Jazz Middelheim: Youn Sun Nah, un ange passe…
La chanteuse coréenne Youn Sun Nah a totalement ravi le public anversois du Jazz Middelheim.
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- Publié le 16-08-2021 à 17h29
- Mis à jour le 16-08-2021 à 19h24
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Après être passée par les plus grands festivals européens - Vienne (dans l’Isère), Marciac (Gers) -, elle est l’une des têtes d’affiche de Jazz Middelheim, qui lui a fait un triomphe dimanche soir. Partout, le public est acquis d’avance. Quel chemin parcouru depuis le début des années 2000 ! Une dizaine d’albums, très variés mais toujours aussi personnels par l’approche, une reconnaissance internationale, notamment en France et en Allemagne, et même dans sa Corée natale où, pourtant, le jazz n’est pas vraiment populaire.
Ce jazz, dont Youn Sun Nah repousse sans cesse les frontières, elle y est arrivée par le plus absolu des hasards : "À part l'entendre parfois à la radio ou dans les cafés, le jazz, je ne savais pas ce que c'était, sourit-elle. J'ai demandé à un ami musicien comment faire pour bien chanter, et il m'a dit d'apprendre le jazz. Si tu apprends le jazz, m'a-t-il dit, tu pourras tout chanter, car il est à l'origine de la musique populaire."
Le déclic Balzac
"D'ailleurs, si je savais ce qu'était le jazz, je serais allée aux États-Unis pour étudier", dit-elle en riant. Or, en 1995, c'est le chemin de la France, de Paris et sa région (l'Oise) qu'a pris la jeune Coréenne avide d'apprendre. Durant ses études de lettres à l'université privée Konkuk, dont elle sort diplômée en 1991, Youn Sun Nah lisait Balzac, en coréen à cette époque-là. Depuis, elle lit tous les grands auteurs français dans le texte.
La chanson a aussi eu, sur elle, un grand pouvoir d'attraction : "Quand il y avait une chanson française à la radio, je m'arrêtais, et je me tournais vers le poste, parce que c'étaient des sonorités très différentes et une histoire d'émotion." On comprend, dès lors, que l'un de ses chanteurs préférés soit Brel, Jacques Brel : "Je me rappelle quand j'ai compris 'Les Vieux amants', j'ai pleuré énormément. Déjà sans comprendre, c'était très émouvant." Elle qui dit avoir écouté "cent mille fois" "Ne me quitte pas" avant de reprendre la chanson, et estime ce genre d'exercice "très difficile. Même si les paroles sont assez universelles, quand on ne les a pas vécues, cela sonne vite faux".
Paris et pas New York
En attendant, c'est donc à Paris, et non à New York, que la jeune chanteuse se rend à l'automne 1995 pour apprendre la musique. Elle s'inscrit à l'Institut national de musique de Beauvais. "En fait, je pensais que j'allais avoir des cours vingt heures par jour, mais il n'y avait que quelques heures, et le reste du temps pour jouer. La musique, ça s'apprend en jouant. À l'époque, je m'étais donné trois ans pour finir le jazz et rentrer. J'étais naïve et stupide, la musique, ça s'apprend toute la vie."
La deuxième année, Youn Sun Nah décide de passer à la vitesse supérieure et s'inscrit dans quatre écoles différentes, notamment au CIM, Centre d'information musicale, école de jazz et musiques actuelles, ainsi qu'au Conservatoire Nadia et Lili Boulanger : chant classique, polyphonie, etc. Même si le jazz est à la base de sa motivation, la jeune Coréenne est d'une curiosité infinie, qui l'amène à un répertoire d'un éclectisme étonnant, comme en témoigne l'album Immersion (ACT, 2019). Dans celui-ci, elle interprète aussi bien Georges Harrison, Leonard Cohen, Michel Legrand avec Agnès Varda ("Sans toi"), ou Marvin Gaye, toutes des chansons qu'elle fait siennes.
La mystique intemporelle de Rûmî
Mais le plus étonnant est l'ouverture de l'album, In my Heart, composée par elle sur un texte de Djalâl ad-Dîn Rûmî, ou pour faire simple Rûmî, poète mystique persan du XIIIe siècle : "Quand j'ai découvert Rûmî, il y a très longtemps, je pensais que c'était quelqu'un d'actuel, de contemporain. Après, j'ai acheté son livre et je suis presque tombée par terre. Tout ce qu'il a écrit il y a 800 ans est actuel. Il parle de l'amour, de la religion, avec une spiritualité toujours liée à la vie quotidienne."
Doublée d'une réserve tout asiatique, cette admirable curiosité n'a pas toujours caractérisé la jeune Coréenne, elle en convient aisément : "Avant, je n'étais pas curieuse. Comme dans la plupart des pays asiatiques, en Corée, la seule chose qui compte, c'est le travail. On allait à l'école à 7 heures du matin et l'on terminait à 10 heures du soir, avec pour seul objectif réussir, réussir, réussir. Ayant connu la guerre, la génération de mes parents n'a pas eu de loisirs. Moi, c'est le jazz qui m'a fait découvrir le monde et a organisé ma curiosité. J'ai tellement de chance… C'est la musique qui a fait de moi une nouvelle personne, comme une gamine, curieuse de tout…"
Panne pendant la pandémie
Même si elle y passe moins de temps qu'à Paris pour le travail habituel et à New York pour les enregistrements, Youn Sun Nah vit en Corée… Où elle est restée bloquée au début du confinement, alors qu'elle avait conçu tout un répertoire et qu'elle devait enregistrer un nouvel album. "À cause de la pandémie, j'ai pu pour une fois rester plus longtemps chez mes parents, qui sont tous deux musiciens. Cela m'a fait du bien de les voir, mais mon travail est en Europe. À chaque fois que quelque chose m'empêchait de revenir ici, j'étais désespérée, déprimée. Certains musiciens en ont profité pour travailler et être créatifs, ce n'était pas mon cas, je ne pouvais rien faire."
De retour à Paris depuis deux mois, Youn Sun Nah met les bouchées doubles, s'engageant dans la tournée actuelle des festivals prestigieux et en remettant l'ouvrage sur le métier. Inspiré par la vie, "en pensant à des images de films", cet album sera son plus personnel : "Je vais le produire moi-même, avec mes compositions uniquement. Je vous en dirai plus quand j'en saurai plus moi-même."