 €) prédestinerait plutôt au conservatisme.
On a pris l’habitude des opéras de Mozart sur instruments anciens même si, à Salzbourg, il n’est pas facile de contester le monopole du Philharmonique de Vienne. L’ensemble Musicaeterna ne déçoit pas, ni surtout la direction musicale qui offre éclats, accentuations, improvisations, ajouts de passages d’autres œuvres… Mais les contrastes ne font pas tout : quelques moments manquent de tension dramatique, et les tempi - parfois très accélérés et parfois très ralentis - semblent arbitraires. Exception faite du formidable Michael Spyres, Don Ottavio d’anthologie qui résiste vaillamment aux costumes de plus en plus ridicules qu’on lui fait porter (et aux caniches qu’il doit promener), la distribution est assez moyenne, au regard de ce qu’on peut attendre à Salzbourg : Don Giovanni (Davide Luciano), Leporello (Vito Priante) et Donna Elvira (Federica Lombardi) sont italiens, Donna Anna (Nadezhda Pavlova) est russe, Zerlina (Anna Lucia Richter, pas toujours juste) allemande et le Commandeur (Mika Kares) finlandais. Ils font bien le job, point à la ligne.
Avant même que Leporello ait commencé à se lamenter de son sort ("Notte e giorno faticar"), les 2 000 spectateurs bien serrés du grand Festspielhaus auront découvert une église néoclassique aux murs blancs, vidée en quelques minutes de ses meubles, tableaux et statues par une équipe d'ouvriers (en blanc eux aussi) tandis qu'on entend à l'extérieur les bruits d'une ville (l'orchestre n'a pas encore commencé à jouer) puis, pendant l'ouverture, une chèvre qui traverse l'espace ainsi vidé, suivi d'une femme nue, Don Giovanni tout de blanc vêtu qui porte un marteau (la faucille, ce sera pour Masetto), Leporello, comme un frère jumeau, qui traîne un vieux matelas sur lequel mourra le Commandeur, sans oublier - le détail a son importance - une voiture (une vraie, une berline, toute moderne) qui tombe des cintres, suivie de peu par une demi-douzaine de ballons de basket qui rebondissent à l'envi. Il tombera aussi d'autres objets : un fauteuil roulant, des pianos à queue, et encore des ballons de basket (leur chute et leur rebond semblent indiquer un coup du destin). Un panier sera d'ailleurs accroché là où, avant que l'église soit déconsacrée, trônait la grande croix surplombant le maître-autel. C'est esthétiquement beau, hormis l'épisode déchetterie qui conclut le premier acte.
Cent cinquante figurantes
Exception faite de Donna Anna, voiles noirs et allure de furie, tous les personnages sont vêtus de blanc. Si cette accumulation de teintes laiteuses rappelle le premier acte de La Flûte enchantée du même Castellucci à la Monnaie, la présence de cent cinquante figurantes sur scène au deuxième acte évoque plutôt son Parsifal bruxellois. Mais on peut aussi penser que cette affluence de femmes de toutes apparences, de tous âges et de toutes conditions sociales, porteuses de dignité et même de poésie, est une façon, basique mais efficace, de restituer à la femme un certain primat face aux exactions du libertin.
Ainsi donc, le mythe serait revisité ? De nouvelles idées, de nouvelles images, de nouveaux équilibres sonores. Trop hétéroclite pour nous apprendre quelque chose de nouveau sur l’œuvre, mais le bourgeois a, assurément, été épaté. Il peut terminer la soirée entre huées et vivats.
>>> Salzbourg, Festspielhaus, le 20 août ; www.salzburgerfestspiele.at . Diffusion sur RTBF Musiq3 le 21 août à 20 h.